Actualité
Appels à contributions
Imaginaires de la ponctuation. Ordre et inquiétude du discours

Imaginaires de la ponctuation. Ordre et inquiétude du discours

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Bikialo S., Rault J.)

Imaginaires de la ponctuation. Ordre et inquiétude du discours

Longtemps négligée (voire exclue) de la linguistique, au même titre que ce qui relevait de l'écriture (Anis), la ponctuation est désormais au cœur de nombreux travaux  ; les débats persistent sur l'élargissement à donner au mot même de « ponctuation » (au niveau des signes ou des marques, au niveau des champs concernés), sur le statut (sémiotique, sémantique ou « translinguistique » pour reprendre la tripartition de Benveniste), sur sa ou ses fonctions (prosodiques, graphiques, logique, syntaxique, sémantique, pragmatique...).

Nous formulons ici l'hypothèse suivante : si la ponctuation est à la fois omniprésente et sujette à caution ou à débat dans les sciences du langage, c'est sans doute en raison du très riche imaginaire qu'elle met en œuvre. On a pu remarquer (Paveau, Rosier : 2008) que la langue française présente cette particularité de générer des nombreux discours spécialisés ou quotidiens, chacun ayant son mot à dire, ses jeux à faire, ses prescriptions à formuler. La ponctuation est le terrain de ces discours épilinguistiques spontanés ou non, spécialisés ou non, au sens où C. Canut définit ce terme de manière élargie :
J'ai repris […] le terme épilinguistique pour montrer que l'activité épilinguistique dégagée par Culioli peut entraîner toutefois des discours autonomes sur les formes langagières par tous les locuteurs (y compris les linguistes), nous autorisant à concevoir les discours épilinguistiques comme une catégorie recouvrant aussi les discours métalinguistiques, quelle que soit leur objectivation scientifique. Ils caractérisent donc tout type de discours autonome sur les langues ou les pratiques. Ces discours ne peuvent, en eux-mêmes, nous dire tout du langage puisque, fondamentalement, c'est dans cette part qui échappe au chercheur que se loge la relation singulière du sujet au langage faite d'abord de sentiments, d'impressions et d'imaginaires. (2007 : 50-51)

C'est à cet « imaginaire linguistique », à ce « sentiment » de la ponctuation que nous souhaitons nous attacher. Dans la mesure où tout discours  n'est jamais pris « dans un fonctionnement autarcique » mais reste « adossé à la langue, aux discours préexistants et contemporains, au(x) genre(s) dont il relève, traversé par ces réalités diverses » (Rannoux), c'est-à-dire qu'il demeure fondamentalement déterminé par un ensemble de contraintes linguistiques et discursives, nous souhaitons rassembler une somme de contributions permettant de faire émerger, selon cette perspective, une représentation en forme d'imaginaire de la ponctuation et des signes qui la composent.

Une telle approche impose un principe de transversalité, à savoir un parcours véritablement diachronique qui envisagerait tous les types de (méta-)discours ou d'épilinguistique (Canut), les usages et les changements (à la fois perception et interprétation discursives de la langue), sans écarter le subjectif, « la pure opinion », le « pur ressenti », afin de mettre à jour ce qui serait « une (in-)conscience » de la ponctuation (Sioufi). Le parcours des grandes représentations (historiographiques, mythographiques) se fera donc par l'examen conjoint des faits de langue et des faits sociaux, par l'analyse des pratiques et l'étude des discours sur l'ensemble de la ponctuation en général et des ponctèmes en particulier. Il s'agit de comprendre l'inscription de la ponctuation dans les textes comme le témoignage d'un imaginaire langagier – donc d'une réalité linguistique – et comme la trace d'un positionnement sociologique, linguistique, littéraire du sujet de l'énonciation face à un ensemble de « normes ».

L'imaginaire littéraire, variété de l'imaginaire linguistique mais fondamental dans la formation du sentiment de la langue, dit bien ce dialogue avec les conceptions discursives dominantes, comme ont pu le montrer les travaux de Jacques Dürrenmatt, ou encore ceux de Jacques-Philippe Saint- Gérand, croisant, dans une orientation volontiers épistémologique, perspective linguistique et perspective socio-historique.

Ainsi, les approches intéresseront aussi bien la mise-en-texte du discours – la ponctuation est un processus de « textualisation du discours », « liant le réel discursif à l'imaginaire textuel » et peut se comprendre comme « le lieu où le sujet travaille ses points de subjectivation, laissant les traces de la façon dont il interprète » (Orlandi, 2007) – que la mise-en-œuvre du texte – elle apparaît comme « le lieu par excellence où se devinerait la trace  individuelle qui constitue le texte en œuvre » (Dürrenmatt, 1998) – ou encore l’œuvre elle-même, dans une ponctuation conçue comme élargie (à la mise en page, à l’œuvre).

Ceci peut par exemple amener à envisager, dans l'activité énonciative, la relation des signes de ponctuation avec différentes formes d'ailleurs, à partir de la notion d'hétérogénéité : interdiscours, interlocution, rapport du sujet de l'écriture au réel et à la langue, à lui-même (Bikialo, 2004). Ou encore à examiner l'évolution de l'appréhension des signes de ponctuation, du pneumatique au syntaxique, comme relevant du processus global de « grammaticalisation » : l'encodage grammatical progressif des signes de ponctuation participerait donc d'un mouvement global d'inclusion dans le système de la langue (Rault, 2013).

Parmi les grands paradigmes autour desquels se cristallisent les représentations, le volume envisagera en particulier  l'articulation de la voix et du silence, de l'espace et du temps, du rythme, avec les grandes préoccupations esthétiques et idéologiques.

On s'attachera en outre à souligner la manière dont les discours épilinguistiques sur la ponctuation la font tantôt relever de l'« ordre du discours », d'une procédure de contrôle « interne », tantôt de l'inquiétude du discours, du désir que/qui fait parler M. Foucault au début de L'Ordre du discours (1971). Si la ponctuation ne relève pas de l'ordre des choses, mais de l'ordre du discours, comme en témoigne cet extrait de L'Acacia de Claude Simon  :
De sorte que plus tard, quand il essaya de raconter ces choses, il se rendit compte qu’il avait fabriqué au lieu de l’informe, de l’invertébré, une relation d’événements telle qu’un esprit normal, c’est-à-dire celui de quelqu’un qui a dormi dans un lit, s’est levé, lavé, habillé, nourri, pouvait la constituer après coup, à froid, conformément à un usage établi de sons et de signes convenus, c’est-à-dire suscitant des images à peu près nettes, ordonnées, distinctes les unes des autres, tandis qu’à la vérité cela n’avait ni formes définies, ni noms, ni adjectifs, ni sujets, ni compléments, ni ponctuation (en tout cas pas de points), ni exacte temporalité, ni sens. (1989: 286).

La ponctuation est aussi l'espace de l'inquiétude du discours, de la créativité graphique qui se développe de plus en plus avec la prise en compte de la notion d'espace graphique au sein de la ponctuation, en plus des signes de ponctuation traditionnels. On fera – sans se limiter à la synchronie – ce qu' Eric Bordas s'est proposé de faire pour le mot « style » :
Ce livre voudrait faire le point sur nos usages contemporains du mot style, tant en emploi populaire, spontané ou travaillé, qu'en emploi savant spécialisé. […] L'objet d'étude est l'usage général d'un mot, d'un mot-repère de notre culture, à l'entrecroisement de pratiques discursives dont la diversité et la dispersion font sens et valeur – entrecroisement que l'on pensait, jadis, comme le lieu même de l'idéologie. (2008)

RESPONSABLES Stéphane Bikialo et Julien Rault

MODALITÉS Les propositions de contribution sont à faire parvenir avant la date du vendredi 6 juin 2014, à Stéphane Bikialo (stephane.bikialo@univ-poitiers.fr) et à Julien Rault (julien.rault01@univ- poitiers.fr). Ces propositions doivent comprendre un résumé (½ page environ) de l'article, accompagné d'une bibliographie succincte, ainsi qu'un court paragraphe précisant votre appartenance institutionnelle et vos domaines de recherche. La notification d'acceptation ou de refus des propositions interviendra le 13 juin 2014 au plus tard. L'envoi des articles rédigés est à prévoir pour décembre 2014 ; la publication des articles retenus est envisagée dans la revue LINX (1er semestre 2015).

BIBLIOGRAPHIE
Anis J. (avec J.-L. Chiss et C. Puech) (1988), L’Ecriture : théories et descriptions, éditions Universitaires.

Anis J. (2004), « Les linguistes français et la ponctuation », L’Information grammaticale n° 102, p. 5-10.

Artières Ph. (2013), La Police de l'écriture. L'invention de la délinquance graphique (1852-1945), La Découverte.

Bikialo S. (2004), « Le rivage des signes. Remarques sur la ponctuation et l'ailleurs », L'Information grammaticale, n°102.

Bordas E. (2008), « Style ». Un mot et des discours, Kimé.

Canut C. (2007), « L'épilinguistique en question, dans Les Linguistes et la norme (dir. G. Siouffi et A. Steuckardt), Berne, Peter Lang, coll. sciences pour la communication, p. 49-72.

Canut C. (1997), « Proposition théorique pour une analyse de l’activité épilinguistique », dans Actes du XVIe congrès international des linguistes, (éd. B. Caron), Oxford, Elsevier Sciences.

Dauvois N, Dürrenmatt J. (dir) (2011), La Ponctuation à la Renaissance, Classiques Garnier.

Drillon J. (1991), Traité de la ponctuation française, Gallimard, « Tel ».

Dufour Ph. (2004), La Pensée romanesque du langage, Seuil.

Dürrenmatt J. (1998), Bien coupé mal cousu. De la ponctuation et de la division du texte romantique, PUV.

Dürrenmatt J. (dir.) (2000), La Ponctuation, La Licorne, n°52, MSHS, Université de Poitiers.

Foucault M. (1971), L'Ordre du discours, Gallimard, 1971.

Goody J. (1979), La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Minuit.

Jenny L. (2012), « Mises au point », dans Critique n° 785, Minuit, p. 821-830.

Lignereux C., Piat J. (dir) (2009), Une langue à soi. Propositions, Presses Universitaires de Bordeaux.

Meschonnic H. (1982), Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Verdier. Orlandi E. (2007), « Un point c'est tout », dans Figures d'ajout. Phrase, texte, écriture, Presses Sorbonne Nouvelle.

Philippe G., Piat J. (2009), La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard.

Philippe G. (2013), Le Rêve du style parfait, PUF.

Rannoux C. (2004), Les Fictions du journal littéraire. Paul Léautaud, Jean Malaquais, Renaud Camus, Droz.

Rault J. (2014), « De la ''pause'' à la ''valeur'' en langue : grammaticalisation des signes de ponctuation ? », Congrès Mondial de Linguistique Française, Université libre de Berlin, 19-24 Juillet 2014.

Riffaud A. (2007),  La Ponctuation dans le théâtre imprimé au XVIIème siècle, Droz.

Saint-Gérand J.-Ph. (1993), Morales du style, Presses Universitaires de Toulouse-Le Mirail. Sarfati G.-E. (1997), Éléments d'analyse du discours, Armand Colin, coll. « 128 », 2005.

Serça I. (2012), Esthétique de la ponctuation, Gallimard.

Siouffi G. (2010), « La ''langue littéraire'' au tournant du siècle : d'une paradoxale survie », La Langue littéraire à l'aube du XXIe siècle, (dir. C. Narjoux C.), Presses Universitaires de Dijon.

Sioufi G., (dir.) (2012), "Sentiment de la langue et diachronie", Revue de linguistique française diachronique, Presses de l'Université Paris-Sorbonne.

Tournier C. (1980), « Histoire des idées sur la ponctuation, des débuts de l'imprimerie jusqu'à nos jours », Langue française, n°45.