Questions de société
Fonction publique, CNRS, universités, services publics. vers la fin des acquis de la Libération ? (Indépendance des chercheurs, 20/06/09)

Fonction publique, CNRS, universités, services publics. vers la fin des acquis de la Libération ? (Indépendance des chercheurs, 20/06/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Fonction publique, CNRS, universités, services publics... vers la fin des acquis de la Libération ?

Article publié sur le blog "La Science au XXI siècle" du collectif Indépendance des chercheurs, 20 juin 2009.

Le 20 juin, José Manuel Barroso a étéreconduit dans sa fonction de président de la Commission Européenne,sans guère tenir compte de la sanction évidente qu'a représentél'abstention massive aux élections au Parlement Européen. La nouvellen'est pas surprenante : elle reflète la volonté de passage en forced'un monde politique acquis au bon vouloir des lobbies financiers etdes grandes multinationales. La situation en France n'est qu'uneillustration de cette attitude générale. Jeudi, le Conseild'Administration d'un organisme français, le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), doitse réunir en territoire suisse loin de ses personnels pour entériner unprojet de contrat d'objectifs destiné à achever le démantèlement duCentre. La même politique de faits accomplis frappe les universités, lestatut des enseignants-chercheurs, la formation des enseignants, laSanté... En même temps, une attaque globale complémentaire contre lesservices publics français occupe l'actualité par le biais du projet de loidit « relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans lafonction publique » permettant de déstabiliser jusqu'au licenciement de facto la situation de tout fonctionnaire.

Certes, on peut faire valoir que la Commission Européenne s'est bornée à apporter un « soutien unanime »à Barroso, le Parlement Européen devant se prononcer sur l'opportunitéd'investir le nouveau président de la Commission dès la mi-juillet oud'attendre une événtuelle ratiification du Traité de Lisbonne parl'Irlande sous la pression évidente des lobbies.

Maiscette réserve ne traduit qu'un empressement pour imposer aux Etats del'Union Européenne le « pouvoir fort » que le Traité permettra demettre en place à leur détriment.

Il n'y a là aucune mise en cause de la politique développée sous la présidence de Barroso, bien au contraire.

Pourles services publics français, la ratification définitive du Traité deLisbonne constituerait un véritable arrêt de mort, et c'est de touteévidence dans cette direction que travaille depuis deux ans legouvernement de Nicolas Sarkozy.

Lecontrat d'objectifs que les responsables du CNRS sont censés faireadopter dans quelques jours est lourd de conséquences. Il enlèvenotamment au CNRS l'essentiel de ses missions nationales et de son rôlede tutelle sur les laboratoires de recherche. Il prépare le transfertmassif des personnels de la recherche vers les universités, et laprécarisation de leurs emplois.

Ceprojet de contrat d'objectifs 2009-2013 accompagne un projet de décretsur l'organisation et le fonctionnement du CNRS avec un contenuanalogue.

En même temps, le statut despersonnels des universités est directement mis en cause et l'ensembledu tissu universitaire français est poussé vers une privatisationrapide.

Mais une mise en cause plusglobale du statut des fonctionnaires risque d'être adoptée sous laforme d'une loi au cours du mois de juillet. Il s'agit du projet,adopté par le Sénat le 29 avril 2008, d'une loi relative à la « mobilité » et aux « parcours professionnels » des fonctionnaires, où on peut lire notamment :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl0845.asp

« Article 7

La loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée est ainsi modifiée :

1° Dans l'article 36, après les mots : « statut général », sont insérés les mots : « et sans préjudice de la mise en oeuvre de la situation de réorientation professionnelle prévue à la sous-section 3 de la présente section, » ;

2° La section 1 du chapitre V est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :

« Sous-section 3

« Réorientation professionnelle

« Art. 44 bis. –En cas de restructuration d'une administration de l'État ou de l'un deses établissements publics administratifs, le fonctionnaire peut êtreplacé en situation de réorientation professionnelle dès lors que sonemploi est susceptible d'être supprimé.

(...)

« Art. 44 quater. – La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire accède à un nouvel emploi.

«Elle peut également prendre fin, à l'initiative de l'administration,lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois emplois publicscorrespondant à son grade, à son projet personnalisé d'évolutionprofessionnelle et tenant compte de sa situation de famille. Dans cecas, il peut être placé en disponibilité d'office ou, le cas échéant, admis à la retraite.

(...) »

(fin de citation)

Dans le concret, la généralité de cette formulation des aliénas régissant la « réorientation professionnelle » est telle, qu'elle permettra de licencier de facto la grande majorité des fonctionnaires par des mises en disponibilité sans traitement et des retraites imposées.

L'arbitraire est d'ailleurs total, lorsqu'il est écrit : «En cas de restructuration d'une administration (...) le fonctionnairepeut être placé en situation de réorientation professionnelle dès lorsque son emploi est susceptible d'être supprimé ». Le moindre texte suggérant quelques changements pourra être qualifié de « restructuration », et la certitudede la suppression à terme de l'emploi n'est pas requise pour infligerla « réorientation » au fonctionnaire. Dans la pratique, tout estpermis.

L'indépendance du servicepublic par rapport aux intérêts privés et aux groupes influents devientinexistante, dans une telle situation de fragilité des affectations etdes emplois. Quel service, quel fonctionnaire, osera dans cesconditions « ne pas aller dans le bon sens » ? Mais les enjeux citoyens, pourtant très graves, d'une loi de cette nature ne sont guère évoqués dans les médias.

Enclair, un tel projet de loi vise à placer les fonctionnaires à la mercides politiques. Dans un prétendu « vent réformateur », la plupart desadministrations pourront être placées dans des situations instables etla « réorientation professionnelle » permettra d'éliminer lesfonctionnaires dont la neutralité et l'indépendance pourraient dérangerle pouvoir en place.

Il s'agitégalement d'une machine à évacuer définitivement les servicessupprimés, par des réaffectations expéditives et forcées desfonctionnaires qui y étaient affectés. Le risque de voir se mettre enplace un contexte d'intimidation générale paraît evident.

Commele montre l'attitude de la Commission Européenne en renouvelant lemandat de José Manuel Barroso, les pouvoirs politiques n'entendenttenir compte, ni du mécontentement des citoyens, ni du principed'indépendance et de neutralité des fonctionnaires.

Ilparaît difficile de ne pas évoquer, dans un tel contexte, l'arrêtMedvedyev et al. de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (3394/03 du 10 juillet 2008) commenté dans notre article du 6 février. L'arrêt a estimé notamment, à propos de la justice pénale française :

« Forceest cependant de constater que le procureur de la République n'est pasune « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Courdonne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il luimanque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pourpouvoir être ainsi qualifié (voir Schiesser c. Suisse, arrêt du 4 décembre 1979, série A no 34, §§ 29-30) ».

(fin de citation)

Or,sans faire pour autant partie de la justice, de nombreux secteurs de lafonction publique, à commencer par la recherche et l'éducation, ontbesoin de la même indépendance. Globalement, l'indépendance des fonctionnaires est indispensable à la neutralité de l'Etat. Sans elle, impossible de protéger l'intérêt général contra la mainmise des intérêts privés.

Laloi votée par le Sénat en août 2008, et soumise à présent à l'AssembléeNationale, met en cause cette indépendance essentielle aux garantiesrépublicaines du fonctionnement institutionnel.

De quoi rappeler également l'éditorial du président du groupe Scor Denis Kessler, devenu président du club Le Siècle d'après Marianne, évoqué dans notre article du 11 août 2008.

Juste avant de devenir président du Siècle, Denis Kessler avait publié dans Challenges (4 octobre 2007) un éditorial intitulé explicitement et sans complexe : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! », dirigé contre un « modèle social français » qualifié de « pur produit du Conseil national de la Résistance » et de « compromis entre gaullistes et communistes ».

Tel est sans doute le véritable enjeu.

Voir aussi nos articles :

Le CNRS, acquis de la Libération

Arrêt Medvedyev de la CEDH et justice pénale française (I)

Union Européenne et privatisation de l'éducation (I)

Union Européenne et privatisation de l'éducation (II)

Services publics et adversaires innommables (I)

Services publics et adversaires innommables (II)

La Commission Trilatérale et les services publics français (I)

La Commission Trilatérale et les services publics français (II)

Groupe de Bilderberg et silence des médias français

Bilderberg, Trilatérale et transversalité de « gauche »

Bilderberg 2009 : une rencontre des "élites" ?

CNRS, Bilderberg, Trilatérale... et faillite de l'idéologie « gestionnaire » (I)

Lettre aux personnels de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (I)

Lettre aux personnels de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (II)

CNRS, INRIA, Microsoft et privatisation de la recherche française (I)

Valérie Pécresse, sciences humaines et sociales, et « bunkérisation »

Tristes élections européennes

UMP, où est ta victoire ?

Motion de la quatrième Coordination Nationale des Laboratoires en Lutte

CNRS : les recommandations de la session plenière du Comité National

CNRS, INSERM, INRA, INRIA... notre communiqué du 12 juin

Record d'abstention aux élections du CNRS

CNRS : notre lettre à la présidence et à la direction générale

CNRS : le vote du Conseil Scientifique sur le contrat d'objectifs

CNRS : Non au contrat d'objectifs !

CNRS : un CA "réfugié" en Suisse ?

Réponse de la Coordination Nationale des Universités à Xavier Darcos sur le prétendu « consensus »

Indépendance des Chercheurs

http://www.geocities.com/indep_chercheurs

http://fr.blog.360.yahoo.com/indep_chercheurs

http://science21.blogs.courrierinternational.com

Groupes de discussion :

http://groups.yahoo.com/group/problemes_des_scientifiques

http://groups.yahoo.com/group/combatconnaissance