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Tradition et Création, Pour une poétique des formes aux origines obscures

Tradition et Création, Pour une poétique des formes aux origines obscures

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Hubert Heckmann)

En des temps et des lieux très divers, certaines formes littéraires ont revendiqué l’obscurité de leur naissance. Récits épiques ou mythologiques, coutume, légende, lai, geste, conte, fable, Volkslied… Toutes ces formes ont pour trait constitutif de s’attribuer des origines doublement obscures : d’abord parce qu’elles plongent dans la nuit des temps, ensuite parce qu’elles peuvent sembler d’humble extraction, transmises par tradition orale, et puisées dans le grand fond commun de la culture populaire.

Trois siècles de controverse sur le mystère des origines : un bilan critique

Depuis la fin de l’âge classique, les formes aux origines obscures sont progressivement remises à l’honneur et méritent de venir au centre des attentions savantes. Parallèlement au travail de collectage, de redécouverte de manuscrits anciens, et de réédition, ces formes sont un objet privilégié d’étude et de débat pour de nombreux écrivains, historiens, critiques, folkloristes, sociologues,...

La principale dispute, née sur le versant obscur du siècle des Lumières, exacerbée par le romantisme, est aujourd’hui à bout de souffle même si elle est périodiquement ranimée par quelques répliques. Il s’agit d’un conflit d’historiens, cherchant à démêler les causes et les conséquences : Qui est premier ? Le génie du peuple analphabète, qui produit par un lent processus de maturation l’oeuvre incomparable ? Ou le génie d’un individu raffiné, poète inspiré, qui écrit son chef-d’oeuvre à partir d’une matière populaire quasi-inexistante, qui met en ordre et en oeuvre un vieux fond informe, incapable de prétendre au moindre statut littéraire ? Tradition collective, ou création individuelle ? Temps long et insaisissable des transmissions orales, ou instant déterminé du geste créateur qui couche les mots par écrit ? Parole vivante, ou exercice de style ? Authenticité préservée, ou innovation audacieuse ?

On tirera un grand profit à faire une histoire de ce débat critique et à comparer les solutions ou compromis élaborés à propos d’objets d’études différents. Il nous faut comprendre aujourd’hui pourquoi nos prédécesseurs revenaient si souvent buter sur la même épineuse question. S’ils posaient mal le problème, du moins ont-ils forgé des outils d’analyse dont il nous faut à présent éprouver la solidité, pour voir lesquels nous pourrons reprendre à notre compte. Car certains des concepts fondateurs de la poétique, utilisés aujourd’hui pour l’analyse immanente des textes, sont issus de ce débat critique, où ils servaient à de toutes autres fins.

Le poète apprenti et sorcier : ethnographie et mystification

Si l’on quitte l’histoire littéraire pour envisager le problème sous l’angle de la poétique, on se rend compte que ces formes littéraires ont en commun la construction et l’affichage de l’ambigüité de leurs origines. Les critiques en quête d’une authenticité primitive sont souvent tombés dans le piège tendu par ces textes, dont les auteurs font mine de s’absenter. L’écrit recueille et mime une oralité problématique. Par la façon dont le texte se désigne lui-même, et parfois par les paratextes, se crée un dispositif trompeur où la culture écrite, paradoxalement, s’affirme en se niant. L’écrit témoigne et détruit en même temps, car l’oralité des origines nous est inaccessible sans sa médiation, mais elle ne subsiste en lui qu’à l’état de phantasme.

            On s’interrogera donc sur la rhétorique paradoxale des auteurs de formes aux origines obscures, qui sont souvent des innovateurs avançant sous couvert de la tradition. On se demandera aussi quel sens prennent ces formes dans le contexte historique et anthropologique de leur émergence : pourquoi donner à entendre les origines ?

Idées de sujets de communication :

  • histoire du débat critique individualisme / traditionalisme sur les chansons de geste
  • histoire du débat critique culture savante / culture populaire sur les contes de Perrault
  • la question philosophique de l’origine des langues et le débat critique sur les formes aux origines obscures aux XVIIIe - XIXe siècles
  • enjeux idéologiques et comparaison des débats sur l’épopée homérique, sur Ossian, sur les chansons de geste et sur les contes de Perrault et de Grimm (XVIIIe - XIXe siècle)
  • Homère : un écrivain ou une tradition ?
  • La Bible (par ex. les livres historiques, ou Isaïe) : enjeux théologiques de la question de l’origine du texte
  • Digénis Akritas et les chants akritiques
  • Le romancero espagnol
  • Ésope et La Fontaine
  • Les lais de Marie de France, invention et tradition
  • Perrault ethnologue et faussaire
  • Grimm : l’authenticité retrouvée ?