Questions de société

"Il faut amplifier le mouvement mais sans blocage", G. Molinié (Libération.fr, 27/03/09

Publié le par Bérenger Boulay

Université : « Il faut amplifier le mouvement mais sans blocage », Tchat avec Georges Molinié, Libération.fr, 27 mars 2009

http://www.liberation.fr/societe/1201125-enseignants-chercheurs-quelles-suites-pour-la-contestation

Quatre présidents d'Universitéappellent au maintien de la mobilisation contre la réforme du statutdes enseignants-chercheurs, Georges Molinié, président de Paris-IV LaSorbonne, a répondu à vos questions.

Michael. Monsieur le Président, quelle suite pour les Enseignants-chercheurs mais aussi au sujet des Enseignants-vacataires ?

Georges Molinié. Parrapport à l'ensemble du mouvement d'aujourd'hui, il y a deux sujets quiont provoqué des réactions : un sur le statut des enseignantschercheurs, et un autre sur les filières de formations des professeursdes écoles, des collèges et des lycées. Sur le premier sujet, il y a euun mouvement très large de réactions, qui allaient des syndicats degauche aux syndicats de droite. D'une certaine manière, il y a eusatisfaction des revendications, avec la réécriture des décretsconcernant le statut. Mais, le nouveau texte, on ne l'a pas lu. Donc,j'appelle à la méfiance et à la vigilance.

Il y a trois autres points. Le premier concerne lacondition des personnels administratifs et, sur ce point, il y a eutrès peu d'avancées gouvernementales. Le deuxième point, ce sont lesétudiants. Les étudiants sont venus tard dans le mouvement. Maintenantqu'ils y sont, ils sont souvent radicaux. Les étudiants n'ont presquerien obtenu. Et puis, il y a le troisième point, qui est, pour moi,fondamental : c'est la formation des professeurs des écoles, descollèges et des lycées. Et, sur ce point, il y eu des avancées ou desreculades (ça dépend du point de vue) considérables, importantes, maisqui ne sont pas suffisantes.

Jean Luc. Comment expliquer aussique seuls 4 ou plutôt 5 Présidents soient co-signataires du texte quandla pression reste très forte presque partout : de quoi ont-ils peur ?(Professeur des Universités, Toulouse II)

J'ai été moi aussi professeur d'université à ToulouseII, pendant dix ans. Vous avez raison, je pense que la plupart desprésidents analysent comme nous la situation, mais que très peu ontl'honnêteté et le courage de la décrire telle qu'elle est. Votrequestion pourrait se poser autrement : que représentent les communiquésde la Conférence des présidents d'université (CPU) ? Je réponds que lescommuniqués de la CPU représentent la partie soft des apparatchicks.J'assume.

Tom. Une « université publique »dans laquelle les travailleurs ne sont plus fonctionnaires maiscontractuels, et que l'Etat ne finance plus... n'est-ce pas uneuniversité privée ?

Vous avez parfaitement raison, la politique actuelle dugouvernement est logique dans son idéologie, et toute la politiqueRecherche et Université est animée par une logique économiquementlibérale, qui tend à deux choses : 1/ la précarisation, 2/ laprivatisation. Ce que je combats totalement.

Yannik. Quelle sera la place desSciences humaines dans la réforme des universités et les chancesd'insertion professionnelle de doctorants dont le cursus en ce domainesemble aujourd'hui invalidé par des choix politiques de restrictionbudgétaire ?

Votre inquiètude me paraît légitime. L'air du temps esttout à fait néfaste à la pensée libre et critique, qui sontemblématisées par les disciplines littéraires, au sens large. Il estdonc normal que nous soyons en but à l'hostilité générale. L'ensembledes réformes actuelles est fondamentalement anti-intellectuel etanti-culturel.

Sorbonneengreve. Considérez-vousque vos revendications (retrait des 2 décrets : modulation des serviceset masterisation) est toujours un préalable à la fin de lamobilisation ?

La prise en considération des revendications concernantles deux points que vous énoncez est, en effet, un préalable à toutenégociation. Les négociations sont nécessaires. Ce que nous demandons,(la majorité des corps universitaires) c'est qu'on nous écoute, etqu'on négocie.

Ulysse. De nombreux étudiantscraignent pour leur année et rechignent à se mobiliser, même s'ilspartagent les revendications. N'est-il pas le moment d'annoncer queleur second semestre va leur être "donné", afin de leur permettre dedébuter un mouvement fort ?

On ne va pas "donner" un semestre, on va essayer devalider le semestre. En tant qu'un des leaders du mouvement, jesouhaite que nous puissions assurer le maximum de cours pour validerl'année et, en même temps, j'appelle à toutes formes d'actions àl'extérieur des universités. J'appelle à l'amplification du mouvementmais sans blocage des universités.

Sprach. D'abord bravo et mercipour votre engagement. Ensuite quelles sont vos relations avec leprésident de Paris I, et pourquoi ne se joint-il pas à vous ?

Merci pour vos encouragements. Je suis attaqué surtrois fronts. Il y a le front contre les mesures ministérielles et, eninterne, je suis attaqué sur deux fronts : le front des radicaux, quime reprochent de les avoir trahis, et le front des modérés, qui mereprochent d'avoir appelé à la révolution. Je suis donc trèsreconnaissant à ceux qui reconnaissent mon action. Il est clair quel'analyse et l'action du président de Paris I ne correspondent pas auxmiennes.

Jean. Au lieu de supprimer les IUFM, et d'installer la mastérisation, ne devrait-on pas rétablir les IPES ?

C'est une question de fond, je ne vais pas pouvoirrépondre vraiment sur le fond. Ce que je peux dire, c'est que laréforme actuelle est à la fois agressive et régressive, et que nousdevons profiter d'une année complète pour réfléchir à des améliorationsdu système actuel.

Storia. On assiste ces derniersjours à une répression de plus en plus dure qui vise à criminaliser lemouvement de protestation, par ailleurs pacifique. Des heurts ont eulieu jeudi dernier, avec des CRS, lors de l'occupation de la Sorbonne,et un moniteur de Paris IV (votre université) a été placé en garde àvue. N'est ce pas préoccupant qu'on en soit arrivé au point d'arrêterdes professeurs juste parce qu'ils manifestent ?

Je partage totalement votre avis. On assiste à deuxcaractères du mouvement actuel. Le premier caractère, c'est laradicalisation qui est une réponse à la politique de pourrissement dugouvernement, et le deuxième caractère c'est, en effet, lajudiciarisation et la politique de la répression. Je pourrais ajouteraussi l'organisation de la désinformation par le silence des médiasofficiels.

Jean-Luc. Comment expliquer-vous l'entêtement grotesque des ministres Pécresse et Darcos ?

Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est une maladie : ça s'appelle l'autisme.

Curieux. Pour parler d'autre chose, avez-vous un nouveau livre en projet ?

Oui, un livre sur la beauté.