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Arbitraire et motivation du genre grammatical

Arbitraire et motivation du genre grammatical

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Yannick Chevalier)

Appel à communications - Journée d’études

« Arbitraire et motivation du genre grammatical »

ENS de Lyon

15 mai 2015

 

Journée d'étude organisée par Laure Gardelle (ENS de Lyon) et Yannick Chevalier (Université Lyon 2)

 

Avec l’essor des études de genre, les recherches sur le rapport entre genre et langue se trouvent aujourd’hui largement écartelées entre deux axes. L’un – le plus récent, mais dont la fréquence d’usage dans le discours sociétal semble être la plus grande – se concentre sur l’humain et s’attache à montrer notamment comment les représentations des identités masculines et féminines se trouvent paramétrées par le linguistique. Un certain nombre d’études font par exemple état d’un biais contre les sujets parlants femmes : mise en évidence de l’asymétrie des genres grammaticaux, qui se manifeste en particulier par l’axiologisation des formes de féminin (ex. entraîneur vs. entraîneuse), usage des masculins dits génériques qui rendent les femmes invisibles, etc. Le genre apparaît alors comme totalement motivé et, aux yeux de certains, les analyses sont même transférables aux animaux (ex. Bassetti 2013) et aux inanimés (ex. Mathiot & Roberts 1979, Morris 1991, Romaine 1999).

 L’autre approche, qui part du linguistique, s’intéresse au fonctionnement des systèmes grammaticaux du genre. Elle met en avant la notion d’accord, à l’instar de cette définition souvent citée de Hockett (1958) : « Genders are classes of nouns reflected in the behaviour of associated words. » Les systèmes formels, par exemple celui du français, sont décrits comme largement arbitraires ; il n’existe ainsi pas de fondement sémantique au fait que chaise soit féminin, tabouret masculin. Pour l’humain, le genre suit beaucoup plus régulièrement le sexe (ex. boulangère est féminin et dénote une femme), mais il existe dans un certain nombre de langues quelques noms dits « hybrides » ou « conflits » (Wyss 1983, Corbett 1999), dans lesquels le genre grammatical ne correspond pas au sexe ; ainsi le neutre allemand Mädchen ‘jeune fille’, le féminin russe djadja ‘oncle’, etc. Le genre est plus clairement motivé dans les langues dites à système sémantique, c’est-à-dire dans lesquelles ce sont des critères sémantiques qui président à la répartition des noms en classes de genre. Mais là encore, il existe des noms résiduels, dont l’appartenance à telle ou telle classe n’apparaît pas positivement motivée.

Cette journée d’études propose d’articuler ces deux approches du genre, avec la question suivante : quelle est la part d’arbitraire et de motivation dans la catégorie linguistique du genre ? Celle-ci s’inscrivant plus largement au sein des différents systèmes de catégorisation  nominale, qui comprend encore les classes nominales et les classificateurs, elle pourra gagner à être éclairée par l’examen de ces autres systèmes. Par exemple, toute catégorisation par classificateurs est-elle entièrement motivée ? Ce regard sur des systèmes qui comportent un plus grand nombre de classes et qui sont moins hautement grammaticalisés que le genre (Hagège 2000) peut d’autant plus préciser certains enjeux liés au genre que l’étude du dyirbal suggère que certains systèmes de genre sont issus de systèmes de classificateurs (ibid.).

 Il s’agira notamment de dresser un tableau plus précis des cas de décalage entre genres linguistiques (ou autres systèmes de catégorisation) et genres au sens des identités sexuelles. Mais au-delà, cette interrogation quant à la part de motivé et d’arbitraire du genre et autres systèmes de catégorisation soulève plusieurs autres sous-questions, parmi lesquelles les suivantes :

- lorsqu’une partie d’un système grammatical est arbitraire, le reste-t-il réellement ? Il a été montré de manière récurrente, par exemple, que le sexe des figures allégoriques est traditionnellement en accord avec le genre grammatical du mot (comme le rappelle par exemple Michard 2003 : 44), et il en va de même, plus largement, pour les projections personnifiantes – cf. la remarque de Bally (1965) par exemple : « La rose serait-elle la rose si elle changeait de genre ? » Certains auteurs vont jusqu’à considérer que dans une langue comme le français, il y aurait motivation généralisée ; ainsi Damourette & Pichon (1911-1940), qui développent la notion de sexuisemblance ou « sexe fictif ». Il sera intéressant d’explorer l’étendue des phénomènes de remotivation, chez l’adulte comme chez l’enfant.

- quel est le rapport entre grammaire et lexique dans cette dichotomie entre arbitraire et motivation ? Par exemple, dans un couple de type entraîneur / entraîneuse, le fonctionnement strictement linguistique du genre propose une paire symétrique ; les représentations culturelles des genres (au sens d’identités sexuelles) seraient ensuite à la source d’une dérive péjorative pour le terme féminin ; mais l’influence de ces représentations concerne-t-elle surtout le lexique, ou tout autant le genre grammatical lui-même, ou plus largement les systèmes de catégorisation dans leur ensemble ?

- dans les systèmes sémantiques, l’arbitraire est-il absent ? En d’autres termes, « sémantique » est-il synonyme de « sémantiquement motivé », ou bien existe-t-il des conventions qui peuvent apparaître, au moins en synchronie, comme arbitraires ?

- l’asymétrie notée entre masculin (premier) et féminin (second) dans les langues qui en disposent est-elle uniquement en rapport avec la « valence différentielle des sexes » (Héritier 1996), ou bien pourrait-il exister également une logique interne au langage ? Par exemple, dans les paires qui semblent des doublets lexicaux (ex. boulanger / boulangère), le terme masculin est généralement le plus court ; y aurait-il une logique interne au langage à utiliser le terme le plus court, soit le masculin, comme terme non marqué ?

Cette problématique de la motivation ou arbitraire du genre conduit également à une réflexion plus large sur les fonctions du genre et des systèmes de catégorisation : existe-t-il une motivation profonde à leur existence dans la langue ? On peut répondre en premier lieu qu’il s’agit de classer les noms ou les référents nominaux, mais au-delà de cette évidence, leur raison d’être dans la grammaire interroge : pourquoi ce besoin de classer les noms ou référents nominaux ? Bien que le sexe soit un critère récurrent dans les systèmes de catégorisation des langues du monde, les théoriciens jugent peu probable qu’il ait pu à lui seul mener à la grammaticalisation du genre (voir notamment Weber 2000), et il ne représente qu’une partie des systèmes de catégorisation. Des rôles en discours ont été notés, tels que le rôle de désambiguisation de la référence (ex. Pierre… Marie… il : il ne peut référer qu’à Pierre) ; ce cas est-il si fréquent, et dans les mécanismes anaphoriques, à quelles conditions une concurrence entre référents potentiels devient-elle réellement gênante (ex. des éléments contextuels lèvent très souvent l’ambiguïté, même dans les cas du type Pierre… Paul… il) ? Plus largement, pour les pronoms, Siewierska (2004) voit dans le genre un traçeur qui facilite l’identification de la référence. D’autres fonctions plus abstraites et plus fondamentales ont également été proposées. Pour Cotte (1999) notamment, le genre pourrait refléter les mécanismes de catégorisation humains. Par exemple, définir poisson implique de recourir à l’hyperonyme animal ; toute catégorisation est donc multiple (un saumon sera catégorisé à  la fois comme poisson, animal, etc.) et les référents sont rapportés à des catégories supérieures. Le genre pourrait avoir comme fonction de manifester ces principes fondamentaux de catégorisation plurielle et de généralisation. Ou encore, pour Weber (2000), le genre jouerait un rôle dans la quantification, en définissant de manière qualitative une quantité – il se distinguerait en cela de la catégorie du nombre, purement quantitative –, selon le trait [+/- particularisant]. D’autres fonctions peuvent-elles être mises au jour, ou celles-ci peuvent-elles être confirmées par des données plus spécifiques ?

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Date limite des soumissions : 15 mars 2015

Retour des avis du comité scientifique : 31 mars 2015

 

Les propositions de communication, accompagnées d’un résumé d’environ 300 mots, sont à envoyer à : laure.gardelle@ens-lyon.fr et  yannick.chevalier@univ-lyon2.fr.

 

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Cette journée d’études est organisée conjointement par l’UMR 5191 ICAR et l’EA 4160 Passages xx-xxi, avec le soutien de l’ARC 5 (Conseil régional Rhône-Alpes).