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Fl. Pennanech, Proust et la Nouvelle Critique. Etude de réception et poétique du commentaire

Fl. Pennanech, Proust et la Nouvelle Critique. Etude de réception et poétique du commentaire

Publié le par Vincent Ferré

le 28 novembre, 14 h


Jury

Bruno Clément (Paris VIII),
Antoine Compagnon (Collège de France),
Elisabeth Rallo Ditche (Université de Provence),
Jean-Yves Tadié (Paris IV)


 

Position dethèse

On s'intéressedans cette thèse à la réception de l'oeuvre de Proust par la Nouvelle Critiqued'un point de vue non normatif, c'est-à-dire sans poser la question de lavalidation de la démarche et des résultats des critiques envisagés, mais enprenant pour objet les présupposés théoriques et les procédures herméneutiquesmoyennant lesquels des textes (en l'occurrence des textes critiques) peuvents'écrire à partir d'autres textes. De fait, l'absence de monographie récente,ou ne présentant pas de caractère polémique, conduit naturellement à devoird'abord caractériser la Nouvelle Critiqueà la fois comme séquence historique et comme ensemble théorique. L'introductionaccorde donc une place importante à une tentative, sinon de définition, dumoins de problématisation de la notion. On revient donc sur le fait qu'ilexiste trois courants distincts au sein de la Nouvelle Critique :la critique issue du renouvellement des sciences humaines, la critiquethématique et enfin la critique structurale. Cette hétérogénéité desperspectives tend à être compensée par une unité qui semble n'être due qu'à lapolémique. On montre toutefois que la querelle de la Nouvelle Critiqueest beaucoup moins aisément lisible que ne le prétend la vulgate métacritique,et qu'en particulier les positions adoptées respectivement par Barthes ouPicard contredisent parfois la lecture qui en est couramment reçue. On souligneen particulier combien le thème de la « spécificité de lalittérature » est d'abord propre à Picard, et qu'il ne devient queprogressivement le mot d'ordre de la Nouvelle Critique,fournissant ainsi un fil conducteur qui permet de distinguer une progressionlogique au sein du mouvement. C'est seulement sur la base de tellesdistinctions que l'on peut articuler le propos central de cette thèse, quiconsiste à interroger non seulement les lectures de Proust par la Nouvelle Critique,mais encore l'ensemble des usages que celle-ci a pu en faire, en particulier enl'érigeant comme fondateur. Ces deux aspects de la réception de Proustconvergent de fait en un seul questionnement que résume la notion demimétisme : il s'agira donc d'interroger le lieu commun métacritique selonlequel la Nouvelle Critiquea lu Proust de la façon que Proust lui-même a préconisée. C'est à cettecircularité, donnée par les nouveaux critiques comme gage de validité, quecette thèse s'attache.

La réflexionest organisée en deux parties, pour des raisons de méthode : afin d'éviterle geste redondant qui consisterait à commenter des commentaires en secontentant de reconduire sur ces métatextes les procédures qu'eux-mêmesutilisent pour commenter les textes de Proust, on a choisi de se livrer sur cestextes de nature herméneutique à une démarche relevant, tour à tour, del'histoire et de la poétique.

Lapremière partie, consacrée à une « Étude de réception », estorganisée en deux sections qui se proposent de rendre compte de la façon dont la Rechercheet les textes satellites sont envisagés par les nouveaux critiques en fonction desprésupposés qui commandent leur démarche. La dimension historique du propos consisteici à rappeler la relativité des modèles sous-jacents à tout discoursmétalittéraire. Aussi commence-t-on par un préambule historique intitulé« Critique et esthétique » où l'on caractérise, à partir,principalement, des travaux de Jean-Marie Schaeffer et de Jean-Luc Nancy etPhilippe Lacoue-Labarthe, l'ontologie romantique commune à l'ensemble desreprésentants de la Nouvelle Critique.C'est l'occasion de revenir sur la correspondance que l'on peut établir entrel'esthétique propre à ce mouvement et celle que l'on retrouve chez Proust,comme cela a largement été étudié depuis les travaux fondateurs d'Anne Henry.On retient en particulier de l'esthétique romantique l'idée de totalitéorganique, que l'on propose de voir comme la catégorie fondamentale de la Nouvelle Critique,en soulignant le primat de l'organicisme dans la démarche des critiquesconsidérés. On est alors à même d'effectuer une mise au point sur la notion particulièrementproblématique de « critique structurale », en montrant son ambivalence.Grâce aux récents travaux sur le structuralisme, en particulier ceux de PatrickSériot et Jean-Claude Milner, on peut mesurer la difficulté que représentecette tentative de conjoindre la démarche critique, attentive à l'unité dutexte, et la démarche structurale, qui semble plus propice à être requise parla poétique, comme l'illustre parfaitement le parcours d'un Gérard Genette,d'où l'amphibologie qui caractérise le mot « structure » tout au longde la Nouvelle Critique.On retient également de l'esthétique romantique une seconde idée, celle deréflexivité, en proposant de revenir au fondement ontologique de cette notion,à savoir l'analogie entre oeuvre et sujet, dont il est possible de percevoirdiverses traces dans le discours de la Nouvelle Critique.

La premièresection de cette partie, « Lire un écrivain», comprend trois chapitres. Lechapitre I évoque « La place des travaux consacrés à Proust dansl'ensemble des écrits de la Nouvelle Critique » et propose une vued'ensemble des travaux de Georges Poulet, Jean Rousset, Jean-Pierre Richard,Gérard Genette, Roland Barthes et enfin Serge Doubrovsky, consacrés à Proust,en les contextualisant pour montrer comment, à chaque fois, ces travauxs'avèrent constituer des points névralgiques ou receler des articulationsdécisives dans la démarche des critiques. Le chapitre II est dévolu aux« Marges de la Nouvelle Critique »et cherche à définir celle-ci de façon cette fois apophatique, en distinguantnettement ses présupposés de ceux que mettent en oeuvre des auteurs qu'on lui associeou des courants auxquels on l'assimile couramment. La notion d'autoréférencefournit ici le thème fédérateur du parcours, qui s'inaugure avec Blanchot etBataille, se poursuit avec les représentants du Nouveau Roman et de Tel Quel,en particulier Butor et Ricardou, et s'achève avec Deleuze. À l'issue de cecheminement, il est possible d'observer que la Nouvelle Critiquen'a guère recouru à l'idée d'autoréférence, mais qu'en revanche celle-ci est unprésupposé informulé voire impensé qui conditionne diverses pratiquesmétatextuelles. Le chapitre III, « Lectures de la Recherche »permet, après avoir envisagé la diversité des critiques à propos d'un mêmetexte, d'envisager l'hétérogénéité d'un objet à partir des lectures d'un mêmecourant critique. On pose donc le problème de la notion de texte, son unité, saclôture, et surtout son achèvement, en s'intéressant à la façon dont la Recherchea principalement été lue à partir de son début et de sa fin, conçus par la Nouvelle Critiquecomme allégories de son origine et de son achèvement. Les lectures de« Combray » et du Tempsretrouvé, la façon dont la critique procède par réduction du divers auprofit de l'unité, sont envisagées comme deux faces, l'une pratique et l'autrethéorique, d'un même problème. De la même façon, on s'intéresse à la façon dontles autres écrits de Proust apparaissent, à la faveur de postulatsontologiques, comme garants de l'unité du texte réputé central.

La secondesection, « Imiter un critique », permet de reprendre trois aspectsthéoriques fondamentaux de la Nouvelle Critique. Le premier aspect est la notion d'immanence (peu ouprou synonyme alors de thématisme), que les nouveaux critiques affirmenthériter de Proust. On pose donc dans le chapitre IV la question « Prousta-t-il inventé la Nouvelle Critique ? », en distinguant troisensembles de textes à partir desquels la Nouvelle Critiquea pu faire de Proust son fondateur. Ce sont d'abord les textes critiques, etl'on revient sur les points communs et les divergences entre Proust et la Nouvelle Critiqueen envisageant la méthode critique ainsi que les rapports entre critique etcréation. On examine ensuite les textes critiques qui se situent à l'intérieurde la Recherche et qui s'inscrivent dans la thématiqueplus générale qui fait du roman un véritable roman de l'herméneutique,prédisposant le discours critique qui le prend en charge à diverses mises enabyme légitimantes. Enfin, on souligne que c'est l'ensemble de la Rechercheconstituée en allégorie d'elle-même qui se présente in fine comme réserve d'arguments d'autorité permettant à lacritique qui postule une auto-interprétation de l'oeuvre d'en tirer uneautolégitimation de sa démarche. De la sorte, on plaide pour un déplacement dela perspective qui ne prenne plus seulement en compte la question del'adéquation des positions des nouveaux critiques à celles de Proust mais étudiel'usage proprement rhétorique de l'affirmation du mimétisme entre la méthode etl'objet.

Le secondaspect fort connu de la Nouvelle Critiqueest évidemment son rejet de la critique biographique. Le chapitre V, « Lavie et l'oeuvre », reprend cette question en s'efforçant de nuancerl'anti-biographisme prêté à la Nouvelle Critique. Le rôle de ContreSainte-Beuve est rappelé, mais on propose de considérer dans celui-ci ladifférence ontologique qui est posée à propos du « moi social » et du« moi profond », en mettant l'accent sur la façon dont le moi profondest perçu comme une totalité organique, à la façon de l'oeuvre littéraire, desorte que celle-ci en est non seulement le produit, mais aussi l'image. Cedouble rapport, iconique et indiciel, nous permet de mieux comprendre comment,chez Proust comme dans la Nouvelle Critique,les liens entre la vie et l'oeuvre ne sont pas niés mais au contraire d'autant plussolides qu'ils relient deux réalités dites profondes, c'est-à-dire appelant lalecture herméneutique. Il y a donc bien recours à la biographie dans la Nouvelle Critique,mais celle-ci apparaît sous la forme d'une herméneutique de l'existence quipermet de construire des rapports dits latents entre les divers niveaux deréalité. On évoque ainsi deux catégories essentielles en ce qu'elles permettentla circulation entre l'oeuvre et la vie : la notion d'homologie d'une part,celle de fragment d'autre part. Chez Barthes en particulier, on montre que cesdeux notions ne cessent d'être invoquées dès qu'il est question de Proust, etce des premiers écrits jusqu'au dernier cours, excédant ainsi largement lecadre chronologique de la Nouvelle Critique.

Le chapitre VIévoque un troisième aspect de la Nouvelle Critique qui est son rapport problématique à l'histoire.C'est donc « Proust dans l'histoire de la littérature » que l'onétudie ici, en essayant de montrer comment en dépit d'un anti-lansonisme donton expose les présupposés et les enjeux, la Nouvelle Critiquecomporte malgré tout une dimension historique. Pour ce faire, on distingue d'abordnettement la critique en général et l'histoire, et l'on souligne que la notion,a priori paradoxale quoique souventreprise sans examen, de « critique historique » pose davantage leproblème de la contextualisation que celui de l'histoire proprement dite. Oncherche alors à mesurer de quelle façon la contextualisation est opérée dans la Nouvelle Critiquegrâce à un certain nombre d'opérations qui prennent pour objet l'histoire etqui reprennent strictement celles qui prennent pour objet l'oeuvre. De la sorte,c'est de nouveau une herméneutique de l'histoire que met en place la Nouvelle Critique.En examinant le parcours de précurseurs tels Albert Béguin et Marcel Raymond,on remonte aux sources de l'herméneutique allemande puis on montre comment chezGeorges Poulet en particulier le discours historique est en réalité un discoursqui procède, comme le discours critique, par un jeu d'analogies permanentes. Demême, on montre que c'est encore un héritage de la conception romantique de lalittérature (comme auto-historicisation) qui est à l'oeuvre dans l'historicismeessentialiste qui commande la démarche d'un Barthes et conduit à une alternancede statuts pour Proust, alternativement classique ou moderne.

Au fil decette première partie, nous sommes donc progressivement amenés à considérer quel'analyse des textes critiques ne doit pas tant s'intéresser aux objets,largement indifférents, qu'aux gestes critiques, que l'on retrouve à tous lesniveaux. Aussi l'étude la réception organisée autour de l'oeuvre ou de seslecteurs mène-t-elle à percevoir la nécessité d'une poétique du commentaire quirépertorie les procédures métatextuelles, elles-mêmes dépendantes desprotocoles herméneutiques ici discernés.

La seconde partie,« Poétique du commentaire », propose ainsi de s'intéresser à la façondont un texte est dérivé d'un autre texte, non pas par transformation ouimitation, mais d'une autre façon, qu'on se propose dans un nouveau préambule, cettefois théorique, « Introduction au métatexte », de résumer sous le nomde prédication. En s'appuyant sur les travaux de Gérard Genette et MichelCharles, on propose ainsi quelques définitions opératoires qui permettent desituer l'étude du commentaire critique. On associe notamment les trois gestes traditionnellementdistingués dans la critique, l'évaluation, la description et l'interprétation,à trois domaines que sont la poétique de la valeur, la poétique de ladescription et la poétique de l'interprétation. Dans le cas de la Nouvelle Critique,il convient de laisser de côté la première. La deuxième est en revanche desplus essentielles. On montre ainsi, à partir des travaux de Philippe Hamon et Jean-MichelAdam entre autres, comment la poétique de la description élaborée par euxfournit des outils utilisables pour rendre compte de la description du texte,tels que l'ancrage, la fragmentation, l'aspectualisation, la mise en relation.Plus fondamentalement, il semble que la définition de la description comme miseen équivalence d'un syntagme déictique ou anaphorique et d'une expansion prédicativecoïncide avec celle que l'on a donnée du métatexte. C'est cependant la questionde la poétique de l'interprétation qui occupe la place essentielle dans lecadre de cette thèse, et l'on postule que le métatexte peut être ditinterprétatif dès lors qu'il pose une équivalence entre le texte critiqué et unhypertexte forgé par le critique, ou bien qu'il pose une relation de nécessitéentre les éléments mis en relation. Le premier critère nous permet de revenirsur la distinction entre hypertexte et métatexte, le second d'envisager laquestion, traditionnelle pour l'herméneutique, des rapports de la partie et du tout,d'un point de vue de poéticien. On fait notamment valoir que si divers rapportspeuvent exister entre les parties, ou entre la partie et le tout, dans les travauxconsacrés à Proust par la Nouvelle Critique,le rapport analogique prime, ce qui justifie qu'on y consacre l'ensemble de ladeuxième et de la troisième section de cette partie.

La premièresection, « Séparer », s'intéresse à la façon dont un texte critiqueextrait ou abstrait des éléments d'un texte qu'il fragmente ou aspectualise. Lechapitre VII, « Intertextes », propose ainsi d'envisager la question de lafragmentation en commençant par évoquer les diverses pratiques de la citationet leur lien avec la question de l'hétérogénéité du texte critique, avant d'examinerplus largement la question de la lecture « fragmentante » chezBarthes, ce qui permet de comparer le cas de Proust à ceux de Michelet, Racine,Balzac et Sade. On montre comment un lien très net peut être établi entre letype de lecture que pratique Barthes à l'époque de la Nouvelle Critiqueet le modèle qu'il utilise, dans le dernier cours, pour évoquer le roman de Proust.Le chapitre VIII, « Hypertextes », s'intéresse pour sa part à l'aspectualisationen postulant l'existence d'un continuumentre les diverses pratiques qui vont de la simple désignation des thèmes à larécriture proprement dite. On s'arrête sur les cas de Serge Doubrovsky et deRoland Barthes en montrant que si chez le premier, le roman naît d'une critiquequi mène la démarche herméneutique à son point d'incandescence, chez le secondle projet romanesque est inséparable d'une démarche anti-herméneutique, les linéamentsde ce rejet de l'interprétation chez le dernier Barthes pouvant se lire dès sestextes relevant de la Nouvelle Critique.La préface des Essais critiques faisaitdu roman l'horizon de la critique, mais le roman s'avère in fine une anti-critique.

La deuxièmesection, « Réunir le contenu », permet de considérer la façon dont lacritique se présente comme une fabrique de l'unité. Le fragment est en effettoujours provisoire dans la Nouvelle Critique, son existence n'est que concédée, le but de ladémarche étant toujours de retrouver la totalité. Celle-ci est principalementatteinte grâce à l'analogie. On en distingue ici deux types. Le chapitre IX évoque« L'analogie interne » qui permet de faire de l'oeuvre un système derépétitions qui fondent sa cohérence. On revient d'abord sur le statut del'analogie chez Proust, avant d'envisager les formes que prend l'analogie chez lesauteurs de la Nouvelle Critique.Il s'agit dans un premier temps de l'analogie entre éléments qui apparaît dansla notion de répétition, catégorie que Georges Poulet prend pour objet de sesdernières études sur Proust, et qui lui permet de résoudre toutes lescontradictions que ses écrits précédents pouvaient laisser subsister, et ainsioffrir une grande synthèse totalisante où toute la Recherchese ressaisit. Il s'agit ensuite de l'analogie entre élément et totalité, que l'onretrouve aussi bien dans l'idée de « vision du monde » dont on étudieles occurrences chez Jean Rousset, que dans une pratique de la synecdoquegénéralisée dont on observe le rôle moteur dans l'écriture de Jean-PierreRichard. On ne peut toutefois terminer ce chapitre sans évoquer le cas particulierde Gérard Genette, dont tous les écrits, ou peu s'en faut, témoignent d'une hostilitévis-à-vis de la notion d'analogie, ou du moins d'une volonté de relativiser sonimportance, volonté qui se manifeste particulièrement dans ses travaux surProust que l'on peut lire comme autant de tentative pour réduire l'empire de lamétaphore et rétablir les droits de la métonymie. Ce phénomène est évidemment essentieldans la mesure où ce qui est posé comme valable dans l'univers de la Recherchesera ensuite posé comme valable pour le discours qui commente la Recherche,de sorte que la relativisation de l'analogie chez Proust aboutit à élaborer uneméthode elle-même moins tributaire de la pensée analogique, et qui sera lapoétique. Ainsi retrouve-t-on le mimétisme de l'objet et de la méthode, qui estpeut-être malgré tout une forme d'analogie.

Le second typed'analogie, envisagé au chapitre X, est « L'analogie externe ». Dansle cadre d'une critique qui se veut « immanente », ce type d'analogieest évidemment sous-représenté, aussi ce chapitre se concentre-t-il sur unpoint précis, à savoir le recours à la psychanalyse dans Proust et le monde sensible de Jean-Pierre Richard. On étudie ainsil'articulation de la critique thématique, fondée sur l'analogie interne, et lacritique psychanalytique, ici limitée à une lecture allégorique qui se présentecomme une quête de symboles, c'est-à-dire d'objets isomorphes à d'autres objetsappartenant au domaine érotique, et la façon dont ce double discours est prisen charge par la poétique du texte critique. Une comparaison avec le recours àla psychanalyse dans Microlectures permet de caractériser la particularité de lamonographie sur Proust au sein de la production de Jean-Pierre Richard.

La troisièmesection, « Réunir contenu et forme », est dédiée à un dernier typed'analogie qui vient parachever le processus de totalisation que constitue lacritique chez les auteurs de notre corpus.Le chapitre XI, « L'analogie entre totalités », étudie la façon dontles représentants de la Nouvelle Critiqueont pu définir et utiliser la notion de « forme ». On montre quel'ensemble du mouvement a proposé une lecture analogique des formes, dont ontrouve l'expression la plus aboutie dans Formeet signification de Jean Rousset, où l'on montre le caractère déterminantde l'idée de forme iconique, que l'on renvoie en dernière analyse au postulatromantique qui fait de la littérature le lieu d'une remotivation du langage. Onmontre comment Proust est à la fois objet de telles lectures, mais qu'ilfournit en outre une conception du « style » qui fournit auxcritiques les arguments d'autorité idoines. On le perçoit encore en montrantles liens qui s'établissent entre la Nouvelle Critiqueet la stylistique spitzérienne, dont on analyse, en regard de textes de JeanRoussset, certains textes consacrés à Proust.

De fait, ce n'estpas seulement à partir de la conception du style de Proust que l'on peut fonderle principe de la forme iconique, mais à partir du cratylisme de son narrateur.On s'efforce de le démontrer dans le chapitre XII, « Cratylisme etherméneutique », où l'on commence par envisager la façon dont la réceptionde Saussure par la Nouvelle Critiquetend constamment à relativiser la notion d'arbitraire du signe linguistique auprofit de l'idée de motivation analogique du signe littéraire. C'est particulièrementchez Barthes que l'on perçoit, à travers les ambivalences des textes consacrésà Saussure et à Proust, ce phénomène, qui permet de considérer l'absence de solutionde continuité entre l'herméneutique de la structure qui apparaît avec la Nouvelle Critiqueet l'herméneutique du signifiant fréquemment requise par la théorie postérieure.

Ce n'est toutefoispas l'ensemble de la théorie qui est concernée, puisqu'il faut une nouvellefois mettre à part le cas de Gérard Genette. Le chapitre XIII, « De lacritique à la poétique », postule ainsi que la poétique genettienne seconstitue à partir d'un double refus : refus de l'organicisme d'une part,refus du postulat de remotivation du langage d'autre part. On peut ainsicompléter l'étude de la relativisation de l'analogie chez Proust en examinantle sort réservé à la question du cratylisme dans la Recherche. Celle-ci doit une nouvelle fois être mise en parallèle avecla façon dont la méthode critique, d'abord marquée par la quête des correspondancesentre forme et thème, devient de plus en plus rétive à tout« mimologisme ». De la sorte, de même que la Rechercheest présentée par lui comme l'histoire d'une conversion du « héroscratyliste » en « narrateur hermogéniste », la lecture de la Recherchepar Gérard Genette peut bien être lue par nous comme un roman en plusieurschapitres disséminés dans les trois premiers volumes de Figures, au fil desquels le critique cratyliste se mue en poéticienhermogéniste. Ce dernier chapitre est ainsi l'occasion de reprendre l'ensembledes éléments précédemment aperçus pour marquer l'opposition entre la Nouvelle Critiqueet la poétique, et suggérer que la compréhension des tenants et aboutissants decelle-là est sans doute un préalable indispensable à une meilleure intelligencede ceux de celle-ci.

La conclusiontire le bilan de cette recherche et élargit la perspective d'un point de vuehistorique, épistémologique, esthétique et poétique. On se demande si la Nouvelle Critiquea pu établir une doxa proustologique,et l'on considère cinq points (la réflexivité, le sens inépuisable, la formeorganique, le rôle de l'inconscient, la figure du critique-écrivain) à proposdesquels le fait pourrait paraître attesté. On reprend alors la question poséeen introduction, celle du mimétisme, et l'on insiste sur le fait que ce mimétismese retrouve à tous niveaux, notamment en raison du rôle primordial del'analogie. On formule alors l'hypothèse selon laquelle cette obsessionmimétique dans la Nouvelle Critiquecorrespond, de la même façon que la critique consiste à « motiver »tout élément d'un texte et à lui fournir, selon l'expression de Proust, sa« raison d'être », à une volonté de « motiver » l'actecritique lui-même, toujours insuffisamment légitimé dans une culture où letexte est pour ainsi dire sacralisé, et le métatexte maintenu dans une positionancillaire.

La conclusionpermet aussi de passer en revue les diverses tendances des études sur Proustaprès la Nouvelle Critique.Sans prétendre à l'exhaustivité, on se concentre sur les travaux qui ontspécifiquement remis en cause des présupposés de la Nouvelle Critique,en particulier l'organicisme. Si une partie de ceux-ci a obéi à l'éternelcommandement du « retour au texte », on constate que plusieursdémarches concourent à mettre en cause non seulement l'idée d'oeuvre close,absolue, achevée, mais encore l'idée même de texte. On cite évidemment lagénétique qui fait éclater le texte en en exhibant les divers « états »,et la poétique qui ne cherche pas à démontrer la nécessité du texte mais aucontraire le pose comme actualisation de divers « possibles ». Oninsiste alors pour finir sur un type de démarche qui prend résolument lecontre-pied de la Nouvelle Critique,substitue l'horizon rhétorique à l'horizon herméneutique, le geste hypertextuelau geste métatextuel, en mentionnant deux entreprises récentes, celle de MichelCharles qui s'efforce de déceler les « dysfonctionnements » chez Proust,ou celle de Pierre Bayard qui propose de réduire la Recherche oud'améliorer Jean Santeuil. Cestravaux nous permettent de délimiter un double champ de recherche, à la foissur la rhétorique chez Proust - son rôle est souvent minoré, alors même qu'unegrande part de la pensée du roman de Proust repose sur l'idée selon laquellelecture doit conduire à l'écriture – et sur la rhétorique de Proust. Cettedernière consiste à envisager les diverses opérations de récriture induites parles possibles de la Recherche ; en particulier, combinantl'herméneutique et la rhétorique, il est peut-être possible de se demander, nonplus comment refaire la critique (nouvelle ou autre) pour qu'elle coïncide avecl'oeuvre, mais comment refaire l'oeuvre pour qu'elle coïncide avec sa critique. La Nouvelle Critiquen'a fait qu'interpréter Proust, il s'agit maintenant de le transformer.