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Fixxion, n°14: «Époque épique»

Fixxion, n°14: «Époque épique»

Publié le par Marie Minger (Source : Dominique Combe)

Appel à contribution

Fixxion n°14: Époque épique

Le manifeste Pour une littérature monde, publié en 2007, qui accusait le roman français de se complaire dans l’entre-soi et le narcissisme, paraît avoir fait long feu. Mais, si partial et injuste soit-il, le jugement de Jean Rouaud et Michel Le Bris aura du moins fait entendre la voix épique à travers “la rumeur de ces métropoles exponentielles où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous les continents”. C’est sous le signe de la phrase de Kipling: Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, reprise par Mathias Énard, que peut être placé un large pan de la production romanesque de ces dernières années. Au cinéma, la sortie du Réveil de la force confirme, si besoin était, l’actualité de l’épique.

En 1981, déjà, la revue Critique plaçait l’ensemble de l’œuvre de Claude Simon sous le double signe, éminemment politique, de “la terre” et de “la guerre”. Les archétypes hérités de l’Iliade, de l’Odyssée et de l’Énéide, aussi bien que des grands récits historiques ou religieux, continuent à hanter les romanciers contemporains.

C’est encore de pays et de territoires à parcourir, à conquérir ou à administrer, que rêvent les aventuriers ou voyageurs d’Olivier Rolin, Patrick Deville, Sylvain Tesson ou Maylis de Kerangal, dans Naissance d’un pont. Ces auteurs, “amoureux de cartes et d’estampes”, partagent la lecture de Jules Verne, Jack London, Blaise Cendrars ou Joseph Conrad, aussi bien que la mémoire des grands westerns. Antoine Volodine, Tierno Monénembo ou Laurent Gaudé mettent en scène des combattants épuisés, des souverains de royaumes lézardés ou d’empires menacés. Pour les exilés, les migrants et les populations déplacées d’une rive à l’autre de la Méditerranée ou de l’Atlantique, dans les romans de Dany Laferrière ou Fatou Diomé, se pose “l’énigme du retour”. Car la traversée conduit souvent à une plongée dans le “ventre de l’Atlantique”, à une Odyssée sans retour. L’épopée des “vaincus” évoquée par Édouard Glissant dans Poétique de la Relation est ainsi au cœur de nombreux romans, qui font puissamment résonner l’actualité. La guerre et la révolution, bien sûr, reviennent de manière obsessionnelle - qu’il s’agisse des deux guerres mondiales, de l’Algérie ou du Viet-Nam, de Che Guevara, de mai 68, du Rwanda, de la Bosnie ou, depuis 2001, de la “guerre contre la terreur”.  

Mais le combat, qui est au cœur de l’épos contemporain, est aussi celui d’une humanité confrontée aux forces de la nature, séismes, tsunamis ou cataclysmes qui se déchaînent, comme dans Ouragan de Laurent Gaudé. Les catastrophes écologiques ou nucléaires, définissent un épique apocalyptique dont se saisissent les thrillers et les cycles de l’heroic fantasy, qui croisent les mythologies du cinéma américain contemporain.

Face aux catastrophes naturelles, aux risques technologiques, aux guerres et aux conflits entre les États, les nations et les peuples, d’un bout à l’autre de la planète, les romanciers s’interrogent sur le sens de l’action héroïque. Dans Tigre en papier, le narrateur, double ironique d’Oliver Rolin, raconte à une jeune fille les hauts faits du groupe de militants de La Cause, à laquelle son père et lui-même ont appartenu dans les années 60-70: “Ce que je crois c’est qu’on a été la dernière génération à rêver d’héroïsme. Maintenant ça paraît ridicule, ça vous paraît bon pour des cloches, et à vrai dire vous ne voyez plus ce que ça veut dire, je sais. […] Il fallait que la vie soit épique, sinon à quoi bon ?” Jean Rolin, dans L’explosion de la durite, se joue des lieux communs du récit épique. Comme au XIXe siècle, l’effondrement des mythes nationaux ou révolutionnaires nourrit un “romantisme de la désillusion”.

Comment, dès lors, écrire les chants brisés d’une “Iliade de notre temps” et représenter cette violence immémoriale, se demande Mathias Énard? Comme le constate Édouard Glissant à propos de “l’épique moderne”, “la conscience de la nation” est “conscience de la relation”: le roman peut-il, par le souffle et la voix, produire un rythme aux proportions du Tout-monde, qui est aussi Chaos-monde? Comment les cycles ou les “œuvres-mondes” peuvent-ils retrouver l’ambition totalisante du projet épique? Comment, en un mot, le roman peut-il inventer l’épopée “à venir”?   

Telles sont quelques-unes des questions, parmi tant d’autres possibles, que le prochain dossier de Fixxion voudrait poser, dans les limites de la production romanesque en langue française depuis les années 1980.

 

Les propositions de contributions, environ 300 mots, en français ou en anglais, sont à envoyer d’ici le 1er juin 2016 à Dominique Combe et Thomas Conrad.

Les articles définitifs seront à remettre avant le 1er décembre 2016 sur le site (Soumissions) pour évaluation par le comité de la Revue critique de fixxion française contemporaine.
La revue accepte également des articles hors problématique du numéro.

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Fixxion 14: The Epic Era

The perception, put forward by the manifesto Pour une littérature monde (2007), that the French novel indulges in a narrow narcissism, seems to have persisted. As biased and unjust as this view may be, this pronouncement by Jean Rouaud and Michel Le Bris has however, at the very least, allowed the voice of the epic to be heard above “the din of these exponential foreign cities where the cultures of all the continents collided, reshuffled, and mingled with one another”. In fact, we can situate a significant portion of recent novelistic production in light of Kipling’s famous directive to “tell them of battles and kings, horses, devils, elephants, and angels” (shortened by Mathias Énard to Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants for the title of his 2010 novel). If there is any further need to confirm the topicality of the epic genre, we need look no further than the release of the last chapter of the Star Wars film saga: The Force Awakens.

As early as 1981, the review Critique described the whole of Claude Simon’s work as being eminently political and belonging to the double realm of “land” and “war”. These archetypes, inherited from the Iliad, the Odyssey and the Aeneid, as well as from major historical or religious narratives, continue to haunt contemporary novelists.

In fact, authors such as Olivier Rolin, Patrick Deville, Sylvain Tesson or Maylis de Kerangal, in Naissance d’un pont, create characters who still dream of countries and territories to explore, to conquer, or to rule. These authors, enamoured like Baudelaire’s child “by maps and etchings”, share a love of authors such as Jules Verne, Jack London, Blaise Cendrars and Joseph Conrad, as well as of epic Westerns. Antoine Volodine, Tierno Monénembo and Laurent Gaudé depict exhausted fighters, and sovereigns of crumbling realms or empires under threat. For exiles, migrants and populations displaced from one side of the Mediterranean or the Atlantic to the other, the novels of  Dany Laferrière and Fatou Diomé hold ot the elusive possibility of  “The Return”, since the crossing often leads to a plunge into the “Belly of the Atlantic”, to an odyssey without any hope for return. The epic of the “vanquished”, as evoked by  Édouard Glissant in his Poetics of Relation, is thus at the heart of numerous novels which powerfully echo contemporary events. War and revolution naturally recur in these texts with obsessive frequency—whether it be the two World Wars, the Algerian War, the Viet-nam War, the battles of Che Guevara, of May 68, of Rwanda, of Bosnia, or, since 2011, the “war on terror”.

But the battle which lies at the heart of the contemporary epic is also the one which sees humanity confronted by the forces of nature: earthquakes, tsunamis, or cataclysms which unfold, as in Lauren Gaudé’s Ouragan. These types of environmental or nuclear catastrophes define the apocalyptic epic, a genre which pervades contemporary American cinema in the form of the thriller or heroic fantasy sagas.

In the face of natural catastrophes, the risk of technological failure, war, conflicts between countries, nations and peoples on a global scale, novelists ponder the meaning of heroic action. In Tigre en papier, the narrator, an ironic double for Oliver Rolin, recounts to a young girl the exploits of a group of militants for the Cause, a group to which he and his father both belonged in the 60s and 70s, stating that he feels his generation was the last to dream of heroism and that “life must be epic” or nothing at all. For his part, Jean Rolin, in L’explosion de la durite, plays with the conventions of the epic genre. As in the 19th century, the collapse of national and revolutionary myths feeds a romantic disillusionment. In the words of Mathias Énard, how then are we to capture the broken music of an Iliad for our time and represent this age-old violence?  As Édouard Glissant notes in his reflection on the “modern epic”, the birth of a “national consciousness” entails a “consciousness of relation”; can the novel breathe life into a form vast enough to encompass the whole world in all its chaotic complexity? How can sagas or fictional universes recapture the totalising vision of the epic project? In short, how can the novel invent the “epic to come”?   

These are some of the questions, among others, that the next issue of Fixxion seeks to ask, within the framework of novelistic production in French since the 1980s.

 

Proposals for papers, about 300 words in French or in English, should be sent by 1 June 2016 to Dominique Combe et Thomas Conrad.

The final papers will be submitted on this site (Submissions) by 1 December 2016 for evaluation by the committee of the Critical Review of Contemporary French Fixxion.
The journal also accepts stand-alone articles not related to the issue's special topic.