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Formes contemporaines de l'imaginaire informatique

Formes contemporaines de l'imaginaire informatique

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Cédric Chauvin)

Formes contemporaines de l'imaginaire informatique


 

Colloque organisé par le centre de recherche Rirra 21 avec le soutien de la LPCM,

les 8 et 9 octobre 2015, à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3

 

Dans son ouvrage de 2010, Machines à écrire. Littérature et technologies du XIXe au XXIe siècles, Isabelle Krzywkowski montre comment les objets techniques, d’abord « exclus du champ esthétique », se sont, au cours du XXe siècle, rapprochés du cœur de la création littéraire, depuis un statut de thème privilégié à l’époque moderniste jusqu’à une complémentarité essentielle dans le cas de la « littérature informatique » ; de façon corollaire, quoique davantage synchronique, de tout récents travaux ont pu mettre au jour des relations dialectiques entre livre et jeu vidéo – d’une légitimation du jeu vidéo par le livre et d’une modernisation du livre par le jeu vidéo, jusqu’à l’avènement de formes tierces, matérielles ou virtuelles, où les deux médias se réinventent réciproquement, et se dépassent (Fanny Barnabé et Björn-Olav Dozo (dir.), Mémoires du livre : livre et jeu vidéo, 2014). C’est dans la continuité de telles entreprises scientifiques que nous proposons de développer une réflexion sur les représentations fictionnelles de l’ordinateur et de l’informatique depuis le début des années 1980 et leurs traitements respectifs ou croisés dans les différents genres et médias susceptibles de les prendre en charge. Une proposition de généalogie de ces représentations permettra de formuler les questions qui seront au cœur du colloque.

Dès l’entre-deux-guerres apparaissent les premiers projets puis réalisations de grands calculateurs électroniques : l’image de l’ordinateur dans la fiction a longtemps été celle d’une machine aussi rare et solitaire qu’inquiétante par l’ampleur mystérieuse de ses capacités totalisantes voire totalitaires – on peut penser à la « Machine » de A. E. Van Vogt dès 1945, dans les romans du Ā, ou à HAL 9000 chez Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick en 1968 ; l’ordinateur a alors un nom qui lui est propre, et une autonomie inquiétante. Il semble en revanche qu’à partir du début des années 1980 et l’invention du personal computer, le statut imaginaire de l’ordinateur ait évolué. Dès 1984, dans Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (Beaux-Arts de Paris, 2007, p. 81-83), Fredric Jameson oppose ainsi, d’un côté, une « idolâtrie relativement mimétique des machines du monde futuriste », caractéristique d’un modernisme de l’énergie et de la vitesse, et de l’autre une « machine de reproduction plus que de production », « l’ordinateur, dont la coquille extérieure n’a de pouvoir ni emblématique ni visuel ». À ce premier aspect neutre et familier, celui du “dehors” de l’objet informatique, Jameson associe une seconde valeur opposée, celle de l’opacité du “dedans” : de fait, au début des années 80, l’informatique rejoint notre quotidien, et dans Tron (Steven Lisberger et Bonnie McBird, 1982) et la littérature cyberpunk, l’homme plonge dans l’ordinateur. Or pour Jameson, de telles œuvres visent à « capter les réseaux du processus reproductif » opéré par chaque ordinateur puis par les ordinateurs entre eux : il identifie alors « un sublime technologique ou postmoderne », où la complexité des entrailles de la machine nous renvoie à « nos représentations défectueuses d’un immense réseau communicationnel et informatique », celui du « capitalisme multinational actuel ». Depuis l’écriture de ce texte en 1984, il semble encore que, d’une surface lisse dissimulant des profondeurs insondables, la technologie numérique, sortant de l’ordinateur, se soit comme étendue de façon invisible à tout notre habitat : l’humanité occidentale, comme aspirée par la machine, évoluerait ainsi dans un monde devenu informatique ; corollairement, les sujets trouveraient dans la « toile » un espace où projeter leur intériorité et multiplier leurs expériences.

Trois faisceaux de questions peuvent être dégagés des trois temps évoqués précédemment – temps qui sont plutôt, sans doute, des facettes d’un même objet. L’ordinateur-personnage de jadis a-t-il bel et bien perdu de son autonomie pour se fondre dans le décor, ou reste-t-il singularisé, selon des fonctions narratives, des propriétés visuelles ou descriptives et des caractérisations axiologiques qu’il s’agira le cas échéant de définir ? On songe autant aux figures traditionnellement menaçantes de l’ordinateur central dans le bref récit graphique Le rêveur de Caza en 1981 ou de SHODAN dans System Shock 1 et 2 (Looking Glass Studios, 1994-1999), qu’à la « neuromatrice » davantage ambiguë des Racines du mal de Maurice G. Dantec en 1995 – voire aux logiciels amoureux du film Her de Spike Jonze, en 2014… Ensuite, les œuvres de fiction font-elles écho à la thèse, proposée par Jameson, d’un vertige face à la complexité informatique vue comme figure de « la totalité impossible du système-monde contemporain » ? Alors que la saga graphique Les technopères de Jodorowsky, Janjetov et Beltran (1998-2006) met en scène l’informatique des jeux vidéo comme possible arme d’ascension sociale par le biais d’une nouvelle religion des mondes virtuels, dans La théorie de l’information d’Aurélien Bellanger en 2012 l’exploitation intensive de Wikipedia (comme dans La carte et le territoire de Michel Houellebecq en 2010) sert la description des milieux économiques responsables du développement tentaculaire de l’informatique contemporaine. Comment, enfin, les figures d'un milieu informatique où chacun d'entre nous se trouverait aujourd’hui immergé (chez Greg Egan ou dans Matrix [Wachowski, 1999], volontairement ou non, les humains migrent dans la machine), et réinventerait son identité autant que ses relations à autrui (Véronique Taquin, dans Un roman du réseau en 2011, décrit la multiplication des biographies individuelles sur internet), se trouvent-elles disposées ?

De façon complémentaire et davantage théorique, il s’agira d’envisager la représentation de l’imaginaire informatique selon les fonctions qu’elle occupe spécifiquement, autant que de façon comparative, dans chaque genre ou média. Trois exemples : on pourra problématiser l’hypothèse de départ d’une relation d’altérité où le roman se penserait en creux – Pierre Bordage, en 2002-2003, oppose transmission orale des Griots célestes et vampirisme encyclopédique de l’ordinateur PRIMA ; on pourra au contraire étudier des stratégies d’autoréférentialité par métonymie où le jeu vidéo réfléchirait son propre gameplay – ainsi, exemplairement, des jeux fondés sur le hacking, d’Uplink en 2001 à Watch Dogs en 2014 ; le statut des images de l’ordinateur en bande-dessinée pourra encore être approché de façon tensionnelle depuis le carrefour où elle semble se situer – entre héritage des représentations d’objets techniques dans l’histoire de l’art du XXe siècle, et expression des imaginaires narratifs et culturels les plus populaires, science-fictifs en particulier. Ces pistes ne doivent pas être vues comme restrictives ; d’autres types d’interrogation pourront être envisagés, dans d’autres genres fictionnels, et d’autres médias. L’analyse d’objets transmédiatiques sera enfin la bienvenue : elle permettra la mise en regard de traitements distincts au sein d’un même dispositif.

Modalités de soumission

Les propositions de communication, d’une longueur de 2000 signes maximum et accompagnées d’une notice bio-bibliographique, devront être envoyées avant le 15 décembre 2014 à Cédric Chauvin (cedric.chauvin@univ-montp3.fr) et Éric Villagordo (eric.villagordo@univ-montp3.fr), qui les transfèreront au comité scientifique.