Essai
Nouvelle parution
H. Putnam, L'éthique sans l'ontologie

H. Putnam, L'éthique sans l'ontologie

Publié le par Marc Escola

L'éthique sans l'ontologie
Hilary Putnam

Pierre Fasula (Préfacier)

DATE DE PARUTION : 10/10/13 EDITEUR : Cerf COLLECTION : passages ISBN : 978-2-204-10130-1 EAN : 9782204101301 PRÉSENTATION : Broché NB. DE PAGES : 197 p.


Philosophe américain et professeur émérite à l'université d'Harvard, Hilary Putnam a tout d'abord exploré, dans ses premiers travaux datant des années 1960, la philosophie de la logique et des mathématiques, celle du langage et de l'esprit. A partir des années 1980, les questions liées au réalisme s'inscrivent au coeur de ses analyses, dans une perspective de plus en plus pragmatiste et wittgensteinienne.

Parallèlement, Putnam a toujours étudié les questions éthiques, notamment celles de la distinction fait/valeur et celles de la rationalité et de l'objectivité de nos jugements moraux. Dans L'Ethique sans Ontologie (Ethics Without Ontology, 2005), Hilary Putnam préfère aborder la question, plus générale, de l'objectivité des jugements éthiques. En accordant une place centrale à John Dewey, il achève la rupture avec le positivisme logique en éthique et participe du renouveau du pragmatisme.

 

*  *  *

Sur liberation.fr, on pouvait lire en date du 18/12/13 cet article de R. Maggiori:

"Le philosophe Hilary Putnam tâche de lui donner une objectivité

Simple ou complexe, un jugement de réalité - «Guayaquil est la capitale de l’Equateur», «le radium produit des neutrons s’il est mélangé au béryllium» - est sans équivoque : il est vrai ou faux, aussi compliquées que soient les procédures qui l’établissent. Il ne semble pas en aller de même pour un jugement de valeur, lequel, quand il est prononcé, met en jeu des conceptions, sinon des sensations ou des émotions, dont on dit immédiatement qu’elles diffèrent d’un individu à un autre. D’où les constants désaccords sur ce qui est esthétiquement beau, juridiquement équitable ou moralement bon - et les difficultés de l’éthique.

«Super-réalités». En théorie, les solutions ne manquent pas. Ces différends disparaîtraient s’il existait des valeurs, ou des «super-réalités», d’où découlent toutes les autres : le Bien, le Juste, le Beau. Une chose serait d’autant plus belle et une action d’autant plus bonne qu’elles se rapprocheraient de la Beauté idéale (idéelle) ou du Bien. On reconnaît là le schéma mis en place par Platon, dont on retrouve des variantes dans toute esthétique ou toute morale qui, s’adossant à une «théorie de l’être», une ontologie, trouvent une «vérité» aussi valide que celle qu’apporte un jugement de réalité («Quito est la capitale de l’Equateur»). Mais si on rejette toute ontologie, peut-on à la fois éviter de tomber dans un total relativisme et établir qu’un jugement de valeur est aussi objectif qu’un jugement logique ? C’est la tâche que se donne Hilary Putnam, l’un des plus grands philosophes américains, dans l’Ethique sans l’ontologie.

Itinéraire. Né d’un cycle de leçons données à Pérouse (Hermes Lectures) et à Amsterdam (Spinoza Lectures), publié en 2004, l’Ethique sans l’ontologie peut être lu en lui-même, et supporte qu’on ne le saisisse pas comme point d’aboutissement de tout l’itinéraire théorique, complexe, de Hilary Putnam - figure de proue de la philosophie analytique, mais aussi computer scientist et mathématicien, professeur honoraire de l’université de Harvard (où il a détenu dès 1976 la chaire de Modern Mathematics and Mathematical Logic), dont la pensée s’est développée au contact des courants de dérivation néopositiviste (il a suivi les cours de Hans Reichenbach et de Rudolf Carnap), puis de la tradition pragmatiste (John Dewey, William James, Charles S. Peirce…), de Wittgenstein, de Willard Van Orman Quine et, plus récemment, sur des problématiques religieuses et morales, de Franz Rosenzweig, Martin Buber ou Emmanuel Levinas.

Le livre tient exactement les promesses de son titre, autrement dit montre comment une vision pragmatique de l’éthique doit se désindexer des métaphysiques et des ontologies qui la rattachent à un principe unique ou la font dépendre d’autre chose qu’elle. Le travail de l’éthique, selon Putnam, n’est pas d’élaborer un «système», mais, selon les perspectives ouvertes par Dewey, de «contribuer à la solution des problèmes pratiques», laquelle résulte de raisonnements pratiques possédant leurs propres critères de vérité, d’objectivité ou de validité, «comme toute autre forme d’activité cognitive».

Les vérités mathématiques n’ont pas besoin, pour être vraies, d’objets extérieurs «vraiment existants» - y compris au sens des Idées platoniciennes - mais seulement de leur possibilité mathématique, définie, comme dirait Wittgenstein, par l’usage (démonstrations, applications…) de la mathématique elle-même. De la même façon, la vérité des jugements moraux ne dépend pas de ce qu’ils «correspondent» à des «objets» externes, intangibles, tels que le Bien, l’Utile, le Plaisir ou d’autres : ils possèdent une «objectivité sans objets», au sens où il n’est pas nécessaire, pour l’attester, de «fournir des raisons qui ne font pas partie de l’éthique».

Même si le fait que «tuer des innocents, escroquer, voler, etc., soit mauvais est accepté partout par des personnes dotées d’une conscience morale», les questions d’éthique soulèvent souvent des désaccords et, dans la mesure où elles mettent en jeu «un mélange complexe de croyances philosophiques, religieuses et factuelles», sont dites «insolubles». En prenant l’exemple de l’avortement, Putnam montre cependant combien il est «égarant» de déduire de l’«insolubilité des disputes métaphysiques» - qui évidemment apparaît telle si on se demande : «Quand le fœtus acquiert-il une âme ?» - l’«insolubilité des disputes éthiques» qui, elles, peuvent trouver des solutions, momentanées, «faillibles», perfectibles, par le raisonnement pratique. La cause du fourvoiement est donc toujours le mirage métaphysique ou ontologique.

«Statue». C’est pourquoi le philosophe américain s’attache à rédiger la «nécrologie» de l’ontologie, et des formes (inflationniste, déflationniste, réductiviste, éliminativiste…) qu’elle a prises de Platon à Quine. Son discours, qui convoque des questions de philosophie de la logique ou de philosophie des mathématiques, est certes complexe, mais ce qu’il veut dire de l’éthique est clair : c’est elle qui noue le plus étroitement la philosophie à la vie, et incite chacun à réfléchir sur «la manière raisonnable d’agir». L’éthique n’est pas une «noble statue se tenant au sommet d’un seul pilier», rivé à une «théorie de l’être». Elle serait plutôt «une table avec de nombreux pieds», dont on sait qu’«elle chancelle quand le sol sur lequel elle repose n’est pas régulier», mais qu’«elle est très difficile à retourner»."