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« Je n’ai point eu d’autre livre que le ciel et la terre » (Bernard Palissy) : Voir pour savoir 

« Je n’ai point eu d’autre livre que le ciel et la terre » (Bernard Palissy) : Voir pour savoir

Publié le par Marc Escola (Source : Myriam Marrache-Gouraud)

Cycle « Les mots de la science à la Renaissance »

Quatrième journée

Université de Brest, Faculté Victor Segalen, 28 avril 2015

 

Journée organisée par Myriam Marrache-Gouraud (U. Bretagne Occidentale, HCTI)

et Violaine Giacomotto-Charra (U. Bordeaux Montaigne, MSHA)

dans le cadre du programme « Formes du savoir » (dirigé par V. Giacomotto-Charra)

 

Dans le cadre du cycle de journées d’étude « Les mots de la science à la Renaissance » qui vise à circonscrire les contours du lexique scientifique en usage au XVIe siècle, nous lançons l’appel à communication pour une 4e journée. Elle se tiendra le 28 avril 2015 à l’Université de Brest et sera intitulée « ‘Je n’ai point eu d’autre livre que le ciel et la terre’ (Palissy) : voir pour savoir ». Elle entend étudier les noms et les verbes, qui, dans un sens littéral ou métaphorique, réfèrent à l’acte de voir quand celui-ci est orienté vers l’acquisition d’un savoir.

 

Après une première journée consacrée aux noms génériques du savoir et à la manière dont la science se nomme elle-même (« Des noms du savoir et leurs avatars : science, savoir, curiosité, connaissance… » Bordeaux, janvier 2014), la deuxième journée (Brest, mai 2014), portait déjà sur la vision et ses mots. Elle a montré entre autres choses que, d’une part, le sens de la vue demandait souvent, dans sa mise en œuvre, le secours et l’assistance des autres sens et, d’autre part, que voir, loin d’être une opération anodine, supposait un apprentissage, une méthode, des précautions : tout un apparat intellectuel et scientifique conditionne l’acte de voir et lui donne sa légitimité. En ce sens, l’observation est un acte non fortuit mais pesé, pensé, volontaire, entrant dans une démarche scientifique qui engage le sujet. Au même titre que d’autres formes d’expériences, la vision suppose la parole d’un sujet, qui le place face aux autorités antiques ou contemporaines, et qui fonde la vérité de ses dires selon l’expérience vécue. La place très importante de la vision parmi les différents modes d’expérimentation du monde a été ainsi souvent évoquée lors de la troisième journée  (« L’expérience et ses mots », Bordeaux, octobre 2014).

L’affirmation d’un regard individuel fondant un savoir sur le monde est toutefois un point qui demande à être approfondi et développé. Ces premières journées ont en effet ouvert de nombreuses pistes, et révélé à quel point le travail entrepris appelle des compléments. Il nous a semblé nécessaire d’étudier de plus près la nature du lexique spécifique de la vision : voir, en tant que geste d’appropriation et de compréhension du monde, est un acte de recherche, qui constitue une étape centrale du raisonnement scientifique, autant que de la construction du discours scientifique. Selon les auteurs, la fonction qui lui est dévolue peut varier. Voir pour vérifier des dires, pour réfuter, pour entendre (pour comprendre), pour pouvoir témoigner, voir pour savoir ? Il semble important de prendre en considération l’usage de mots plus précis que le générique « voir », en s’intéressant de préférence aux verbes, c’est-à-dire aux mots désignant plus particulièrement l’action de l’observateur dans toute sa possible complexité.

Certains verbes témoignent en effet d’une volonté très particulière de saisie de l’objet, qui engage non seulement l’œil mais aussi l’esprit : on pense aux verbes « examiner », « scruter », « contempler », « apercevoir », « apparaître », voire « considérer » ou « spéculer », sans parler du lexique spéculaire et d’un verbe comme « réfléchir » ou « distinguer »… Ces verbes dénotent l’intention d’un regard orienté vers l’acquisition d’une connaissance, mais parce qu’ils n’envisagent pas de la même manière l’accès aux secrets de la nature, il reste à délimiter leur contexte d’emploi. Pour cela, on pourra aussi considérer les co-occurrences adverbiales : « attentivement », « curieusement », « discrètement », « méthodiquement », « minutieusement », « clairement… ». L’ensemble induit un questionnement sur la place allouée à l’observation : est-elle pensée comme complémentaire ou opposée à la lecture, comme semble le supposer la radicalité de la phrase de Palissy citée en exergue, « Je n’ai point eu d’autre livre que le ciel et la terre » ?

 

Par ailleurs, on sait qu’à la Renaissance le livre lui-même se fonde sur le rôle nouveau que joue l’œil pour forger quelques-uns de ses beaux titres métaphoriques dont l’usage est aujourd’hui perdu pour les traités scientifiques : que penser de titres comme « miroir » ou « théâtre » qui évoquent la vision d’un spectacle ? Supposent-ils que la vision soit indissolublement liée au discours scientifique, lequel garantit une saisie directe du monde par le livre, l’un étant donné à voir par l’autre ? La nature en devient-elle plus « lisible » ? On pourra s’intéresser également à la naissance ou au développement des genres épistémiques qui se constituent sur la base d’un rapport direct à la vision, comme les Observationes ou même les Singularités.

Le statut de l’illustration, considéré à l’aune des noms qui lui sont donnés, peut également mériter qu’on s’y intéresse : qu’entend-on par « portrait », « peinture », « au vif », « au naturel » ? De telles dénominations traduisent des nuances quant aux intentions du rédacteur vis-à-vis de la conception et de la fonction de juste vision qu’il entend donner à ses illustrations, selon une ambition de véridicité qui oriente aussi sans doute la technique de l’illustrateur, du graveur, autant que du coloriste le cas échéant. La question de l’illustration, ainsi, engage profondément le statut épistémique du regard : doit-on donner à voir par l’image une plante réaliste, par exemple, telle qu’observée dans la nature à une saison donnée, ou une représentation typique et universelle ?

Enfin, les innovations concernant les instruments optiques ou mécaniques font apparaître de nouveaux types d’observateurs, qui développent ce que l’on pourrait appeler une vision technique, ou un prolongement technique de la vision : « mesurer », « arpenter », sont d’autres variations du voir scientifique, et l’on pourrait s’interroger sur l’innovation lexicale consécutive à l’apparition de nouveaux instruments, en comparant le lexique utilisé dans une discipline scientifique avant et après l’apparition de ces techniques.

 

Le choix du lexique attaché à la vision fait non seulement émerger un regard individuel mais entend certainement, en tant que critère de véridicité et rapport profond à la question de la preuve ou du témoignage, donner une certaine ‘image’ du savoir.

Nous espérons ainsi mieux comprendre le rôle que joue l’observation et mieux appréhender ses modalités dans la science de la Renaissance, voire dans la représentation intellectuelle que la science construit d’elle-même. Se dessinera mieux, ainsi, la silhouette de ce savant particulier qu’est l’observateur.

Selon la méthode adoptée lors des précédentes journées, les contributeurs sont invités s’intéresser au lexique latin comme à celui des différents vernaculaires, afin de souligner éventuellement les problèmes que posent la pratique de la traduction, la transmission et la circulation du savoir au moment où naît une science vernaculaire qui doit se définir par rapport au latin.

 

 

Les propositions de communication (titre et résumé) sont à envoyer avant le 15 janvier 2015 :

Myriam Marrache-Gouraud (myriam.marrache-gouraud@univ-brest.fr) et à

Violaine Giacomotto-Charra (violaine.giacomotto@u-bordeaux-montaigne.fr)