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Génie et genèse de la poésie anglaise à l'époque moderne

Génie et genèse de la poésie anglaise à l'époque moderne

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Rémi Vuillemin)

Ce projet, comprenant deux volets, le premier à Strasbourg (19-21 mai 2016), le deuxième à Paris (mai 2017), se penchera sur l’évolution de la poésie anglaise à l’époque moderne. Il traitera de questions formelles et génériques, mais aussi de la matérialité des poèmes en tant qu’objets, de leurs différents modes de circulation au-delà des frontières par le biais de la traduction et des échanges diplomatiques. Puisque Nikolaus Pevsner a défini le génie de l’art anglais (particulièrement l’architecture) par son caractère composite, nous tenterons de déterminer si une manière spécifiquement anglaise de penser et de pratiquer la poésie a pu émerger au cours des ères Tudor et Stuart.

 

Première partie : Le Triomphe du sonnet ?

Le premier volet (Strasbourg, 19-21 mai 2016) portera sur la poésie lyrique des XVIe et XVIIe siècles, et plus particulièrement sur la prévalence (réelle ou supposée) du sonnet à l’époque. Les communications aborderont la poésie anglaise ainsi que ses sources classiques et modernes telles qu’elles furent reçues dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles.

 

Le sonnet, poème de cour, fut introduit en Angleterre puis adapté à la langue anglaise par Sir Thomas Wyatt et Henry Howard, Comte de Surrey. Les grandes anthologies poétiques, qui fleurirent au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, permirent une diffusion de la forme bien au-delà de la grande aristocratie. Le sonnet connut son apogée dans les années 1590, puis déclina dès la décennie suivante. Il perdura cependant assez tard au XVIIe siècle, chez des poètes aussi importants que George Herbert ou John Milton. La perspective téléologique selon laquelle la poésie écrite des années 1530 aux années 1570 n’aurait d’intérêt que comme préfiguration de l’Âge d’Or élisabéthain a cependant été remise en cause par des études récentes ; de même, il semble nécessaire de nuancer l’idée selon laquelle le tournant du siècle fut marqué par une révolution poétique afin d’analyser les problèmes d’identité, de transmission, de filiations et d’affiliations poétiques dans toute leur complexité.

 

 

La persistance de la forme sonnet a pour contrepartie un certain flou lié à son inscription générique incertaine, et au peu de définitions précises qu’elle reçoit dans l’Angleterre du XVIe siècle. Le poète George Gascoigne rappelle à son lecteur que l’étymologie du terme renvoie aux chansons et à la musique ; il recouvre ainsi une autre catégorie difficile à définir, le genre lyrique : « Certains pensent que tous les poèmes courts peuvent être appelés sonnets, puisqu’il s’agit d’un terme diminutif dérivé de ‘suonare’. » Mais Gascoigne préfère adopter une définition plus étroite, fondée sur la forme du poème : « mais je ne peux vraiment appeler sonnets que ceux qui font quatorze vers, chaque vers comprenant dix syllabes. Les douze premiers riment par strophes de quatre vers en rimes croisées, et les deux derniers, en rimes plates, concluent le tout » (George Gascoigne, Certain Notes of Instruction Concerning the Making of Verse or Rhyme in English, 1575, notre traduction). Les problèmes posés par la définition du sonnet s’inscrivent en Angleterre dans un débat plus large sur la nature du poème : est-ce le rythme, le décompte syllabique, ou bien encore les rimes qui permettent de le caractériser ?

 

Ces questionnements font écho aux pratiques poétiques de l’époque, qui tendent à échapper aux tentatives de codification. Qu’en est-il alors du développement de la théorie poétique en Angleterre ? L’adoption de nouvelles formes poétiques comme le sonnet a-t-elle été conditionnée pat une théorie explicite ou implicite ? Les tentatives de codification sont-elles inspirées de traités provenant du Continent, ou uniquement de la poésie ? Les revendications d’anglicité, quand elles sont formulées dans un poème italianisant comme le sonnet,  soulignent paradoxalement le rôle central de l’imitation. Dans la dernière version de son recueil de sonnets intitulé Idea (1619), Michael Drayton définit l’anglicité de sa muse par la rapidité avec laquelle elle passe d’une mode à l’autre : « My Muse is rightly of the English straine, / that cannot long one Fashion entertaine ». Le changement de modèles (antiques ou issus de la littérature européenne moderne), le passage d’une « mode » à l’autre, peuvent permettre de mieux comprendre les conditions de la naissance et du développement du sonnet anglais.

 

La réception et la théorisation du sonnet en Italie comme son adaptation à la langue française aux XVIe et XVIIe siècles seront au centre de nos interrogations. Les poètes italiens et français dont s’inspirèrent les sonnettistes anglais (par exemple Pétrarque, mais aussi Serafino Aquilano puis plus tard Tebaldeo et Tasso pour les italiens, Scève, Ronsard, Du Bellay mais aussi et peut-être surtout Desportes pour les français) furent lus et compris de diverses manières au cours des XVIe et XVIIe siècles. La réception du quatorzain en Europe continentale à une période-clé de l’histoire du sonnet anglais (des années 1530 à l’apogée des années 1590, sans oublier le relatif déclin de la forme au XVIIe siècle) ne peut qu’éclairer la manière dont les Anglais construisirent leur propre tradition.

 

La circulation des poèmes, sous forme de manuscrits ou d’imprimés, des discours métapoétiques (avec la publication de traités poétiques majeurs), et plus généralement des modèles poétiques est un aspect essentiel de la question. L’importance grandissante de la circulation imprimée des textes littéraires concerna au premier chef le poème lyrique, vu aujourd’hui comme la forme privilégiée d’expression de l’intériorité et de la subjectivité. Des sentiments intimes comme l’amour furent rendus publics par l’entremise d’anthologies, de mélanges poétiques et de recueils de sonnets toujours plus populaires. Le poème lyrique, devenu omniprésent, joua un rôle central dans la construction d’un canon national.

 

On pourra s’intéresser, entre autres aux points suivants :

  • l’évolution du poème lyrique, de ses thèmes et de ses formes du XVIe au XVIIe siècle (et notamment la relation entre poésie amoureuse et poésie spirituelle)
  • les liens entre évolutions théoriques et changement des pratiques
  • les anthologies, recueils et mélanges poétiques (construction, composition, signification historique et sociale)
  • la production matérielle, la diffusion, la performance et/ou la lecture des poèmes lyriques, histoire du livre
  • la réception des modèles poétiques italiens et français des sonnettistes anglais en Europe continentale aux XVIe et XVIIe siècles
  • la place des formes lyriques dans le canon et dans la tradition critique
  • la place des sonnets italiens, français et anglais des XVIe et XVIIe siècles dans le canon et dans la tradition critique
  • les questions liées à l’édition des recueils de sonnets de l’époque moderne au XXIe siècle.

 

 

Les communications dureront environ 25 mn et se tiendront en français et en anglais. Les abstracts (250-300 mots), accompagnés d’une courte note biographique (100 mots), sont à envoyer à Anne-Valérie Dulac, Laetitia Sansonetti, Rémi Vuillemin et Enrica Zanin à l’adresse suivante: TEOFEP@yahoo.com, pour le 25 septembre 2015.

 

 

 

Deuxième partie : Poèmes en circulation

 

Un autre appel à communications sera diffusé pour le deuxième colloque (Paris Ouest et Paris 13, mai 2017). Il s’agira d’élargir notre champ d’investigations en incluant les échanges entre l’Angleterre et ses voisins les plus proches, comme l’Écosse ou l’Irlande, mais aussi les autres pays européens ainsi que des territoires plus lointains, comme les colonies américaines ou les pays orientaux, du début du XVIe à la fin du XVIIIe siècle. Ce deuxième volet traitera de thèmes comme la transmission des poèmes comme objets détachables (dans le cadre du système de mécénat, ou bien en tant que présents échangés dans le cadre diplomatique), et leur rôle comme vecteurs transnationaux d’idéologie à travers la traduction. Nous invitons les collègues d’ores et déjà intéressé·e·s à se manifester dès maintenant.