Essai
Nouvelle parution
J.-F. Schaub, Oroonoko prince et esclave. Roman colonial de l'incertitude

J.-F. Schaub, Oroonoko prince et esclave. Roman colonial de l'incertitude

Publié le par Matthieu Vernet (Source : livre reçu)

Jean-Frédéric Schaub, Oroonoko prince et esclave. Roman colonial de l'incertitude

Paris, Editions du Seuil, collection "La librairie du XXIe siècle", 2008.

EAN : 9782020385497

20 €


Présentation de l'éditeur :

Oroonoko, prince guinéen d'une grande beauté, finit sa vie chevaleresque comme esclave dans une plantation du Surinam dans les années 1660. La voix qui chante sa geste tragique est celle d'Aphra Behn (1640-1689), célèbre dramaturge anglaise, fidèle soutien du roi Jacques II, à la veille de la Glorieuse Révolution.

Ce roman anglais du XVIIe siècle concentre en lui un grand nombre de nos curiosités contemporaines. L'essai de Jean-Frédéric Schaub ne cède pas à la tentation de tirer la lecture du côté du féminisme et de l'abolitionnisme, et moins encore des Lumières ; au contraire, il souligne ce qui, dans ce roman fiévreux, concentre les anxiétés et les ambivalences nées de l'expansion européenne depuis la Renaissance.

Si l'univers d'Aphra Behn s'accommode de l'esclavage et d'une conception hiérarchique de la société, il ne repose pas sur le racisme, ni d'ailleurs sur le sexisme.

La complexité de ce moment de l'histoire culturelle européenne qu'est le premier âge moderne anglais se trouve éclairée à partir de sa dimension coloniale.

Présentation de l'auteur :

Historien, Jean-Frédéric Schaub est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Il a publié au Seuil, en 2003,
La France espagnole. Les racines hispaniques de l'absolutisme français et en 2007, son premier roman, Le Référendum.

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Sur le site laviedesidees.fr, un article sur cet ouvrage :

Oroonoko, prince et esclave

"Comment passe-t-on d'Othello à l'oncle Tom ? À travers le roman d'Aphra Behn, Oroonoko, prince et esclave,Jean-Frédéric Schaub étudie la vision que les Britanniques développentde l'Autre racial durant une période relativement peu connue à cetégard, le XVIIe siècle. Proposant des analyses fines sur un précieuxfond d'érudition, ce livre permet de penser le passage de laRenaissance aux Lumières sous l'angle de la question identitaire…" Lire l'article…

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On pouvait lire dans Le Monde des livres du 20/6/8 un article sur cet ouvrage, associé à :

JOURNAL D'UN NÉGRIER AU XVIIIE SIÈCLE de William Snelgrave. Introduction et notes de Pierre Gilbert. Gallimard, "Témoins", 260 p., 19 €.

Jean-Frédéric Schaub et William Snelgrave : écrire l'esclavage

Oroonoko a tout duparfait gentleman : digne et élégant, galant et généreux, il parle lefrançais et l'anglais, connaît son histoire romaine sur le bout desdoigts et se tient même informé de l'actualité européenne. Bienentendu, sa beauté parfaite est le reflet de sa vertu. Il est noir,prince africain, et refuse la révélation chrétienne.

Ce héros d'outre-mer,ce paladin noir paré de toutes les qualités chevaleresques, laromancière britannique Aphra Behn l'a rencontré en la personne d'unétrange esclave, au Surinam. Du moins c'est ce qu'elle affirme dans unroman, Oroonoko, paru à Londres en 1688 et traduit en françaisdès l'année suivante. Aphra Behn est un personnage capital dansl'histoire littéraire britannique : pour Virginia Woolf, c'est avecelle que la création féminine quitta la sphère de l'intime pouratteindre une "audience", un public.

Exposons brièvementl'intrigue de son étrange roman : petit-fils d'un roi de laCôte-de-l'Or (l'actuel Ghana), Oroonoko tombe en disgrâce, car ildispute au souverain la belle Imoinda. Il est envoyé au combat, pendantque celle qu'il convoite est vendue à des négriers. Le jeune prince secouvre de gloire, mais il est enivré par des marins britanniques etemmené de force, comme esclave, de l'autre côté de l'océan. Au Surinam,il rencontre un bon maître, qui le traite comme le prince qu'il est, selie à la bonne société et retrouve même Imoinda, avec qui il renoue.Celle-ci tombe bientôt enceinte : apprenant que leur enfant seraitimmanquablement voué à l'esclavage, Oroonoko prend les armes contrel'ordre colonial. Il égorge finalement sa femme pour qu'elle ne mettepas au monde l'enfant, avant d'être fait prisonnier et de périr,supplicié...

Les péripéties du roman sont innombrables, comme lespistes interprétatives, souvent contradictoires, qu'elles ouvrent. Lemérite du brillant essai de Jean-Frédéric Schaub est de chercher à lesexplorer toutes, sans enfermer son objet d'étude dans des catégoriestrop restrictives.

Roman d'un opprimé (parce qu'esclave) écritpar une opprimée (parce que femme), texte sur l'esclavage ne posant pasune seconde la question de l'abolition, tableau métaphorique desdéchirements de l'Angleterre à quelques mois de la "glorieuserévolution", Oroonoko doit être compris comme la trace d'un "héritage", celui des bouleversements et "ambivalences"nés des grandes découvertes, plus que comme un lointain ancêtre desLumières. La révolte d'Oroonoko n'a rien à voir avec les lamentationsdu Nègre du Surinam que Voltaire mit en scène dans Candide. Même si sa peau est noire, ses traits sont européens et les colons eux-mêmes le considèrent comme un des leurs...

"Roman colonial de l'incertitude", Oronooko estun texte ambigu, insaisissable, et c'est la raison même de son intérêtpour l'historien. Le prince africain est victime de l'injustice,humilié et torturé. Pourtant, souligne Jean-Frédéric Schaub, "le monde de Aphra Behn était capable de bien des horreurs, mais il n'avait pas enfanté le système du racisme".

Unautre texte qui paraît simultanément, exhumé par hasard dans labibliothèque de Tocqueville, vient à point nommé pour témoigner del'évolution des esprits, un demi-siècle plus tard. Le Journal d'un négrier au XVIIIe siècle,publié dans une version présentée et annotée par Pierre Gilbert, estinitialement paru en 1734, à Londres. Ce témoignage passionnant, oeuvrede William Snelgrave, un officier de marine à l'étonnant talent deconteur, est constitué de trois livres en apparence très disparates :le premier relate la destruction du royaume de Juda, sur les côtesd'Afrique, dans les années 1726-1730, alors que le dernier se rapporteà l'année 1719, où il fut aux prises avec les pirates. Quant audeuxième, le plus mince mais aussi le plus éclairant, il fournit la cléde tout le récit : en quelques pages, notre négrier entend détromper "unde ses amis qui s'était imaginé que ce commerce ne pouvait guères'accorder avec les sentiments d'une conscience un peu droite ni avecceux de l'humanité". Si ce texte est un témoignage précieux surl'état d'esprit des artisans de la traite, et l'élaboration d'undiscours raciste rationnel, il témoigne aussi du trouble croissant quece trafic provoque dans l'opinion éclairée.

Tous les argumentscensés justifier la traite sont exposés : en achetant les esclaves, lesnégriers les sauvent d'une mort certaine. Ils traitent bien lesAfricains, puisqu'ils les ont achetés fort cher, et de toute façonceux-ci sont bien plus heureux aux Amériques qu'en Afrique. Les captifssont renvoyés à leur nature de "sauvages". Les arguments sont en place,ils ne bougeront plus ; la bataille de l'abolition allait encore durerplus d'un siècle."