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Génocide, justice et témoins. Des discours de la justice aux discours sur la justice.

Génocide, justice et témoins. Des discours de la justice aux discours sur la justice.

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Catalina Sagarra)

Appel à communications

3 juillet - 5 juillet 2013

Université McMaster

 

Génocide, justice et témoins

Des discours de la justice aux discours sur la justice

 

Témoigner est un acte fondamental et essentiel au fonctionnement de la justice. Le recours au témoignage, en convoquant les témoins directs - les survivants dans les cas de génocide- et les experts - les historiens depuis quelques décennies, les journalistes, etc.- constitue le mode de preuve que l'on recevra au prétoire. Tous ces témoins attesteront solennellement par leur déclaration de la véracité des faits. Tout individu possédant la connaissance personnelle d'un événement peut ainsi en témoigner, s'il se conforme, dans un cadre judiciaire, au formalisme exigé pour recueillir la substance de sa déposition. Tous les témoins ne sont donc pas retenus et certaines personnes sont sciemment exclues de la liste des témoins potentiels.

Mais l'importance de la preuve testimoniale peut varier. Il peut s'agir de preuves légales et la loi détermine alors quelles sont les différentes preuves admissibles et leur force probante, ou de preuves libres, le juge appréciant alors seul les divers éléments de preuves qui lui sont présentés. Dans ce dernier cas, le témoignage est fondamental et le témoin, à charge ou à décharge, sera entendu soit sur les faits, soit sur la personnalité du prévenu. Ces témoins seront dits de "moralité". En outre, les témoins ont l'obligation de sincérité, le faux témoignage constituant une transgression du serment prêté. Voilà comment un cadre judiciaire entend, depuis l'invention de la preuve par les Grecs, donner aux témoins un espace légal où leurs discours seront entendus, jugés et serviront à leur tour à juger les crimes et les auteurs d'un crime. Mais qu'en est-il réellement dans les cas de génocide ?

Convoquant dans une même enceinte victimes directes (les témoins) et exécutants ou planificateurs de génocide, la justice peut-elle répondre à la fois à l'idéal philosophique et moral qu'elle incarne lorsque les victimes sont, par exemple, malmenées par les avocats de la défense, comme ce fut le cas de nombreuses veuves rwandaises, violées et contaminées par le VIH-SIDA dont étaient porteurs leurs agresseurs? Comment peut-on, comment faut-il comprendre ou définir cet "art du bon et de l'égal", comme définissait la justice une formule médiévale ?

Surtout que dans les cas de génocide, toutes les victimes directes ne sont pas appelées à témoigner, autrement dit, leurs paroles ne sont pas convoquées, ne sont pas entendues et, ces victimes-témoins, sont dès lors marginalisées, voire aliénées dans leur vécu, par leur vécu, tant au présent qu'au futur, sans liens ni rapports quels qu'ils soient avec une quelconque justice réelle ou idéale. Pour pallier cette défaillance, certaines d'entre elles se sont mises à l'écriture. Ainsi ont vu le jour des récits de témoignage, mais également des productions cinématographiques, souvent fort proches du reportage, des reportages proprement dits, des documentaires, le tout afin de constituer des témoignages, tant de témoins survivants que de divers experts qui expliquent, à partir de leur champ d'expertise, qui les conditions politiques pré-génocidaires, qui les conditions sociales, qui les alliances idéologiques, qui le génocide et les réactions (ou manque de réactions) de la communauté internationale. Et, pour aborder le projet génocidaire une fois celui-ci mis en marche, voire mener à son terme, un autre type de témoignages voit le jour, rapportant du vécu, des jugements sur un état de société, des appréciations sur la justice, celle qui voit le jour, comme celle qui devrait voir le jour, aux yeux des victimes. Récits de témoignage, films, documentaires, oeuvres d'art picturales, romans, poésies, pièces théâtrales, recherches en traumatologie, traités d'histoire, travaux en éducation, en communication, etc. viennent reprendre inlassablement cette matière où l'homme est au centre du drame, de La Catastrophe, de sa propre destruction en tant qu'espèce. Où la volonté de comprendre se heurte à l'impossibilité de le faire. Où les leçons ne semblent jamais apprises. Où la soif du pouvoir absolu sur la vie de son semblable l'emporte sur le principe de survie de l'espèce. Où le nihilisme est à l'honneur.

Devant tout génocide, la justice est, comme instance légale (préventive, rétributive, réhabilitative ou restaurative) ou comme visée idéale vers laquelle les victimes voudraient que tende la justice, non seulement une tentative de rétablissement de la dignité humaine, mais surtout un exercice du droit (exercé dans une cour ou revendiqué par les victimes dans des cadres extrajudiciaires). Cet exercice entend veiller à la réparation de l’idéal moral de la responsabilité, de l’idéal social du vivre ensemble et de l’idéal politique de l’aménagement de l’espace citoyen qui favorise la liberté pour tout le monde.

Par ailleurs, si nous devions remonter en amont du crime, nous constaterions que les institutions judiciaires ont au préalable failli à leur rôle indépendant de tiers entre l'état et les citoyens, permettant ainsi qu'un génocide se prépare grâce au terrain soigneusement travaillé par l'État. N'ont-elles pas échoué à l'heure de veiller à l'équilibre et donc à la stabilité dans les relations entre citoyens? N'ont-elles pas failli à ces deux principes fondamentaux de tout système judiciaire: l'indépendance et l'impartialité ?

Comment dès lors convoquer la justice dans un contexte où sa défaillance gouverne la marche de l’histoire ? L’extermination des Herero, des Juifs, des Cambodgiens ou des Tutsi sont autant de preuves du manquement de la justice à la sauvegarde du droit fondamental et inaliénable de toute personne, le droit à la vie. Que le besoin de cette même justice se fasse sentir après les faits n’est que naturel et nécessaire pour la reconstruction d’une société juste et responsable. C’est de ce contraste entre l’échec et la nécessité de la justice que naît l’idée de ce colloque qui se propose de réfléchir sur la justice dans ses rapports avec le génocide, le témoignage, les témoins directs (victimes), leurs descendants et les tiers (experts). Comme les précédentes éditions, ce colloque se veut à nouveau pluridisciplinaire et accueillera des propositions en français et en anglais. Nous proposons comme axes de réflexion les problématiques suivantes :

 

De point de vue des victimes, voire des descendants des victimes, il serait intéressant de voir quelles sont les revendications, les attentes, les appréciations portées sur la justice en tant qu'entité légale d'une part, mais aussi en tant qu'idéal social, d'autre part, qu'il s'agisse ici de justice préventive, rétributive, réhabilitative ou restaurative D'un point de vue préventif, les faillites successives des mécanismes qui pourraient endiguer un génocide quand il se met en marche méritent que l'on s'y attarde D'un point de vue institutionnel, les possibilités ou impossibilités de mise en place d'instances juridiques pour juger le crime de génocide éclaireront sur les perceptions que la communauté internationale peut avoir sur tel ou tel peuple D'un point de vue philosophique, il convient également de se pencher sur les modalités qui façonnent ce que l'on peut comprendre/concevoir en termes de responsabilité, surtout envers les victimes D'un point de vue juridique, plusieurs écueils méritent d'être relevés : 1. ceux rencontrés par la justice conçue pour être opérationnelle à une échelle micro, alors que dans les cas de génocide, victimes et exécutants se comptent par milliers, 2. les écueils qu'elle rencontre à l'ère médiatique où avocats, souvent d'ailleurs ceux de la défense, paradent de par le monde pour bafouer le système judiciaire et défendre hors cour leurs clients, 3. faisant suite au point précédent, il importe de se pencher sur les cas où la justice, ou du moins ses représentants, côtoie les négationnistes. Autrement dit, les diverses alliances idéologiques extrajudiciaires qui se forment sur fond de justice.  D’un point de vue moral, il s’agira d’étudier les débordements de la justice ce qui permettrait de rendre compte soit de ses manquements au devoir de rétablir la dignité humaine, soit de ses prises de positions contraires à l’éthique judiciaire, pour aborder par exemple les cas de corruption, de voyeurisme et même de “soutien direct” de certains juges à des génocidaires ; il s’agira aussi d’étudier l’impossibilité et les conditions nécessaires de cette impossibilité de la justice à rendre justice.

Ce ne sont là que des pistes de réflexion qui n'excluent aucunement d'autres propositions qui se conforment au cadre fixé par cet appel et reflété dans le titre de cet argumentaire.

 

Calendrier

Date de soumission des propositions : 30 décembre 2012

Notification d'acceptation : 31 janvier 2013

Envoyez vos propositions (250 mots MAXIMUM) en français ou en anglais. N'oubliez pas d'y inclure votre nom, adresse électronique et affiliation institutionnelle (le cas échéant) à l'une des deux adresses suivantes :

 

Catalina Sagarra : catalinasagarra@trentu.ca

Eugène Nshimiyimana : nsheug@mcmaster.ca

 

Comité scientifique : Eugénia Do Santos, McMaster University, Eugène Nshimiyimana, McMaster University; Catalina Sagarra, Trent University; Josias Semujanga, Université de Montréal; Jacques Walter, Université de Metz.

 

Frais d'inscription : 60 $ CAD

 

Les communications retenues pour ce colloque feront l'objet d'une publication ultérieure.

 

 


 

Call for papers

July 3rd - July 5th 2012

McMaster University

 

Genocide, justice and witnesses: From justice discourses to discourses about justice

 

 

To witness is a fundamental and essential act for the functioning of justice. The recourse to testimony, by convening direct witnesses - survivors in the cases of genocide - and experts - historians (for a few decades), journalists, etc - constitutes the type of proof that one will receive at the praetorium. All these witnesses will attest solemnly by their declaration to the veracity of the facts. Any individual having personal knowledge of an event can thus testify about it, if he/she conforms, within a legal framework, with the formalism required to collect the substance of his/her deposition. All the witnesses are thus not retained and certain people are knowingly excluded from the list of potential witnesses.

 

But the importance of the testimonial proof can vary. This proof can be legal evidence and the law then determines which evidence is acceptable and its conclusive force, or it can be free evidence, in which case the judge appreciates only the various elements of evidence which are presented to him/her. In this last case, testimony is fundamental and the inculpatory or exculpatory witness will be heard either on the facts, or on the personality of the defendant. These witnesses will be known as having “moral standards”. Moreover, the witnesses have the obligation of being honest, false testimony constituting a transgression of the given oath.

This is how a legal framework is understood, since the invention of proof by the Greek, to give witnesses a legal space where their discourse will be heard, judged and used in its turn to judge the crimes and the authors of crimes. But what really happens in the cases of genocide? 

 

Convening in the same enclosure direct victims (witnesses) and executants or planners of genocide, can justice answer at the same time the philosophical and moral ideal which it incarnates when the victims are, for example, abused by defence counsels, as was the case of many Rwandan widows, raped and contaminated by the HIV-AIDS that their attackers were carrying? How can one, how must one understand or define this “art of the good and equal”, as justice was defined by a medieval formula?

 

Especially in the cases of genocide, all the direct victims are not called to testify, in other words, their words are not convened, are not heard and, these victim-witnesses, consequently are marginalized, even alienated in their story, by their story, in the present as well as in the future, with no links or relationship with any real or ideal justice. To mitigate this disappointment, some of them started to write. 

 

Thus were born personal accounts, but also cinematographic productions, often very close to the news report coverage, the news reports themselves, documentaries, everything that constituted testimonies of surviving witnesses as well as of various experts who explain, starting from their field of expertise, the pre-genocidary political conditions, the social conditions, the ideological alliances, the genocide and reactions (or lack thereof) of the international community. And, to approach the genocidary project once this (started) began, or even concluded, another type of testimony was born, reporting on the events experienced, judgements on a the state of the society, interpretations/assessments of the justice system, all seen, as it should be, from the eyes of the victims. Accounts of testimony, films, documentaries, pictorial works of art, novels, poetry, plays, research in traumatology, history treaties, work in education, in communication, etc., tirelessly come to pick up this matter once again where man is at the centre of the drama, the Catastrophe, at the centre of his own destruction as a species. Where the will to understand clashes against the impossibility of doing it. Where the lessons seem to never be learned. Where the thirst for absolute power over the life of his fellow man prevails over the principle of survival of the species. Where nihilism is in favour.

 

Before any genocide, justice is, as a legal authority (preventive, retributive, rehabilitative or restorative) or as an ideal which the victims would like that justice to be, not only an attempt to re-establish human dignity, but especially an exercise of the right (exerted in a court or asserted by the victims within extra-judicial frameworks). This exercise intends to deal with repairing the moral ideal of responsibility, the social ideal of living together and the political ideal of the adjustment of the citizen’s space which supports freedom for everyone.

 

In addition, if we were to go back before the crime, we would notice that the legal institutions independent of a third party, failed initially in their role between the state and the citizens, allowing a genocide to be prepared thanks to the groundwork carefully established by the State. Did they not fail at maintaining the balance and thus the stability in the relations between citizens? Did they not fail at these two fundamental principles of any legal system: independence and impartiality?

 

Consequently, how could justice be convened in a context where its failure controls the progress of history? The extermination of the Herero, the Jews, the Cambodians or the Tutsi is as much evidence of the failure of justice to safeguard the basic and inalienable right to live. That the need for this same justice is felt after the facts is only natural and necessary for the rebuilding of a right and responsible society. It is of this contrast between the failure and the need for justice that the idea for this conference is born. The conference proposes to reflect on justice in its relationship with genocide, testimony, direct witnesses (victims), their descendants and the third parties (experts). As in the preceding editions, this one will be pluridisciplinary and will welcome proposals in French and English. We propose as axes of reflection the following problems:

 

1- From the point of view of the victims, or their descendants, it would be interesting to explore the claims, expectations, assessments/interpretations related to justice as a legal entity on the one hand, and as a social ideal on the other hand, be it about preventive justice, retributive, rehabilitative or restorative.

2- From a preventive point of view, the successive failures of the mechanisms which could bring genocide to a halt when it has started deserve our attention.

3- From an institutional point of view, the possibility or impossibility of setting up of legal authorities to judge the crime of genocide will bring light on the perceptions of the international community.

4- From a philosophical point of view, it is also worthwhile to consider the methods that work, what one might include/understand/conceive in terms of responsibility, especially towards the victims.

5- From a legal point of view, several pitfalls deserve consideration: 1. those met by justice conceived to be operational on a micro scale, whereas in the cases of genocide, victims and executants amount to the thousands, 2. the pitfalls which it meets in the media era where lawyers, often those of the defence, parade all over the world to ridicule the legal system and to defend their clients outside the court, 3. in accordance with the preceding point, it is important to consider the cases where justice, or at least its representatives, comes in close contact with demiers; In other words, various extra-judicial ideological alliances which are formed on the basis of justice.

6- From a moral point of view, it will be a question of studying the excesses of justice which would make it possible to give an account either of its failures to the duty to restore human dignity, or of its contrary standpoint to legal ethics, to approach for example the cases of corruption, voyeurism and even certain judges' “direct support” of genocidaire; it will also be a question of studying the impossibility and the necessary conditions of this impossibility of justice to return justice.

These are only a few suggestions that do not exclude other proposals which conform to the framework set by this call for papers and reflected in the title of this proposal.

 

Calendar

 

Deadline for submission of abstracts: December 30th, 2012

Notification of acceptance: January 31th, 2013

 

Please send abstracts (250 words max), including your name, email address, institution (if applicable) to one of the following addresses:

 

Catalina Sagarra : catalinasagarra@trentu.ca

Eugène Nshimiyimana : nsheug@mcmaster.ca

 

Scientific committee : Eugénia Do Santos, McMaster University, Eugène Nshimiyimana, McMaster University; Catalina Sagarra, Trent University; Josias Semujanga, Université de Montréal; Jacques Walter, Université de Metz.

 

Registration fee: 60 $ CAD

 

The chosen proposals will be published in the proceedings of the conference.