Actualité
Appels à contributions
Frontières de la « non-fiction » : l'esthétique documentaire et ses objets

Frontières de la « non-fiction » : l'esthétique documentaire et ses objets

Publié le par Pierre-Louis Fort (Source : Alison James)

Frontières de la « non-fiction » : l'esthétique documentaire et ses objets

Vendredi 24 février 2012

Centre de l'Université de Chicago à Paris

Alors que les usages et les fonctions de la fiction constituent un terrain de prédilection pour les théoriciens de la littérature, la « non-fiction » a plus rarement retenu l'attention des chercheurs (à quelques exceptions près – Gérard Genette, Dorrit Cohn). Si certains travaux récents sur les genres « factuels » (tels ceux de Jean-Louis Jeannelle, par exemple) commencent à remédier à cette situation, il resterait à ouvrir un champ de réflexion plus large sur l'émergence et l'affirmation d'une sensibilité « documentaire » qui traverse depuis plus d'un siècle les genres et les formes artistiques.

Précisons d'emblée que ce souci documentaire se distingue du réalisme qui vise, de son côté, à construire une fiction vraisemblable. Dans cette perspective, il s'agira également moins de définir un genre (de film, d'image ou de texte), que d'interroger les possibilités (ou les postures) de prise plus ou moins directe sur le réel qu'offrent les moyens propres à chaque art, et en particulier l'art d'écrire.

À la croisée du cinéma et de la littérature, cette journée d'étude vise à interroger la notion d'« esthétique documentaire » qui, plus encore que celle de « roman réaliste », peut paraître antinomique.

D'abord, l'on ne saurait nier que le cinéma a profondément modifié le rapport de la littérature, tant au visuel qu'à la présentation de « faits réels ». Les études sur le cinéma documentaire peuvent donc initier notre réflexion sur les conditions déterminantes, des modalités d'énonciation et de réception de telles « non-fictions » littéraires. Pour un film documentaire, comme le dit Jacques Rancière, « le réel n'est pas un effet à produire [mais] un donné à comprendre » (La Fable cinématographique). Cette description d'un genre cinématographique peut-elle légitimement être étendue à des textes littéraires qui refusent les modèles de la fiction ? Ou tient-elle au contraire à la spécificité du cinéma qui, comme le rappelle à juste titre François Niney, « est né documentaire » – « documentaire » désignant en premier lieu une propriété de la caméra, la prise de vue qui saisit la vie « sur le vif » (Le Documentaire et ses faux-semblants)?

Or, l'on sait bien que la littérature ne relève pas de la même logique indicielle et que la prose non-fictionnelle s'inscrit dans un régime extrêmement conditionnel de littérarité, selon le critère rhématique des modes de diction (Genette). De fait, l'esthétique documentaire semble prôner la restitution exemplaire des faits, par le biais de stratégies discursives diverses. Tantôt refusant le montage, d'autres fois effaçant les soubassements idéologiques de sa pratique, elle affirme l'intention d'écrire « au fil du temps » (pour reprendre un titre de Wenders), ou, du moins, d'ancrer le document dans son temps. Pari risqué tant rares sont effectivement les « documents » qui deviennent des « monuments » (littéraires, cinématographiques, etc.). Optant pour une focale longue, le « documentaire » semble jouer avec la réalité, comme le contemporain, selon Agamben, s'éblouit avec son propre temps. « Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n'arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu'ils portent sur elle. » (Qu'est-ce que le contemporain ?)

L'esthétique documentaire n'est pas pour autant univoque. On assiste, par ailleurs, à une prolifération de formes de l'entre-deux (autofiction, docu-fiction, et même télé-réalité) – autant de symptômes d'une « soif du réel » (voir David Shields, Reality Hunger) qui allie de manière ambiguë la force des faits et la fascination de la fiction. Pour ne prendre que quelques exemples, L'Adversaire (Emmanuel Carrère), certains récits de Régis Jauffret, des textes/photographies d'Édouard Levé, Dans la foule de Laurent Mauvignier, ou peut-être, dans un genre différent, Je me souviens (Perec) relèvent vraisemblablement de telles catégories hybrides.

Les contributions proposées pourront donc porter sur la littérature ou toute autre forme artistique des XXe et XXIe siècles, ainsi que sur des perspectives théoriques. Il sera éventuellement possible de confronter les théories et pratiques du cinéma documentaire à celles de l'écriture non-fictionnelle, afin de dégager de leur éclaircissement mutuel des principes (pragmatiques ou formels) de distinction et de jugement. Pourront être notamment envisagées les pistes de réflexion suivantes : rapports entre le récit et la fiction, ou entre le fictionnel et le factuel ; les cas d'ambiguïté ou d'indétermination entre fiction et documentaire, l'entre-deux, la feinte, le faux, mais encore, les genres et les frontières des genres, la temporalité du documentaire, le reportage littéraire, la transcription du fait divers, les enjeux éthiques du récit documentaire… La parution des actes est prévue.

Propositions de communication à adresser à Alison James (asj@uchicago.edu) et Christophe Reig (reig.christophe@orange.fr) avant le 15 juillet 2011.