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Figures de la singularité

Figures de la singularité

Publié le par Florian Pennanech (Source : Michel Kauffmann)

CEREG – CENTRE D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES SUR LES ESPACESGERMANOPHONES

U N I V E R S I T E PA R I S III – S O R B O N N E N O U V EL L E

Figures de la singularité

Colloque international et pluridisciplinaire : 4, 5, 6novembre 2010

APPEL À COMMUNICATIONS

Robinson, Zarathustra, Kaspar Hauser, Thoreau, Stirner, etaussi Baudelaire, Oscar Wilde, Lacenaire, Edmond Dantès, le capitaine Nemo :personnages historiques ou fictifs, prophètes, anarchistes, esthètes oucriminels, tous ces héros de la solitude et de la singularité ont leur place, àla fois centrale et marginale, dans l'imaginaire occidental. Depuis l'âgeromantique, la tradition voit en eux l'incarnation du génie prométhéen,créateur de sa propre vie, du visionnaire que sa singularité isoleinéluctablement de la foule. Une analyse plus sobre reconnaîtra en eux lareprésentation euphémisée de l'individu libéral. De fait, la « robinsonnade »,la fiction d'un sujet égoïste développant ex nihilo son activité rationnelle, està l'origine de la pensée économique classique, et un consensus semble (ousemblait) régner dans l'univers des sciences humaines pour définir la modernitécomme l'âge de l'émancipation de l'individu.

Mais comment cerner la singularité ? Même Robinson, lafigure centrale de l'individualisme moderne et occidental, le modèle duself-made-man qui tire de rien (et de personne) d'autre que de lui-mêmel'énergie nécessaire pour agir librement et pour produire à sa guise, n'est-ilpas l'homme le plus hanté par les croyances, les formes d'organisation etsurtout par les techniques du monde occidental qu'il ne fait finalement queredécouvrir ? Ces structures et données générales, propres à une sociététechnologiquement évoluée ne lui sont-elles pas d'autant plus indispensablesencore dès qu'il se trouve loin de son univers d'origine et qu'il est contraintde vivre de ses souvenirs ? L'ermite lui-même n'est-il pas toujours lesuccesseur de quelqu'un qui lui a déjà tracé la voie, et le pénitent solitaire,l'anachorète dans son désert n'est-il pas en dialogue permanent avec Dieu ou satête encombrée de visions érotiques et de diables ?

Il n'en reste pas moins que l'histoire d'un habile artisan,capable de réinventer et de refaire sans aide extérieure ce que d'autresavaient déjà fait avant lui, n'aurait intéressé personne si Defoe n'y avait pas« ajouté » la singularité de son personnage, sa capacité d'agir et de produireà partir de lui-même, capacité qui apparaît comme une évidence dès lors qu'elleest révélée par l'isolement « expérimental » que l'auteur inflige à sonpersonnage. Cette singularité, et l'isolement qui la révèle en la désignantcomme la propriété intrinsèque – et générale ! – de l'individu humain, apparaitdonc, à tort ou à raison, comme « essentielle ». Dit autrement : « être un êtreest la condition de possibilité pour être véritablement un être » (Leibnizparaphrasé par Jean-Cassien Billier). La version anarchiste de cette mêmefigure de pensée est la suivante : « Mon affaire, ce n'est ni le divin nil'humain, ce n'est pas le vrai, le bien, la justice, la liberté, etc. maisuniquement le Mien » (Max Stirner). Est-ce donc cette singularité, donnéegénérale, possibilité ou du moins disposition effective qui serait la clef del'existence ou de « la production d'entités séparées » (de l'individuation),puis, dans le même mouvement, de la subjectivation « qui, elle, impliquel'accession à la position d'agent d'un processus » (Pascal Michon) ?

Dans ce colloque, il ne s'agira bien évidemment pasd'accréditer telle ou telle approche (le primat de la structure ou celui del'existence singulière), mais d'interroger les représentations et figures qu'apu prendre la singularité dans la pensée occidentale dès l'école du scepticisme/ pyrrhonisme grec et son « intériorité isolée » ou éventuellement dans leretour à soi du stoïcien. Le moi qui émergerait dans la singularité relève-t-ilde l'ordre de la connaissance ou de celui de l'action, ou peut-il êtreappréhendé uniquement comme une « manière de fluer » ? Est-il une essence immuableou le résultat d'un processus, valeur suprême ou métaphore, fable, mythe ? Oninterrogera également les formes souvent dualistes dans lesquelles lasingularité apparait comme l'élé¬ment mo¬derne, évolué, mais aussi comme unprix à payer : déchirement, éclatement, etc. On a situé à des moments trèsdifférents cette rupture historique originelle qui aurait produit ou rendupossible l'individuation et l'émergence du singulier : à la sortie du mondemagique, au temps du « miracle grec », à la Renaissance, à l'éclosion de laphilosophie cartésienne, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle… ? Faut-ilremettre en question, comme le fait Pascal Michon depuis ses Éléments d'unehistoire du sujet, ces dualismes qui conduisent à distinguer un « avant » et un« après » de l'individualisation ? Faut-il par conséquent aussi reconsidérerl'opposition entre holisme et individualisme (Louis Dumont) ?

Si le récit de l'émergence va de pair avec unanthropocentrisme occidental certain, la singularité que ce dernier tend àfonder peut aussi être abordée en interrogeant l'histoire des styles de vie etdes « techniques de soi » (Foucault). Quels sont par ailleurs les moments dansl'histoire des idées et des pratiques où l'on a donné une valeur positive, maisaussi négative, à la singularité, en condamnant le solipsisme ou au contraireen glorifiant le génie ? Les cas d'enfants-loups pour lesquels le XVIIIe siècleavait un engouement considérable semblaient apporter la preuve que l'homme dela nature, avant l'éclosion de toute forme de société, n'était pas un mythe,mais une possibilité effective de l'espèce humaine. Or la « singularité » deces êtres était telle qu'elle pulvérisait les alternatives les plus chères auxphilosophes : si la robustesse exceptionnelle de ces enfants semblait un donprécieux de la nature, leur inaptitude au langage accusait le manque criantd'expériences sociales… Inclassables (donc foncièrement singuliers ?), ilsn'apportaient aucune preuve tangible non plus pour valider les critèreshabituels de l'humain : les orangs-outans se tiennent debout, tandis que lesenfants sauvages marchent à quatre pattes, le langage, critère par excellencedu caractère humain leur fait défaut…

A partir du XIXe siècle, c'est l'individu libéral qui prendle relais du sujet kantien, et rien ne semble actuellement pouvoir arrêterl'expansion de l'homo oeconomicus, dont l'égoïsme calculateur fait figure denouvelle norme éthique, car, avec l'aide de la « main invisible », l'intérêtbien compris de chacun est censé contribuer au bien-être de tous. Certainsauteurs rappellent cependant que l'individualisme libéral de Smith ou deRicardo ne saurait se résumer à la recherche de l'intérêt personnel. PourFoucault (Naissance de la biopolitique), « l'homo oeconomicus et la société civilesont deux éléments indissociables » : l'individu libéral ne se conçoitqu'inséré dans un cadre institutionnel. Jean-Luc Gréau (La trahison deséconomistes, de même Dardot et Laval, La nouvelle raison du monde, essai sur lasociété néolibérale) estime que le marché se définit à l'origine comme unespace coopératif, et que le capitalisme concurrentiel avec l'individualismeexacerbé qui en découle n'en représente qu'une version déformée. Si l'on suitdes auteurs tels que Marcel Gauchet, Luc Ferry ou Alain Renaut, ce n'est qu'àune époque très récente que s'instaure un « individualisme de la déliaison »(M. Gauchet). L'individu contemporain, ce serait, selon M. Gauchet, «l'individu déconnecté symboliquement et cognitivement du point de vue du tout »(La démocratie contre elle-même). Cet individualisme constituerait donc unerupture avec la conception classique de la subjectivité héritée de Kant, déjàfortement remise en question par la critique structuraliste : « Le sujet meurtdans l'avènement de l'individu » (Ferry-Renaut, La pensée 68). De fait, unauteur tel que Michel Onfray, qui incarne cet hédonisme individualiste issu demai 68, met au centre de ses réflexions le thème de la « singularité »lorsqu'il développe son programme de la « sculpture de soi ». L'individuautonome n'est plus chez lui un « entrepreneur de lui-même » (Foucault), maisle créateur de sa singularité.

Selon quelles acceptions programmatiques a-t-on doncvalorisé ou combattu la singularité comme mode d'existence, possibilité,nécessité, idéal ou écueil à éviter sur le plan politique, économique,philosophique, littéraire, anthropologique, etc. ? La « figure de l'obéissanceà soi-même » [Selbstgehorsam], constitue-t-elle « le noyau de la subjectivitémoderne » et montre-t-elle comment les sujets « s'arment pour devenir desagents capables d'action » [wie die ‘Subjekte' zu handlungsfähigen Agentenaufrüsten], comme le dit Peter Sloterdijk ?

Ce colloque a unevisée fortement pluridisciplinaire et internationale puisque les « Figures de lasingularité » n'appartiennent à aucune discipline, ni sans doute à aucune aireculturelle en particulier. Nous appelons donc de nos voeux les contributions dechercheurs venant d'autres disciplines que l'allemand (Histoire des mentalitéset des idéologies, histoire sociale ou histoire des théories et pratiqueséconomiques, anthropologie, philosophie, psychologie, Lettres françaises etétrangères).

Date limite pour les propositions : 30 avril 2010.

CONTACTS :

Université Paris 3, Institut d'allemand d'Asnières, 94, av.des Grésillons, 92600 Asnières,

tél.: 01 46 13 48 60.

Michel KAUFFMANN : michel.kauffmann@yahoo.fr

Rolf WINTERMEYER : wintermeyer.rolf@wanadoo.fr