G. Dugas, Albert Memmi, du malheur d'être juif au bonheur sépharade
Paris, Editions du Nadir, collection Repères, 2000, 200 p.
14,48 €
Riche de vingt ouvrages de genres très différents, maintes fois réédités et traduits en plus de quinze langues, mise auprogramme d'un bon nombre d'universités de par le monde, I'oeuvre de romancier, de nouvelliste et d'essayiste d'Albert Memmi figure sans aucun doute parmi les plus fécondes et les plus originales de la francophonie.
Certains ont pu voir en lui un écrivain engagé et partial, "plein de ressentiment à l'égard des Juifs". Ainsi Armand Lunel, qui le range toutefois parmi les dix plus grands écrivains français de l'après-guerre, juge qu'il "a tendance à interpréter à l'excès son malheur d'être Juif, partout se sentant minoritaire, étranger, inadapté et humilié."
D'autres, à l'instar de Jacqueline Arnaud, préfèrent mettre l'accent sur "sa quête d'une convivialité perdue, sa recherche des racines berbères juives enfouies."
Reste que cet écrivain lucide, a été le premier à dessiller des yeux. Ceux du colonisateur d'abord, dont il a dénoncé sans ambages l'injustice et l'aveuglement; ceux des Juifs également, en montrant des judaïcités à bout de souffle où l' on avait généralement tendance à pleurer des traditions et à s' ankyloser parmi des valeurs-refuges ; ceux enfin des nouveaux pouvoirs nés des indépendances, qui ont bien souvent construit leur autorité sur des intolérances et des intégrismes.
Au soir de sa vie, toutes choses dites et assumées, sans rien renier du passé, cet écrivain qui a traversé le siècle réapprend le bonheur qu'il nous distille dans des billets réunis en petits manuels d'exercices hebdomadaires ou quotidiens. Un bonheur sépharade, assurément - qui puise son ouverture aux sources des philosophies d'El Andalous et son irrespectueuse fantaisie chez Albert Cohen.
À travers cet itinéraire exceptionnel, que nous présente Guy Dugas, spécialiste des littératures sépharades de langue
française, n'est-ce pas tout un passé judéo-maghrébin, fait d'une extraordinaire continuité dans les paradoxes et les
contradictions, qui revit ?