Essai
Nouvelle parution
H. Justin, Avec Poe jusqu'au bout de la prose

H. Justin, Avec Poe jusqu'au bout de la prose

Publié le par Florian Pennanech

Henri Justin, Avec Poe jusqu'au bout de la prose, Paris : Gallimard, coll. "Bibliothèque des idées", 2009, 416 p.

  • ISBN-13 : 978-2-07-012417-6
  • Prix : 29,50 €

Présentation de l'éditeur :

Inventeur de la nouvelle, du conte policieret de bien d'autres formes de la littérature populaire, annonciateur dela psychanalyse, Edgar Poe fut le frère spirituel de Baudelaire, lemaître proclamé de Valéry et de Mallarmé. En 1894, ce dernier cisela delui un portrait qui le place loin au-dessus de ses confrères humains eten fait « le cas littéraire absolu ». De longues années de familiaritéavec l'oeuvre de l'Américain ont convaincu Henri Justin que cetteétrange formule était la bonne.
Notant avec regret que Poe n'est plus guère perçu aujourd'huidans le monde francophone que comme un bon écrivain dans la veine dufantastique, voire un auteur pour la jeunesse, Henri Justin s'efforcede redonner à ses textes la logique de leur unité. L'image de Poe s'entrouve non seulement radicalement renouvelée, mais comme portée pourles générations actuelles à la hauteur où l'avaient placée ses premierstraducteurs. C'est que l'auteur fait profiter l'oeuvre de Poe de tout ceque Poe lui-même a apporté à la conscience littéraire et critiqueoccidentale : une esthétique au service du seul texte, qui vise àfonder le texte littéraire en droit, dans son essence, aidant en cela àpenser le fait littéraire.
Sans jargon, clair, captivant, passionné, le livre s'ouvre surune présentation générale de la vie et de l'oeuvre de Poe, après quoi ils'élance dans une exploration de son espace d'écriture. Loin de lathèse pour spécialistes, cependant, il s'avance par étapes, avec halteset détours. L'auteur a beaucoup labouré Poe, et s'il conduit le lecteurdans son oeuvre, c'est en guide qui connaît les bons coins et qui saitfaire goûter, sur les meilleurs exemples, l'écriture au travail.

2009 est l'année du bicentenaire d'Edgar Allan Poe, né le 19janvier 1809 à Boston ; cette commémoration sera l'occasion d'uneintense activité éditoriale et scientifique.

L'américaniste Henri Justin, né en 1937, est professeur honoraire auCentre d'études et de recherches sur les littératures de l'imaginaire –Université Paris XII. Il est le principal spécialiste français del'oeuvre de Poe, à laquelle il a consacré toute sa carrièreuniversitaire. Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles surle sujet, il a aussi traduit plusieurs de ses contes et poèmes.

*  *  *

On peut lire sur le site nonfiction.fr un article sur cet ouvrage:

"Avec Poe jusqu'au bout de la prose", par M. Taieb

*  *  *

Dans LE MONDE DES LIVRES | 07.05.09


"Avec Poe jusqu'au bout de la prose", d'Henri Justin : Poe, sous le signe de la perte

La Chute de la maison Usher, William Wilson, Double assassinat dans la rue Morgue, Le Puits et le pendule, Le Coeur révélateur, La Lettre volée, La Barrique d'amontillado... Qui n'a lu, en France, ces contes de l'Américain Edgar Allan Poe, traduits par Baudelaire et parus sous le titre Histoires extraordinaires? Ce sont des lectures d'adolescence, reprises avec passion à n'importequel âge, chargées d'un secret au pouvoir d'inquiétude intact. La Lettre voléeest même devenue, grâce à Jacques Lacan, un texte de référence pour lapsychanalyse et la notion de "phallus" - qui désigne ce qui justementse dérobe, comme Lacan le montre dans ses Ecrits.

 

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ Or, aux Etats-Unis, il fallut beaucoup plusde temps pour que Poe, tenu pour un auteur mineur, se voie reconnu lestatut de grand écrivain. En 1951 encore, un universitaire, PatrickQuinn, s'étonnait que Poe eût ici les honneurs de la Bibliothèque de laPléiade, et il comprit que c'était à Baudelaire qu'il les devait. Parla suite, il écrivit The French Face of Edgar Poe pour le faire reconnaître par ses compatriotes, et y réussit.

 

Dansun stimulant essai à la fois littéraire et discrètement biographique,Henri Justin retrace cet étrange détour par la France, par Baudelaire,Mallarmé et Valéry, qu'accomplit une oeuvre dont nul ne songe plusaujourd'hui, des deux côtés de l'Atlantique, à contester l'importance.Mais Poe est-il vraiment lu "à la hauteur de son génie ?", s'interroge Justin.

Néà Boston, en 1809, d'un couple de comédiens, orphelin de sa mère àl'âge de 3 ans et n'ayant jamais connu son père, Edgar Poe futrecueilli par John Allan, un négociant, et sa femme, qui l'élevèrent àRichmond, en Virginie. Plus tard, il partagea sa vie entre le Nord etle Sud, fortement marqué par cette polarité américaine. A 27 ans, ilépousa une cousine, Virginia, âgée de 13 ans. Journaliste, il finit savie à Baltimore, alcoolique au dernier degré. Il mourut à 40 ans, en1849, "multiple orphelin de l'amour". C'est à peu près toutpour sa vie, avec quelques succès littéraires, très en deçà de sesattentes, et beaucoup d'ennuis d'argent.

Cette existence se déroule sous le signe d'une perte bien illustrée par le conte Ligeia: le narrateur aménage une chambre mortuaire où il abrite sa nouvellefemme, la blonde et diaphane Rowena, jusqu'à ce que celle-ci, malade,se transforme en Ligeia, la première épouse, brune flamboyante, dont ilest le veuf inconsolé et extatique. Là réside le drame propre à lapersonnalité de Poe : il ne peut aimer que pour la mort et n'atteindrajamais, affectivement, l'âge adulte. Son célèbre poème Annabel Lee est un hymne à l'amour adolescent, promis à la mort : "J'étaisencore enfant, et elle tout autant,/Dans ce royaume de la mer./Maisnous nous aimions d'un vrai amour, tant et tant,/Moi et mon Annabel Lee".

Maiscette fixation est aussi ce qui donne leur profonde résonance à sescontes où la fiction, à travers un réalisme proprement fantastique,nous parle de nos attentes et de nos craintes les plus irrationnelles,avec pour effet majeur la fascination. "Ce que fait Poe dans ses plus grands contes, c'est de porter à incandescence ce paradoxe du récit (qui est de "savoir" qu'il va finir), c'estde mettre en scène une parole qui va à sa perte et prend son sens danscette perte anticipée. Pour qui accepte cette lecture, il y a en touteentreprise littéraire un fond tragique, et Poe, tout en jouant lesénergumènes dans les marges de la grande littérature, se cache en soncentre, écrit excellemment Henri Justin. L'intellect de Poe n'est pas seulement aigu, il est tout entier animé par le goût de s'accomplir par l'excès qui le noie." D'où cette belle formule : Poe est "enfermé dans son propre infini" et nous y enferme avec lui.

HenriJustin discute évidemment la lecture des contes de Poe par lespsychanalystes, Marie Bonaparte en premier, puis Jacques Lacan, suivispar une kyrielle d'autres - en 1988, un livre, The Purloined Letter, rassembla le dossier des interprétations psychanalytiques des contes de Poe. "Quel autre écrivain a fourni un tel champ clos aux joutes intellectuelles de la seconde moitié du XXe siècle ?", demande-t-il.

Endéfinitive, la thèse de ce livre est que le secret reste la marque laplus sensible d'une oeuvre qui va bien au-delà du conte à mystère, etce, grâce à une prose fascinante que Baudelaire, note Henri Justin, aparfois trop raisonnablement lissée en français.

AVEC POE JUSQU'AU BOUT DE LA PROSE d'Henri Justin. Gallimard, "Bibliothèque des idées", 414 p., 29,50 €.
Michel ContatArticle paru dans l'édition du 08.05.09