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Figurations de l'attitude lettrée dans la littérature contemporaine (1980-2010)

Figurations de l'attitude lettrée dans la littérature contemporaine (1980-2010)

Publié le par Marion Moreau (Source : Mathieu Messager , Anne Sennhauser)

L'èthos du littéraire

Figurations de l'attitude lettrée dans la littérature contemporaine

(1980-2010)

Samedi 8 décembre 2012

 

Journée d'étude des doctorants de l’ED 120 (Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle)

 

« Et c’est bien cela l’inter-texte : l’impossibilité de vivre hors du texte infini – que ce texte soit Proust, ou le journal quotidien, ou l’écran télévisuel : le livre fait le sens, le sens fait la vie. »

Roland Barthes, Le Plaisir du texte

 

               Après plusieurs décennies de mise en doute des pouvoirs de la littérature, celle-ci est-elle en train de redevenir une « alliée substantielle » ? Si depuis les années 1980 le discours déclinologue ne s'essouffle pas[1], tout un travail critique et universitaire d'analyse de la production littéraire contemporaine – des premiers panoramas[2] aux cartographies plus récentes[3] – a placé au centre de ses préoccupations la question de la vitalité et de la diversité de la littérature. Ce mouvement de fond a accompagné l'émergence d'un questionnement fondamental cherchant à  réhabiliter l'une des fonctions premières de la littérature : sa capacité à dire notre rapport au monde. En témoignent les récentes interrogations sur ses finalités pragmatiques : Lire, interpréter, actualiser : pourquoi les études littéraires ? ; La littérature, pour quoi faire ? ; Comment écouter la littérature ?[4] L'expérience littéraire et la culture livresque se revendiquent comme des valeurs irréductibles alors même que la littérature se trouve concurrencée par d'autres modalités discursives. La « vie du lettré » fascine car l'on se met à redécouvrir les possibilités de refiguration mémorielle et existentielle qu'induit une pratique littéraire du monde[5]. Autant que la valeur symbolique des lettres, c’est leur place dans la société et l’expérience singulière que permet la littérature qui sont questionnées.

            Notre journée d'étude s'inscrit dans le sillon de cette actualité théorique. Elle souhaite engager la réflexion depuis la bibliothèque contemporaine afin de voir ce qu'il en est aujourd’hui de l’« attitude lettrée » dans la construction de l’identité narrative. Que nous dit l'écrivain – en son nom propre ou à travers ses masques – de son rapport aux Lettres ? Quelles visions de soi l’être littéraire cherche-t-il à faire passer ? Nombre d’auteurs construisent en effet leurs oeuvres en interaction avec une mémoire de la littérature, soit qu’ils entreprennent une réévaluation des codes et des modèles d’écriture dans une perspective ludique (Jean Echenoz, Éric Chevillard, Pierre Senges,…), soit qu’ils privilégient une exploration de la bibliothèque dans des fictions érudites (Philippe Sollers, Pierre Michon, Patrick Deville…), soit qu’ils souscrivent à l’utopie barthésienne d’une « vie en forme de phrase »[6] où la littérature serait une expérience existentielle à part entière (Pascal Quignard, Richard Millet, Jean-Bertrand Pontalis[7]…). Que ce soit pour exhiber une mémoire intertextuelle fondatrice de l’écriture, ou pour se référer à un absolu littéraire ébranlé – de celui, romantique, qui exalte la puissance des lettres à celui mallarméen, du tout-littérature – l’écriture vient alors s’ancrer dans la figuration, voire l’exhibition, d’une mémoire des lettres et de la langue. C’est ainsi tant une vision de la Littérature « majuscule »[8] – valorisée, tournée en dérision ? – qu’une conception de l’acte d’écriture – possibilités de la table rase, mélancolie ou jubilation de la réécriture ? – qui se dessinent alors.

            Nous privilégierons donc ceux des écrivains actuels qui – fût-ce de manière oblique ou par un regard distancié –, specularisent et spectacularisent à même leur création une attitude lettrée. En nous autorisant des excursions dans le corpus international – nous pensons, entre autres et à des degrés divers, aux fictions de Somoza, de Tabucchi ou encore de  Sebald –,  nous aimerions ainsi cerner les modes d’investissement de cet èthos du littéraire, entendu comme subjectivité ontologiquement reliée à la littérature par la mémoire ou l’expérience. Au sein de cette réflexion, voici quelques axes qui pourront être privilégiés : 

1. Sur quelles représentations l'écrivain s’appuie-t-il pour structurer son image d’ « homme de lettres », au croisement du textuel, de l’imaginaire et du réel ? Quelle légitimité et quel statut symbolique cherche-t-il à conquérir dans la société ?

2. Dans le cas d’une écriture qui exhibe les signes d’une érudition littéraire, quelles formes et quelles fonctions l’écrivain assigne-t-il à la bibliothèque ? Quelles postures se dessinent face à Littérature « majuscule » ? La bibliothèque apparaît-elle comme un horizon de lecture, un prisme d’écriture, un lieu de projection ?

3. Quelles approches génériques sont privilégiées par cette ressaisie de la bibliothèque (traité, fiction d’auteur, enquêtes d’ordre historique…) ? Quels liens peut-on voir s'établir entre érudition et fiction ?

4. Quelles postures narratives l'auteur choisit-il pour dire son rapport à l’héritage littéraire  (admiration, désinvolture, dénégation, subversion…) ?

5. Comment la langue, la lecture, la grammaire ou le lexique définissent-ils des catégories à part entière, capables de modéliser le rapport du sujet écrivant au monde ? (les relations affectées et affectives au langage ; la grammaire comme allégorisation d'enjeux éthiques et existentiels...)

 

            Cette journée d’étude privilégie l’époque contemporaine (1980-2010) mais souhaite accueillir toute aire culturelle et linguistique. Les études pourront s’attacher aux axes définis ici ou en proposer d’autres qui viendraient s’inscrire dans notre problématique. Nous accorderons une attention particulière aux propositions interrogeant la remotivation de l’attitude lettrée à travers un rapport passionnel à la bibliothèque et à la langue (axes 2 et 5). La mise au jour des soubassements socio-historiques, mais aussi théoriques et philosophiques, sera la bienvenue pour comprendre le mécanisme, l’origine et le remodelage de l’attitude lettrée dans les écritures actuelles.

 

Organisation

-       Institution : l'ED 120 (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3) finance et organise cette journée d'étude en partenariat avec le CERACC (Centre d'études sur le Roman des Années Cinquante au Contemporain)

-       Comité scientifique : il associe les responsables de la journée (Bruno Blanckeman et Marc Dambre, codirecteurs du CERACC) et les doctorants organisateurs (Mathieu Messager et Anne Sennhauser).

-       Intervention / parution : le temps optimal des interventions est fixé à 30 minutes afin qu'elles puissent être suivies de 10 à 15 minutes de discussion. Les actes de cette journée d'étude paraîtront en ligne dans Les Cahiers du CERACC.

-       Lieu : La Sorbonne (Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle),  5ème arrondissement de Paris, 17 rue de la Sorbonne, salle Max Milner, escalier C, 2e étage.

 

Les propositions de communication (environ 500 mots) sont à envoyer à l’adresse suivante (ethos.du.litteraire@gmail.com) avant le 15 août, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique.

 

Les organisateurs

Mathieu Messager et Anne Sennhauser
 

 

[1]     Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Paris, Belin, 2006 ; Richard Millet, Désenchantement de la littérature,  Paris, Gallimard, 2007 ; Tzvetan Todorov, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007 ; LHT, n°6, « Tombeaux pour la littérature »,10 juin 2009 [En ligne], URL : http://www.fabula.org/lht/6.

[2]     Jean Lebrun et Claude Prévost, Nouveaux territoires romanesques, Paris, Messidor, 1990.

[3]     Dominique Viart, Écritures contemporaines I et II, Paris, Lettres Modernes, Minard, 1998 et 1999 ; Bruno Blanckeman, Marc Dambre, Aline Mura-Brunel, Le roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004.

[4]     On aura reconnu, dans l'ordre, le titre des ouvrages d'Yves Citton, d'Antoine Compagnon et de Thomas Pavel, auxquels nous pouvons ajouter celui de Jean-Marie Schaeffer, Petite écologie des études littéraires : pourquoi et comment étudier la littérature ?, Vincennes, Éditions Thierry Marchaisse, 2011.

[5]     William Marx, Vie du lettré, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2009 ou, plus récemment, le livre de Marielle Macé sur les pratiques de construction de soi par la lecture (Façons de lire, manières d'être, Paris, Gallimard, coll. « NRf Essais », 2011).

[6]     Roland Barthes, La Préparation du roman I et II. Cours et séminaires au Collège de France, (1978-1979 et 1979-1980), Seuil IMEC, 2003, p. 147.

[7]     Auteur, mais aussi créateur de la collection « l'Un et l'autre » chez Gallimard, J.-B. Pontalis est particulièrement sensible aux tressages de l'inconscient et de la mémoire littéraire dans la création des écrivains. 

[8]    D. Maingueneau, Contre Saint-Proust ou la fin de la littérature, Belin, 2006, p. 7.