Collectif
Nouvelle parution
J.-P. Beaulieu & A. Oberhuber (dir.), Jeu de masques. Les femmes et le travestissement textuel (1500-1940)

J.-P. Beaulieu & A. Oberhuber (dir.), Jeu de masques. Les femmes et le travestissement textuel (1500-1940)

Publié le par Matthieu Vernet

Jeu de masques. Les femmes et le travestissement textuel (1500-1940)

Sous la direction de Jean-Philippe Beaulieu & Andra Oberhuber

Saint-Etienne : Publications de l'université de Saint-Etienne, coll. "L'Ecole du genre", 2011.

EAN 9782862725789.

Prix 27EUR

281 p.

Présentation de l'éditeur:

Longtemps mal acceptées sur le terrain de la pensée et de la création littéraire ou artistique, les femmes ont eu souvent recours au travestissement de leur identité (anonymat, pseudonymie, ventriloquie...). Si ces pratiques culturelles sont aujourd'hui reconnues, les manifestations textuelles de ce travestissement, c'est-à-dire l'ensemble des masques féminins qui se donnent à voir dans et par l'écriture, restent encore peu étudiées. Dans une perspective essentiellement littéraire, les dix-neuf contributions qui forment le présent ouvrage cherchent à mettre en lumière, de la Renaissance jusqu'au modernisme, les postures ayant permis aux auteures d'investir des formes convenues, d'y moduler leur voix, au féminin ou au masculin - voire au neutre - d'imaginer des identités «autres», voire plurielles. Elles mettent en évidence les enjeux identitaires, discursifs et scripturaires de cette entreprise, et tout un jeu complexe de renvois (auto)référentiels, qui masquent le visage autant qu'ils le révèlent. Elles montrent que chaque époque semble avoir privilégié des artifices de mise en scène particuliers permettant à des femmes - et parfois à certains hommes - de se représenter en écrivaine. Grâce à des éclairages variés passant par l'histoire sociale, la rhétorique, les gender studies et l'analyse intermédiale, ce livre, en se penchant sur le façonnement des voix et des visages, des corps et des identités, pose les jalons d'une histoire du travestissement textuel au féminin.

Contributions de Françoise Alexandre, Cathleen M. Bauschatz, Jean-Philippe Beaulieu, Patrick Bergeron, Renée-Claude Breitenstein, Joyce Carlton Jolmston, Virginie Cassidy, Paul-André Claudel, Marilou Denault, Claude La Charité, Charlotte Maria, David Martens, Valérie Narayana, Andréa Oberhuber, Dora E. Polachek, Virginie Pouzet-Duzer, Marie-Gersande Raoult, Angelica Rieger, Nadine Schwakopf, Sylvie Tremblay.


  • Les premières lignes:

"Dans son acception la plus courante, le terme masque désigne un objet qui couvre le visage, dissimulant l'identité de la personne qui le porte. Il n'y a donc pas à s'étonner que l'un des sens figurés du mot suggère que porter un masque, c'est présenter des dehors trompeurs. Sous cet éclairage, le masque - au sens métaphorique - est le plus souvent considéré comme un moyen d'occultation ou de falsification des traits du visage, de la même façon que le travestissement brouille, pour le corps, les repères identitaires par l'emprunt d'attributs autres que les siens propres. Mais cette manière de considérer les choses repose sur une distinction entre identité véritable et identité simulée issue de la conception moderne du sujet, qui, en privilégiant la transparence et l'authenticité, tend à dévaluer ce qui viendrait brouiller ces dernières. Ce faisant, on oublie toutefois l'importance des jeux de masques au sein des rites de passage - la participation des femmes aux pratiques culturelles, notamment l'écriture -, de même que dans le façonnement de l'identité sociale, ce qui rend souvent très artificielle la frontière entre l'intérieur et l'extérieur, le profond et le superficiel, le vrai et l'inauthentique, le réel et le fictionnel, surtout dans le domaine littéraire où «tout.e écrivain.e est "de papier"», comme nous le rappelle Christine Planté dans sa contribution au débat lancé par l'ouvrage de Mireille Huchon sur l'identité de Louise Labé. Le texte, surtout lorsque la dimension autoréférentielle y est importante, est en effet un lieu où se donne à voir un visage auctorial - une identité de papier - qui ne peut jamais tout à fait coïncider avec la personne réelle de l'auteur, sinon de manière forcément diffractée, ce qui confère au texte littéraire sa profondeur de champ.
Le constat de la difficulté à nettement délimiter le visage et le masque est particulièrement vrai pour les femmes qui, depuis la fin du Moyen Âge, ont cherché à faire entendre leur voix dans la sphère publique et qui, à cette fin, ont fait appel à diverses stratégies, dont le travestissement vestimentaire et textuel, susceptibles de faciliter leur accès aux pratiques culturelles. Comme l'ont montré certains travaux récents, le travestissement est apparu comme un procédé habile permettant aux femmes de s'inventer un espace identitaire autre que celui qui leur était généralement réservé. Cela a conduit à une diversité de mises en scène de soi sous le couvert du masque, dont il s'agit de cerner la nature et la signification, comme le propose - d'un point de vue principalement anthropologique et sociologique - le collectif récent dirigé par Guy orme Leduc, qui s'attache à décrire la diversité des effets de travestissement féminins et leur contribution à la création paneuropéenne d'un espace de liberté. Ces études se consacrent surtout au travestissement «réel» des femmes et à la représentation de celui-ci dans les productions iconographique et artistique. Toutefois, dans une perspective largement historique, il y a lieu de s'interroger sur les manifestations textuelles du travestissement, c'est-à-dire l'ensemble des masques féminins qui se donnent à voir dans et par l'écriture, de la Renaissance jusqu'au modernisme. Artifice du faux, contraire de la transparence, support matériel et métaphorique de la création d'un imaginaire parallèle, symbole du désir du sujet de s'auto-définir, médiation entre le moi et le social, le masque semble épouser naturellement la prise de parole au féminin. Selon les traits qu'il affiche, le masque correspond à des fonctions différentes, allant de la volonté de se conformer à la doxa en place jusqu'à l'utilisation subversive de l'ironie face au concept de l'identité du sujet comme entité immuable, en passant par la problématisation de la différence des sexes. Or la finalité du masque et de la mascarade vers laquelle tend le travestissement textuel reste encore relativement peu étudiée, surtout en ce qui concerne la littérature d'expression française. Cette lacune demande à être comblée de manière d'autant plus insistante si l'on considère les textes comme des laboratoires où se joue et se déjoue la construction de la figure de l'auteure par le biais d'un èthos certes plus ou moins masqué selon l'époque, mais qui finit par s'avérer le moteur d'une prise de parole assumée, d'une créativité positive."