Essai
Nouvelle parution
H. Marienské, Le degré suprême de la tendresse.

H. Marienské, Le degré suprême de la tendresse.

Publié le par Marc Escola

Héléna Marienské, Le Degré suprême de la tendresse, Paris, Editions Héloïse d'Ormesson, 2007, 220 p.

EAN : 2350870685

19 €

Des indomptables. Virginie, échappée des banlieues, rencontre Jésus en se livrant au stupre, aux drogues et à la spéculation immobilière ; une diablotine à figure d'ange, la marquise Héloïse, séduit un roi, mais lui préfère un capitaine de galère plus velu ; Flora improvise près de la PJ une bacchanale inspirée par un caïd amoureux. Elles ne manquent ni d'imagination ni d'appétit. Toutes sont libres. Libres et libertines, après avoir été contraintes, et de bien vilaine manière. On a tenté de leur encombrer la bouche. Elles ont coupé court.

Empruntant son titre à la définition du cannibalisme par Dalí, Héléna Marienské donne le ton : l'abus de pouvoir sera réprimandé avec insolence. Impeccable styliste, elle croque avec gourmandise La Fontaine, Céline et plus près de nous Perec, Angot ou Houellebecq. Sensuels et malicieux, ses huit pastiches explorent les délices de la subversion et mêlent plaisir du texte et du sexe. Un menu érotico-littéraire à déguster sans modération.

Héléna Marienské est l'auteur de Rhésus (2006), premier roman couronne par de nombreux prix. Agrégée de lettres, elle se consacre désormais à l'écriture et vit entre Paris et l'Auvergne

Extrait du livre :
UNE NOUVELLE DONNE DANS LE CHAMP DE LA SÉDUCTION

Voici ce que dit le Seigneur, le Dieu de votre aïeul David : Parce que vous n'avez point marché dans les voies de votre père Josaphat, ni dans celle d'Asa, roi de Juda, Mais que vous avez suivi l'exemple des rois d'Israël, et que vous avez fait tomber Juda et les habitants de Jérusalem dans la fornication, imitant la fornication de la maison d'Achab, et que vous avez fait tuer vos frères qui étaient de la maison de votre père, et meilleurs que vous, Le Seigneur s'en va aussi vous frapper d'une grande plaie.
II, Paralipomènes, XXI, 12-14

On l'a pratiquement oublié aujourd'hui, mais l'été 1998 vit s'épanouir en France un phénomène d'euphorie collective sans précédent. Le 12 juillet, «les Bleus» étaient devenus champions du monde. Largement médiatisé, l'événement avait déclenché une vague d'enthousiasme irrationnel que le professeur Woody Goldfeld, ethnosexologue américain, qualifia d'«orgasme collectif» dans sa monographie sur les aberrations sexuelles dans les civilisations matérialistes. D'après certains observateurs de l'époque, les inconnus s'embrassaient, faisaient la fête dans une ambiance proprement délirante. Les sentiments d'amour, de tendresse et de fraternité humaine qui n'existaient plus dans le pays qu'à l'état de reliquats avaient été brutalement réactivés. Le triomphe réitéré des Bleus, deux ans plus tard lors de l'Euro, apporta un point d'orgue à cette étrange frénésie, frénésie qui ne manqua pas de susciter diverses gloses dans la presse. On mit souvent l'accent sur un point : les femmes, traditionnellement hostiles à ce sport de beaufs, étaient devenues folles du foot. En réalité, des études sérieuses l'ont confirmé, elles ignoraient toujours ce qu'était une surface de réparation et confondaient lamentablement penalty et corner. Elles n'aimaient pas le foot, non, elles aimaient les footballeurs. Disons plus précisément qu'elles rêvaient de se faire foutre par un, voire plusieurs, footballeurs. Un bougnoule à moitié chauve était l'homme le plus populaire du pays.
Dans la société décomposée de cette fin de siècle, l'effondrement irréversible des valeurs familiales et religieuses avait eu pour corrélat la promotion d'un système structurant strictement individualiste. Les quelques personnalités qui continuaient à s'agiter grotesquement pour telle ou telle cause humanitaire faisaient décidément chier tout le monde. De fait, la compétition narcissique avait littéralement informé la vie des humains, elle en était devenue le volcanique épicentre. La France comme la plupart des pays de l'Union européenne bénéficiant, par contrecoup, de la reprise économique américaine qui avait préludé pendant quelques années à la terrible récession que l'on sait, les inégalités avaient été largement nivelées. C'est donc essentiellement dans la performance sexuelle que chacun cherchait désormais, lors de rapports protégés par des capotes, à faire valoir sa valeur intrinsèque. Réussir sa vie - concept né dans les années 70, et dont personne ne semblait songer à contester la pertinence - c'était réussir à être désirable («sexy» pour les femmes, «viril» pour les hommes) et donc à baiser plus que les autres. Ceci posé, «réussir sa vie», était-ce au fond si important ? «Le dernier acte sera sanglant, quelque belle que soit la comédie en toute chose. On jette quelques pelletées de terre, et c'est tout», disait Pascal. Il est vrai que Pascal n'était pas un fou du sexe. Et puis, qui le lisait ?

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On peut lire un premier article relatif à cet ouvrage sur le site BibliObs.com: "Houellebecq pour rire", par D. Jacob.