Questions de société

"Grève des professeurs de l'Université du Québec à Montréal", par P. Nagy (SLU 29/03/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

"Grève des professeurs del'Université du Québec à Montréal", par Piroska NAGY, maître deconférence en détachement, professeure à l'UQAM.

Lecorps professoral (corps uni d'enseignants-chercheurs statutaires, autotal plus de 900 personnes) de l'UQAM est en grève, et ceci depuismaintenant plus de 3 semaines. Il l'est pour obtenir le renouvellementde sa convention collective avec la revendication de conditions detravail améliorées, et plus largement : pour en finir avec unsous-financement chronique de cette très grande université populaire ducentre de Montréal. Nous autres professeurs ne sommes pas les premiersà exprimer notre mécontentement à l'UQAM. Parallèlement auxrevendications du syndicat des professeurs (le SPUQ), les employés ontaussi (SEUQAM) leurs revendications, dont le mot d'ordre est « On n'estpas coupables » - à savoir, pour le gouffre financier de l'UQAM, que ladirection invoque continuellement pour expliquer les suppressions depostes dans l'administration. Ils ne sont toutefois pas (encore ?) engrève, contrairement à nous. Les étudiant-e-s employé-e-s del'université sont également syndiqués (SÉTUE) et il y a nombred'associations d'étudiants facultaires qui soutiennent, maintenant, lemouvement et dont plusieurs se sont mis en grève cette semaine. Jeudimidi, le 26 février, s'est tenue la première assemblée générale de lacommunauté uqamienne, dans l'histoire de l'UQAM – qui fêtera ses 40 ansle 1er avril, c'est à dire dans la semaine – et qui a rassemblé toutesles composantes, comme preuve de désir de cohésion des différentsacteurs de l'université pour une relance de l'UQAM, à comprendre avanttout comme un refinancement sérieux.

Ce qui a abouti à la grève actuelle des professeurs etau mécontentement grandissant de toute la communauté de l'UQAM –professeurs et maîtres de langue, chargés de cours, étudiants employés,étudiants et employés de soutien qui, dans cette lutte, deviennent deplus en plus solidaires… – c'est la conjonction de trois facteurs,inséparables pour comprendre la situation :

  • des dépenses irresponsables engagéespar la direction de l'UQAM autour d'un investissement immobilier(l'« îlot voyageur ») entamé en 2005, dont le gouvernement du Québec etle (nouveau) rectorat de l'université font porter le poids sur lacommunauté universitaire, tant du côté des conditions de travail que decelles de l'apprentissage ;
  • l'arrivée àéchéance, en 2007, de la convention collective de deux corpsd'employés, les professeurs et des maîtres de langue ; et la récentearrivée à échéance de la convention collective de la SÉTUE, égalementen attente de négociation ;
  • enfin la préparation,par le Ministère de l'Éducation, du Loisir et des Sports (sic) duQuébec, d'un projet de loi (« la loi 107 ») qui vise à revoir lesmodalités de la gouvernance des universités, l'encadrement desprofesseurs et leur charge d'enseignement, et que le gouvernementcherche sans doute à finaliser avant de renégocier la conventioncollective.

Comme tout ceci intervient dans un contexte de longuedurée depuis longtemps défavorable – à savoir que l'UQAM estnotoirement sous-financée depuis des décennies par rapport à toutes lesautres universités du Québec, tant en termes de ratioprofesseurs/étudiants, de conditions de travail qu'en termes desalaires – et un contexte immédiat de crise, la direction de l'UQAM etle Ministère qui la finance ont refusé de négocier la conventioncollective, échue en mai 2007, depuis 22 mois. Mais la patience mêmedes « gentils québécois », des professeurs d'université qui ne comptentpas leurs heures de travail (n'est-ce pas ?), a des limites. Et ducoup, les profs ont décidé de se mettre en grève puis de la prolonger,de semaine en semaine, par un vote syndical au bulletin secret de plusen plus fort (65% d'abord, 75% après la première semaine, 80% après laseconde, 91% ( !) après la troisième) et un taux de participation élevé(plus de 600 votants sur l'ensemble du corps professoral).

Depuis, nous faisons des piquets de grève en troistournées par jour autour de l'UQAM, dont le site est dispersée entreplusieurs bâtiments de centre-ville, pour empêcher que les gensrentrent – et que quelques cours de chargés de cours – qui, eux, sontsous convention collective et n'ont pas le droit de faire la grèveselon le Code du travail – se tiennent. Pendant ce temps là, noussommes visibles dans la rue, qu'il pleuve ou qu'il neige, ou que, deplus en plus, il y ait du soleil printanier ici aussi. Depuis, nousmanifestons dans les rues et organisons toutes sortes d'activitésalternatives, des ateliers et conférences aux gestes de visibilitéartistiques et politiques, et bientôt l'UPAM, l'université populairedans la rue : tout comme en France.

Les raisons de cette mobilisation sont très proches decelle de la France, et le contexte politique – le souhaitgouvernemental de faire des universités des entreprises néolibérales —ressemble « étonnamment ». Toutefois les conditions des professeurs del'UQAM sont, en partie, très différentes de celles desenseignants-chercheurs français, et dans un contexte où l'autonomie desuniversités françaises est en voie de devenir un fait, cela vaut lapeine d'examiner quelques unes de ces différences.

  • Ici les professeurs ne sont pas desfonctionnaires : les universités, publiques, fonctionnent sousconventions collectives, négociées par les syndicats des employés avecla direction. Les postes de professeurs sont vouées à la permanence etson obtention (du moins à l'UQAM) est quasi automatique.
  • La charge de travail ou « tâches » professorales sont depuis longtempsdéfinies (même si on peut discuter si notre salaire hebdomadaire doitse découper en 5 ou 7 journées de travail, et de combien d'heures),autour de trois tâches : enseignement, recherche et service à lacollectivité.
  • Les syndicats sont locaux, forméspar un corps d'employés qu'ils représentent. La participation ausyndicat est obligatoire, et la cotisation prélevée sur le salaire,avec les autres prélèvements. Corporatistes sans doute, et moinspolitiques nécessairement que les syndicats nationaux français, cessyndicats ont l'immense avantage de représenter, à travers leurs élus,la volonté majoritaire des employés.
  • La grève,officiellement et nécessairement aussi, porte sur les trois tâches(bien que nous sachions tous que ce n'est pas parce qu'on n'est paspayés qu'on arrêterait de penser voire d'écrire…) ; et comme tous lesprofesseurs sont en grève si celle-ci est votée en assemblée générale,aucune difficulté de la direction à « repérer » les grévistes… Poursurvivre, par conséquent, nous recevons des allocations de grève, sinous participons aux piquets et activités de grève : la syndicalisationobligatoire est la contrepartie de l'autonomie universitaire, et elleest en ce moment fort salutaire pour tous.
  • Ici,les syndicats sont forts parce qu'obligatoires, et la démocratieuniversitaire fonctionne. Il suffit de venir voir une de nos assembléesgénérales, qui donnent l'impression d'un corps professoral et d'unecommunauté universitaire conscients, disciplinés, démocratiques etsolidaires.

Enfin, pour de plus amples renseignements, tout intéressé peut se tourner vers les sites suivants :