Questions de société

"Formation des maîtres : il faut suspendre et négocier", par P. Fridenson & M. Kaplan (Le Monde, 18/3).

Publié le par Marc Escola

"Formation des maîtres : il faut suspendre et négocier", par Patrick Fridenson et Michel Kaplan LE MONDE | 18.03.09 | 14h13

La crise universitaire s'éternise et se durcit. La seule solution pour en sortir, c'est de négocier avec les universitaires. Même si les syndicats et autres organisations, voire les signataires de ce texte, ont des avis différents sur les négociations menées sur le statut des enseignants-chercheurs, le devenir du Conseil national des universités (CNU), ainsi que sur le contrat doctoral, et peut-être demain la recherche, la négociation existe. Le seul point "oublié", c'est la formation des maîtres. Or celle-ci est une tâche que la loi confie aux universités, dans lesquelles les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) sont désormais intégrés. Désireux de trouver un moyen commode de fournir des emplois à la ligne de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le ministre de l'éducation nationale n'a rien trouvé de mieux que de supprimer l'année de stage en alternance (école, collège ou lycée en responsabilité et IUFM) et d'habiller cela sur la nécessaire "mastérisation", préalable à une possible revalorisation salariale des enseignants du premier et du second degré.

Or les universitaires, dont c'est la mission, auraient pu parvenir à délivrer un mastère professionnel dans le cadre des concours actuels (un an de formation théorique et un an en alternance). Ils ne pourront pas, en deux ans, cumuler formation à la recherche, formation à un métier et préparation à un concours qui restera difficile, compte tenu du nombre prévisible de candidats, sauf à délivrer un mastère dévalué.

SIX POINTS-CLÉS

On comprend aisément que, bien avant la naissance de l'actuel mouvement, la plupart des universités aient fait de la résistance et refusé de fournir le contenu d'un diplôme infaisable et dévalué. Aujourd'hui, il est hors de question de mettre en place en quelques semaines ne serait-ce que les propositions transitoires du ministre, au détriment d'une réflexion de fond, précédée par une vraie négociation avec tous les partenaires (premier et second degrés, universités) définissant clairement les objectifs. M. Darcos doit non pas reculer, mais ouvrir ces négociations.

Le maintien pour 2010 des actuels concours du capes et du professorat des écoles, comme cela est acté pour l'agrégation, est un préalable de nature intellectuelle à la réflexion partagée de fond. Sur quoi pourrait s'établir un consensus ? Sur les six points suivants :

Le métier d'enseignant, du premier comme du second degré, s'apprend ; il faut le temps d'acquérir les connaissances nécessaires à un niveau mastère où se situe le concours, académiques, mais aussi résultat de stages permettant une réflexion sur le métier, ce qui débouche sans nul doute sur une épreuve pédagogique, et non administrative (un maître enseigne à des élèves), à l'oral des concours, ce à quoi les IUFM peuvent parfaitement contribuer.
Laisser croire aux candidats qu'on va leur délivrer un mastère recherche qui leur permettrait de se réorienter dans cette direction, c'est une tromperie ; il faut cesser d'y prétendre surtout si l'on veut prendre en compte les débouchés de ceux qui obtiendront le mastère et ne seront pas reçus au concours.
Placer un concours au milieu d'une année est le meilleur moyen de rendre celle-ci improductive dans la perspective d'un véritable mastère qualifiant.
Une année entière de stage en alternance (le mot implique une répartition en gros égale du temps) après la réussite au concours est indispensable pour donner une pleine connaissance de leur métier aux professeurs du primaire comme du secondaire.
Seule cette année de stage en alternance permet de dégager la place pour un vrai mastère.
Des préfinancements de l'Etat doivent assurer un accès socialement juste au métier d'enseignant.
Un accord général est possible, si le ministre accepte de l'envisager avec tous au lieu de faire se succéder les oukases. M. Darcos, suspendez et négociez !

Patrick Fridenson est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre du SGEN-CFDT.

Michel Kaplan est professeur d'histoire à l'université Paris-I, ancien vice-président de la CPU, membre du SNESup-FSU.