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Flaubert. Brouillons, carnets, correspondance (ITEM)

Flaubert. Brouillons, carnets, correspondance (ITEM)

Publié le par François Lermigeaux (Source : Michel Contat)

Séminaire général 2002-2003 de l'ITEM

  Genèses : récit dauteur/récit de critique 

Coordination : Michel Contat

3 février 2003 (16h 18h)

salle des Actes, 45 rue dUlm, Paris 5e

Pierre-Marc de Biasi : Flaubert. Brouillons, carnets, correspondance :

 Reconstituer litinéraire dune création

Luvre de Flaubert ressemble à un iceberg : visibles 2000 pages duvres publiées de son vivant et, dessous, immergés, 30 à 35 000 pages de manuscrits. Plusieurs paquebots de la critique textuelle sy sont frottés à leur insu avec pour effet, selon les cas, quelques avaries bénignes ou un destin comparable à celui du Titanic. Sur ces dizaines de milliers de pages inédites, quelques gros blocs en un siècle sont remontés à la surface : depuis un bon moment déjà, 3 à 4 000 pages de correspondance et peut-être un petit millier de feuillets pour les uvres de jeunesse et quelques fragments divers, plus récemment 1000 à 1500 pages de carnets et de scénarios, et plus récemment encore quelques milliers de pages de brouillons et de dossiers documentaires. Au total, 7 ou 8 000 pages, juste un petit quart de la masse immergée, mais assez tout de même pour alerter les armateurs. La carte de la région a changé : plein de petits icebergs, aux arêtes effilés comme des rasoirs, flottent partout autour du dôme textuel. Chez les professionnels, on sest repassé le mot. Les paquebots, même munis de double coque et déperon brise-glace, sont devenus circonspects pour tracer leur route dans ces eaux-là. Plutôt que de naviguer à vue, on préfère se détourner. Quant aux généticiens, installés sur le site depuis une vingtaine dannées, et plutôt à laise dans leur tenue de plongée, quont-ils trouvé dans ces blocs sous-marins quils sondent, découpent et font émerger à lair libre ?

Beaucoup de choses, mais peu ou pas de  récits de genèse  proprement dit. À la différence dautres écrivains, Flaubert na pas laissé (et na probablement jamais tenté décrire) de texte visant à reconstituer et à interpréter la genèse dun fragment de son uvre. Cest un jeu argumentatif auquel il sest livré oralement avec quelques amis, pour les besoins de son travail, mais dont il reste peu de trace écrite. En revanche, il nous a légué, pour lintégralité de son uvre, sur le mode de la plus parfaite exhaustivité, mais en vrac, les traces précises de toutes ses opérations décriture : notes dorientation, plans, scénarios, fiches et dossiers documentaires, ébauches, brouillons, mises au net, etc. Il y a ajouté, à travers sa correspondance, un journal de son travail qui forme une sorte de  mode demploi  assez précis pour qui souhaiterait assembler les pièces du puzzle dans le bon ordre et retrouver les figures successives de luvre. Parallèlement aux lettres, il a encore laissé des carnets (de travail et de voyage) qui constituent une sorte de médiation logique entre le système théorique développé dans la correspondance et sa mise en pratique concrète dans les manuscrits de travail. À nous, et non à lui, de comprendre et dinterpréter. Pour Flaubert, ce travail définit précisément et dans toute leur profondeur de champ le rôle et le statut du  lecteur  : les lecteurs contingents que nous sommes, et la somme de tous les lecteurs possibles  aussi longtemps que la langue vivra  : le lecteur virtuel dont lécriture a préalablement construit en creux la structure daccueil.

Dans le cas de Flaubert, on ne pourra donc pas vraiment comparer ou opposer un  récit de genèse  de lécrivain à celui que peut produire la lecture critique des documents manuscrits, si tant est que le  récit  soit bien le but et la formule des généticiens du texte. Tout au plus sera-t-il possible de montrer, ici et là, sur quelques énigmes non résolues par l histoire littéraire, comment le croisement des indices (correspondance, carnets, dossiers documentaires, brouillons, textes) permet de reconstituer précisément un itinéraire de création et dexpliquer la formation dun projet, plus clairement parfois que Flaubert navait pu lui-même se le formuler. On en profitera pour sinterroger, en termes d après-coup , sur la notion même du récit de genèse auctorial, sur cette dépendance à la fiction téléologique souvent beaucoup plus forte chez lauteur de luvre que chez son analyste : preuve sil en fallait que sans être jamais tout à fait absente, la téléologie connaît des degrés très contrastés et nest pas une fatalité qui simposerait uniformément au raisonnement génétique. Au-delà de lespace littéraire, et à titre de comparaison éclairante, cette question de  laprès-coup  et des contradictions entre téléologie auctoriale et téléologie critique, pourra être avantageusement discutée à travers lexpérience du récit de genèse pratiqué professionnellement en architecture (agence, commande, concours) et dans la création cinématographique.

 

Bibliographie : celle du fonds Flaubert de lITEM.

 


Prochaine séance, également à la Salle des Actes, ENS


3 mars 2003 (16h 18h) Daniel <?xml:namespace prefix = st1 />Ferrer : Joyce. Le potlatch génétique