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Habiter en étranger: quand le récit contemporain interroge notre rapport au monde (Paris)

Habiter en étranger: quand le récit contemporain interroge notre rapport au monde (Paris)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Samuel Harvet)

Habiter en étranger : quand le récit contemporain interroge notre rapport au monde 

Vendredi 17 juin 2016, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

Journée d’études organisée par Chloé Chouen-Ollier et Samuel Harvet, avec le soutien de l'équipe du CERACC, de THALIM et de l'École doctorale 120 de Paris 3

9h15       Accueil des participants

9h30       Mot d’ouverture : Chloé Chouen-Ollier, Samuel Harvet (Sorbonne Nouvelle)

L’écriture à l’épreuve d’un monde bouleversé

9h45      Anne Cousseau (Université de Lorraine)

           « S’approcher de Lampedusa : l’écriture migrante de Maylis de Kerangal dans À ce stade de la nuit »

10h15    Claire Colard et Zoé Courtois (ENS - EHESS / Paris IV)

             « Habiter chez soi en étranger »

10h40   Discussion et pause-café

L’identité au prisme de l’habiter

11h15    Stéphane André (Sorbonne Nouvelle)

            « Suite à l'hôtel Crystal : la chambre obscure d'Olivier Rolin. Autoportrait à la faveur d'un dépaysement géographique, fictionnel et intertextuel »

11h40    Tiphaine Samoyault (Sorbonne Nouvelle)

              Titre à préciser

12h30    Déjeuner

Interroger les frontières

14h30    Myriam Suchet et Sarah Mekdjian (Sorbonne Nouvelle / Université de Grenoble)

             « Travaux en cours - pour une univerCité à vivre »

14h55    Aurore Labadie (Sorbonne Nouvelle)

             « Habiter en aliéné : roman d'entreprise et dévoilement des nouveaux espace-temps de l'aliénation »

15h20     Johan Faerber (Sorbonne Nouvelle)

          « La grande étrangère ou la langue unanime du monde dans Autour du monde de Laurent Mauvignier »

15h45   Discussion et pause-café

16h15   Laurent Mauvignier – Entretien

             Modération : Chloé Chouen-Ollier et Samuel Harvet

17h30   Clôture de la journée

Adresse :   Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, site Sorbonne, Salle Max Milner, 2e étage escalier C, couloir de gauche, 17 rue de la Sorbonne, Paris, Métro Cluny Sorbonne.

Organisation : Chloé Chouen-Ollier (docteure en Littérature française, Sorbonne Nouvelle), Samuel Harvet (doctorant en Littérature française, Sorbonne Nouvelle)

Du mouvement, tout ce mouvement, il a du mal à comprendre. Comme s’il était étranger dans un pays dont la langue lui serait aussi inconnue que les coutumes. (Laurent Mauvignier, Des hommes)

« Habiter en étranger » : l’expression semble paradoxale, car habiter suggère une familiarité avec l’espace vécu. Mais la littérature contemporaine ne cesse de défaire ce lien entre le sujet et son ancrage territorial, pour nous rappeler la fragilité de nos constructions identitaires, les illusions du chez-soi comme celles du voyage. L’individu qui habite un territoire perçu comme étranger fait face à diverses formes d’altérité : étranger à sa patrie, lorsque l’individu est exilé, déterritorialisé, contraint à migrer ou parti de son plein gré. Étranger aux autres, lorsqu’il n’est plus en adéquation avec le monde qui l’entoure. Étranger à soi, lorsque le moi réalise la césure qui l’habite, lorsqu’il ne parvient pas à réaliser cette « herméneutique du sujet » dont parle Michel Foucault. Dans le sillage de la pensée postcoloniale, il s’agit d’envisager, à travers différents prismes, les manières d’habiter en étranger dans le récit de langue française des années 1990 à nos jours.

La migration d’un endroit à un autre, qui trouve une résonance toute particulière de nos jours, pose la question de la translation et des changements linguistiques, sociaux, culturels qu’elle peut entrainer ; de cette traversée, le récit contemporain se fait l’écho, consignant à travers l’espace de la page ce qui ne peut ou ne veut être circonscrit. Habiter en étranger serait donc faire une expérience, au sens étymologique : il s’agit d’éprouver, de se mettre en danger, tant sur le plan diégétique que scriptural. Par son travail sur le langage et sur les représentations qu’il véhicule, la littérature contribue à déconstruire les discours essentialistes sur l’étranger et les visions simplistes qui méconnaissent la diversité de ses situations sociales, de l’émigration à l’exil ou à l’expatriation.

Le récit, en tant que narration de trajectoires toujours singulières, constitue un espace privilégié pour rendre compte des modalités très diverses de cette expérience. Au-delà d’un habitat, c’est d’abord l’esprit d’un chez-soi que l’étranger tente de (se) recréer en habitant un nouveau milieu. Son itinéraire se fait alors quête, conquête d’un territoire qui pose tout à la fois la question de l’occupation et celle de la possession. Avec l’essor de la mondialisation et les transformations des paysages urbains contemporains, le regard porté sur une ville ou sur un pays n’est plus le même ; il est transformé, déporté dans un ailleurs depuis lequel se tisse un écart entre ici et là-bas. Cette modification du centre de gravité engendre une représentation de l’espace différente, que cette géographie soit mentale ou réelle. L’ancrage spatial du récit permet d’explorer le rapport particulier que l’individu étranger entretient avec son nouveau milieu, selon un large spectre qui peut aussi bien faire du territoire d’arrivée un « non-lieu de l’exil » (Alexis Nouss1) qu’un autre chez-soi. L’histoire personnelle de l’étranger s’apparente ainsi à un récit d’apprentissage, suivant un itinéraire qui complexifie  ses représentations initiales. Cette proximité entre narration et délocalisation repose sur des affinités profondes : habiter en étranger se présente comme un réajustement continuel, par lequel l’individu apprend à reformuler ses repères sociaux et culturels dans le langage du milieu d’arrivée.

Il s’agit d’étudier les récits qui explorent ce processus à travers des formes de vie singulières, en prêtant attention aux manières dont ces écritures problématisent et déconstruisent certaines représentations convenues de l’identité migrante ou du pathos de l’exilé. Ainsi, certains récits contemporains mettent en avant la question de la trace mémorielle du lieu quitté, aussi bien sur le mode d’une rupture salutaire que d’une perte nostalgique. Ces œuvres privilégient une manière d’habiter en étranger comme interaction entre identités culturelles d’origine et d’arrivée, et comme manière pour l’individu de négocier, au quotidien, ses appartenances multiples. Une autre série d’œuvres, rejetant l’idée d’une « identité-racine » (Glissant), valorise au contraire une conception transnationale de l’altérité, qui généralise l’expérience de l’étranger.

L’ouverture de la littérature sur un monde en perpétuel mouvement pose également la question de la langue, des langues, et des manières de nommer. Le bouleversement de la syntaxe narrative, la polyphonie, le choix d’une langue première ou seconde, sont autant de manières d’exprimer ces tensions propres à l’acte d’habiter - l’épreuve de l’étranger ne faisant que rendre plus visible et sensible « l’hybridité culturelle » (Alfred Schütz2) que chacun porte en soi. L’écriture permet aussi de contrer la « désignation politique » (Guillaume Le Blanc3) potentiellement discriminante impliquée par l’utilisation du vocabulaire de l’étranger, et d’ouvrir la voie, pour le sujet vivant hors de son milieu originel, à une réappropriation de sa situation. Si l’écrivain est celui qui « invente dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère […] » ainsi que le formule Deleuze à propos de Proust, il apparaît ainsi comme celui qui peut imaginer et façonner une nouvelle façon d’habiter. 

Alexis Nouss, La Condition de l’exilé. Penser les migrations contemporaines, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2015

2Alfred Schütz, L’Étranger (trad. Bruce Bégout), Paris, Allia, 2003

3Guillaume Le Blanc, Dedans, dehors : la condition d’étranger, Paris, Seuil, 2010