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Fictions biographiques

Fictions biographiques

Publié le par Alexandre Gefen

Colloque de l'équipe E.cri.re
Traverses 19-21

Fictions biographiques,
XIXe-XXIe siècles

11 - 14 mai 2004

Université Stendhal - Grenoble III

Programme

L'étude des " fictions biographiques " est un champ délibérément ouvert. La formule peut en effet d'abord s'entendre comme un oxymore, au sens de biographies imaginaires de personnages réels, dans la lignée des Vies imaginaires de Marcel Schwob (1896), sens auquel la production littéraire contemporaine donne une indéniable actualité ; mais elle n'est pas sans évoquer également le roman biographique, récit de vie d'un personnage fictif qui reprendrait, souvent dans une perspective parodique, la forme et les convictions du genre biographique.

Ces textes hybrides, au genre indécis, apparaissent comme l'espace privilégié d'un questionnement sur les liens qu'entretient la fiction avec la vérité, avec la connaissance et sur la capacité du récit de vie à se constituer en oeuvre littéraire.

Il s'agit à la fois d'explorer la multiplicité des formes que prennent ces fictions biographiques depuis le XIXe siècle dans la littérature française ou étrangère, de tracer leurs frontières avec les genres voisins (biographie, autobiographie, hagiographie, histoire, mais aussi récit mythique ou essai), de cerner leurs objets privilégiés (hommes illustres ou inconnus, artistes ou témoins) tout en s'interrogeant sur la chronologie de ce genre, son archéologie et ses liens avec la modernité.

MARDI 11 MAI 2004
Salle Jacques Cartier, Maison des Langues et des Cultures

14h00 Accueil des participants et allocution d'ouverture de Patrick Chézaud, Président de l'Université Stendhal
Approches théoriques et histoire de la forme
Séance présidée par Michel Lafon et Dominique Viart

14h30 Dominique Viart, Lille III
Naissance moderne et renaissance contemporaine de la fiction biographique (Schwob, Valéry, Ponge, Michon, Macé...)

15h00 Alexandre Gefen, université de Neufchâtel
Conditions théoriques de possibilité et généalogie d'un genre contemporain : la fiction biographique

15h30 Michel Lafon, Grenoble III
Biographies infâmes, biographies synthétiques, fictions : vies de Jorge Luis Borges


Autour du colloque Fictions biographiques

Mardi 11 mai
18h30, salle des conférences de la Maison du Tourisme
Table ronde d'écrivains : Christian Garcin, Gérard Macé
et Jean-Benoît Puech (animée par Fabienne Dumontet et
Alexandre Gefen).


Mercredi 12 mai
Musée de Grenoble
19h00, lecture par Gérard Macé d'extraits de sa biographie fictive de Champollion : Le dernier des Egyptiens.


MERCREDI 12 MAI 2004
Salle Jacques Cartier, Maison des Langues et des Cultures

L'enquête biographique : de l'Histoire à l'histoire personnelle
Séance présidée par Daniel Madelénat

9h30 Anne-Emmanuelle Demartini, Paris VII
La discipline historique et le renouvellement du genre biographique (textes théoriques de Bourdieu, Lévi)

10h00 Martine Carré, Grenoble III
Austerlitz, un nom, une bataille, une gare, un individu, deux phonèmes et Thieresienstadt (Austerlitz de Sebald, 2001)

10h30 Pause

11h00 Bernadette Bost, Grenoble III
Le Printemps de Denis Guénoun (biographies théâtrales fictives de Luther, Copernic, Las Casas, Michel Ange et Jeanne La Folle)

11h30 Marie-Odile Thirouin, Lyon II
Le statut de la vérité dans les biographies imaginaires de Karel Capek (Récits apocryphes)

Fiction biographique et arts visuels 1 (Actes en ligne)
Séance présidée par Evanghelia Stead

14h00 Luc Ruiz, Amiens
Vies authentiques de peintres imaginaires de William Beckford ou l'imagination pittoresque à l'oeuvre

14h30 Agathe Salha, Grenoble III
Vies de peintres chez Walter Pater et dans Vies imaginaires de Marcel Schwob

15h00 Dominique Massonnaud, Grenoble III
L'Evangile selon Louis : fiction biographique et théorie de l'histoire dans La Semaine sainte de Louis Aragon (1958)

15h30 Pause

16h00 Brigitte Ferrato-Combe, Grenoble III
La place du modèle dans la fiction biographique de peintre (Garcin, Goffette, Michon...)

16h30 Martine Boyer-Weinmann, Lyon II
Le Rimbaud de Carjat : une photo fiction biographique


JEUDI 13 MAI 2004
Salle Jacques Cartier, Maison des Langues et des Cultures
Fiction biographique et arts visuels II (actes en ligne)
Séance présidée par Dominique Viart

9h30 Enza Biagini-Sanelli, université de Florence
Artémisia d'Anna Banti (vie d'une femme peintre du XVIIe siècle)

10h00 Patrice Terrone, Grenoble III
Portraits d'inconnus : biographies fictives du Caravage et de Vermeer (Dominique Fernandez, Guy Walter...)

10h30 Pause

11h00 Julie Wolkenstein, Caen
Rosebud : le motif du secret dans la fiction biographique chez Welles et Davis

11h30 Didier Coureau, Grenoble III
La fiction biographique mise en question par deux expériences cinématographiques singulières : Alain Cavalier (Thérèse), Maurice Pialat (Van Gogh)

Vies brèves en recueil
Séance présidée par Anna Dolfi

14h00 Laurent Demanze, Lille III
Vies parallèles, vies minuscules (Plutarque, Michon)

14h30 Anne-Marie Monluçon, Grenoble III
Corps et maladie dans les vies imaginaires : détails, destin ou singularité ? (Marcel Schwob, Jorge-Luis Borges, Antonio Tabucchi)

15h00 Ariane Eissen, Poitiers
Le récit de rêve comme récit de vie dans Rêves de rêves d'Antonio Tabucchi

15h30 Pause

16h00 Evanghelia Stead, Reims
La littérature, " graine pleine d'une essence violente " : Marcel Schwob et les Elisabéthains

16h30 Rita Guerricchio, université de Florence
The granite and the rainbow : l'illusion référentielle dans les Vies, par Alberto Savinio, Giuseppe Pontiggia, Melania G. Mazzucco"


VENDREDI 14 MAI 2004
Grande salle des colloques, Université Stendhal
Fiction de l'oeuvre, fiction de l'auteur
Séance présidée par Frédéric Regard

9h30 Daniel Madelénat, Clermont-Ferrand II
Le vrai, le faux, le figuré : à propos d'Antibiotiques (Cahiers Georges Perec), une lecture critique de la biographie de l'Américain David Bellos : Georges Perec, Une Vie dans les mots

10h00 Emmanuel Bouju, Rennes II
Auctor in fabula / opus e fabula : le double-fond de la fiction biographique (chez Mertens, Saramago, Norfolk)

10h30 Robert Kahn, Rouen
" Le labyrinthe, qui représentait une coupe transversale de mon cerveau... " : personnages réels et personnages fictifs dans Les Anneaux de Saturne de Sebald

11h00 Pause

11h30 Michael Sheringham, university of London, Royal Holloway
La compréhension du vécu : Dilthey, Aron, Sartre

12h00 Marielle Macé, CNRS
Biographies analytiques et mobilisation de la fiction : Sartre, Valéry

Economie du désir biographique
Séance présidée par Jean-François Louette

14h30 Frédéric Regard, ENS-Lyon
Genèse, médiation narrative et métalepse dans le Shakespeare d'Anthony Burgess

15h00 Ann Jefferson, Oxford, New College
Le littéraire et le sacré : les Vies minuscules de Pierre Michon

15h30 Pause

Séance présidée par Ann Jefferson

16h00 Jean-François Louette, Lyon II
" Une vie de chien " d'Henri Michaux in Mes Propriétés

16h30 Anna Dolfi, université de Florence
Le Stade de Wimbledon de Daniele del Guidice


Organisation

Comité scientifique :
Ariane Eissen (Poitiers)
Michel Lafon (Grenoble III)
Daniel Madelénat (Clermont-Ferrand II)
Frédéric Regard (ENS-Lyon)
Dominique Viart (Lille III)


Comité d'organisation :
Anne-Marie Monluçon, Brigitte Ferrato-Combe et Agathe Salha de l'équipe E.cri.re, en collaboration avec Alexandre Gefen du groupe de recherche en ligne Fabula.org, le Cesr, l'Ilcea et le Céditel.

Avec le soutien de :
Université Stendhal Grenoble 3 (Action culturelle) , Ministère de l'éducation nationale et de la recherche, Conseil général de l'Isère, METRO (Grenoble-Alpes métropole), Ville de Grenoble, Bibliothèques municipales de Grenoble, Pôle Européen, Musée de Grenoble, Groupe de Recherche Fabula.org

Résumé des contributions

1) Enza Biagini-Sanelli, université de Florence :
Artemisia d'Anna Banti

Ce n'est pas une biographie, mais un « roman » (Artemisia, Firenze, Sansoni, 1947) qu'Anna Banti, - pseudonyme de Lucia Lopresti (Rome 1895-Florence 1985), a consacré à la vie d'Artemisia, cette femme, « peintre d'exception », aux traits et aux couleurs de Caravage, célèbre à Rome, Florence, Londres et Naples. Pourtant les dates et les oeuvres sont là pour témoigner d'un vécu : Artemisia Gentileschi (Rome 1593-Naples 1663) dont la jeunesse a été marquée par un honteux procès pour viol, en 1611, à Corte Savella, fille du peintre Orazio Gentileschi, aurait pu vraiment faire l'objet d'un véritable « pacte biographique » et d'une « vie de peintre » accomplie, à a manière de Giorgio Vasari (sans compter qu'Anna Banti était une historienne de l'art, et l'épouse de Roberto Longhi, un véritable « phare » en la matière). Mais regardant plutôt du côté de Manzoni et de son idée de « mélanger les faits historiques et l'imagination », Anna Banti réalise un exemple magistral de « biographie imaginaire ». D'emblée, et au-delà du sujet, de par sa structure même, ce livre appelle différents niveaux d'interprétation d'ordre théorique - hybridation des genres par le jeu des voix du récit, forte instance métanarrative et autobiographique, dialogue des temps, rapports entre la mémoire, l'imagination et l'histoire - et thématique de « lecture de genre » - Artemisia d'Anna Banti est surtout la mise en récit d'un rachat personnel et public et d'une légitimation de la passion pour l'art d'une femme du XVIIe siècle. En définitive, ces orientations de lecture, visant en fait à dépister les traces de résistance à la réception d'un texte qui n'obéit qu'à la preuve d'une « vérité vraisemblable » du vécu, ne font que suivre de près l'ambiguïté de l'intention de l'auteur : c'est en pensant à un renouveau du roman historique qu'Anna Banti a fini par réaliser ce modèle fondateur et inédit de biographie.

2) Emmanuel Bouju, université Rennes 2 :
Auctor in fabula / opus e fabula : le double-fond de la fiction biographique
(chez P. Mertens, J. Saramago, L. Norfolk...)

La pratique de la biographie fictionnelle d'écrivain a pour vertu de relancer l'interrogation sur les fins de la littérature. Dans plusieurs exemples contemporains, il s'agit presque même, de la part de l'auteur, d'une dissection, ou d'une leçon d'anatomie de l'écrivain, qui expulse largement l'oeuvre source de son ordre, pour lui substituer les règles de sa propre esthétique.
Derrière l'auctor in fabula se cache un double-fond du récit : l'oeuvre-modèle est laissée à l'écart, en-dehors du récit (opus e(x) fabula), sous-entendue par le texte qui, lui, hérite de cette absence pour en tirer (opus a(b) fabula) l'autorité d'une écriture. `
La mort du modèle signe la naissance du portraitiste, et l'apparition / disparition du double permet de définir pour soi-même le rapport nécessaire de l'existence à l'écriture.

3) Martine Carré, université Stendhal, Grenoble III.
D'Austerlitz au paradigme Auschwitz ou : la biographie entre fiction et histoire dans Austerlitz de W.G. Sebald.

Ce travail s'appuiera, puisque le roman étudié se présente comme une biographie illustrée, sur la fonction des îlots référentiels dans le texte et les rapports qui s'instituent par leur truchement entre fiction et histoire. Il dégagera les conditions de possibilité du récit de vie et montrera comment celui-ci renverse la posture biographique traditionnelle et en modifie la structure et l'étendue. Il montrera comment le roman inscrit l'histoire du personnage dans l'Histoire en recourant à l'ordre contraignant et rigoureux de la fiction. Il soulignera enfin que cette dernière organise l'anecdotique en jouant - au niveau argumentatif qui est le sien - du savoir latent du personnage « biographié » et des références conscientes de son biographe, le narrateur, pour mettre en continuité le monde fictif et celui du lecteur. Ainsi il tentera d'approcher ( mais en laissant la question ouverte ) les rapports entre histoire et mémoire dans le cadre d'une littérature que l'on peut dire des traces.

4) Didier Coureau, université Grenoble III :
La « fiction biographique» mise en question par deux expériences cinématographiques singulières : Alain Cavalier (Thérèse, 1986), Maurice Pialat (Van Gogh, 1991)

En vue de mener une réflexion sur les relations entre cinéma et « fiction biographique », mon corpus se réduira à deux films tournés dans les deux dernières décennies du XXème siècle : Thérèse d'Alain Cavalier et Van Gogh de Maurice Pialat.
L'expression « fiction biographique » peut aussi évoquer, au cinéma, le rapport entre « fiction » et « documentaire » - la biographie pouvant appartenir à l'un ou l'autre de ces champs. Cavalier et Pialat ont eu tous les deux une expérience du documentaire, même s'ils sont principalement reconnus pour la part fictionnelle de leur oeuvre. Ces deux pôles de leur cinéma pourront ainsi se retrouver dans leur approche de la biographie. En sachant que, dès qu'un point de vue de cinéaste-auteur s'affirme, le documentaire peut devenir une véritable oeuvre de création - ou de recréation du réel-, et que la fiction peut quant à elle être traversée par la vision documentaire.
Pialat (né en 1925) et Cavalier (né en 1931) sont contemporains des cinéastes de la Nouvelle Vague, mouvement auquel ils n'ont pas pris part, poursuivant des chemins singuliers et solitaires. Les choix biographiques faits dans les films que nous aborderons, concernent justement des personnalités aux parcours (pictural, mystique) marqués par la solitude et la recherche intérieure : Van Gogh (1853-1890), et Thérèse Martin / Ste-Thérèse de Lisieux (1873-1897), qui vécurent dans une même période, la seconde moitié du XIXème siècle.
A partir de ces éléments, je tenterai d'aborder différentes problématiques qui concernent les deux cinéastes et leur approche filmique de la « fiction biographique » : choix de Van Gogh et Thérèse, sources et documents utilisés afin de scénariser leurs biographies ; choix des acteurs ; choix esthétiques effectués ; rapports fiction / documentaire ; points de rencontre entre biographie cinématographique et portrait pictural (Pialat et Cavalier entretenant des liens étroits avec la peinture)...

5) Laurent Demanze, université de Lille III :
Vies parallèles, vies minuscules

La communication explorera le rapport qu'entretient Michon avec Plutarque et essayera de montrer que les Vies minuscules mènent de façon explicite un long débat avec l'auteur des Vies parallèles. : on montrera ainsi que de Montaigne à Rousseau, en passant par Michon, le dispositif de biographies comparées mis en place par Plutarque, est inséparable de l'écriture de soi. Le dialogue de Michon et de Plutarque ne serait alors que l'ultime devenir du dialogue que la tradition autobiographique n'a cessé de mener avec l'oeuvre plutarquéenne.

6) Anne-Emmanuelle Demartini, université de Paris VII-Jussieu :
La discipline historique et le renouvellement du genre biographique

La communication portera sur les relation des historiens avec le genre biographique qui fait aujourd'hui retour dans la discipline historique, après plusieurs décennies de dévalorisation, devenant même un terrain d'expérimentation : questions épistémologiques, mise au point historiographique à travers des textes théoriques (Bourdieu, Levi) et exploration de nouvelles façons de faire. Ma communication intègrera aussi la question du rapport que les historiens entretiennent avec la fiction.

7) Ariane Eissen, université de Poitiers
Le récit de rêve comme récit de vie dans Rêves de Rêves d'Antonio Tabucchi

Le récit de rêve dans Rêves de rêves d'Antonio Tabucchi revêt nécessairement une valeur biographique dès lors que le recueil réécrit les Vies imaginaires de Marcel Schwob et se clôt sur une série de notices biographiques, à lire en relation avec les rêves. Le récit de rêve serait alors un mode d'accès à l'intimité des artistes biographés. Mieux, il irait au bout de la logique biographique en livrant une représentation des noeuds d'affects et de pulsions qui animent le sujet et sont au principe de sa création. Il accomplirait ainsi le projet de Sainte-Beuve : "saisir, embrasser et analyser tout l'homme au moment où [...] son génie, son éducation et les circonstances se sont accordés de telle sorte qu'il ait enfanté son premier chef d'oeuvre." Pourtant par un dispositif réversible que Tabucchi affectionne si la vie (donc le rêve) est censée expliquer l'oeuvre, c'est également l'oeuvre qui permet à Tabucchi d'imaginer le rêve et d'en faire le récit. Dès lors, le rêve ne peut être qu'au service d'une fiction de biographie, biographie illusoire, déduite d'une oeuvre où le "je" apparaît sous le masque de la fiction. Par conséquent, le texte de Rêves de rêves est une fiction de fiction à laquelle le lecteur est convié à donner un contenu biographique, sans toutefois disposer de codes herméneutiques assurés pour le faire.

8) Brigitte Ferrato-Combe, université Stendhal de Grenoble
La place du modèle dans la fiction biographique de peintre (Garcin, Goffette, Michon)

Il ne s'agit pas d'analyser une fois de plus les relations du peintre et de son modèle, véritable topos des Vies ou des romans d'artistes, mais d'étudier comment s'opère un décentrement de l'artiste vers le modèle dans certaines fictions biographiques contemporaines consacrées à des peintres. Décentrement à la fois du regard et du récit. Le regard du narrateur se porte prioritairement sur le modèle, bousculant les hiérarchies habituelles et conduisant à une réévaluation ; le modèle regarde l'artiste, inversant la situation réelle, couramment reprise dans les biographies ou les romans. Le modèle s'interpose entre le narrateur et son « héros », l'artiste, soit pour focaliser l'attention et confondre sur sa personne le regard du peintre et celui du narrateur, soit pour s'emparer du récit et faire de l'artiste son propre modèle. La relation biographique devient ainsi une relation triangulaire, dispositif qui pourrait être spécifique de la fiction biographique de peintre (ou plus généralement de plasticien).
Seront essentiellement étudiés dans cette perspective les textes de Pierre Michon (Vie de Joseph Roulin, Verdier, 1988 ; Maîtres et serviteurs, Verdier, 1990), de Guy Goffette (Elle, par bonheur, et toujours nue, Gallimard, 1998) et de Christian Garcin (Vidas, Gallimard, 1993 ; L'Encre et la couleur, Gallimard, 1997)

9) Ann Jefferson, université d'Oxford, New College :
Le littéraire et le sacré : les Vies minuscules de Pierre Michon

Cette communication portera sur la manière dont Michon déplace les enjeux de la théorie littéraire du domaine de l'abstrait vers celui du vécu. La question qu'est-ce que la littérature?' s'infléchit sous sa plume pour devenir plutôt celle d'un désir de croyance dans la littérature qui, pourtant, n'exclut pas la possibilité d'une imposture. Dans cette perspective les Vies minucules se laissent lire comme autant de légendes' dont les sujets constituent des exemples que médite l'écrivain en puissance.

10) Robert Kahn, université de Rouen :
« Ce labyrinthe, qui représentait une coupe transversale de mon cerveau... » : fiction et réalité dans les Anneaux de Saturne - Un pèlerinage anglais de W. G. Sebald.

Il s'agit de s'orienter dans le labyrinthe que propose ce texte déconcertant de W. G. , son troisième livre de « fiction » publié. Sebald entrelace, au fil des pérégrinations du Narrateur dans l'est de l'Angleterre, région où l'auteur a choisi de vivre, des micro-récits d'une grande érudition consacrés à des personnages aussi différents que les écrivains Joseph Conrad, Thomas Browne, Edouard Fitzgerald, Swinburne, Chateaubriand, ou l'homme politique sir Roger Casement, qui connut une fin tragique. Il y ajoute le souvenir de rencontres avec des personnes réelles (comme son ami Michael Hamburger, le traducteur de Paul Celan) et avec des personnages fictifs et symboliques, comme ce prédicateur méthodiste qui reconstruit à une échelle réduite le temple de Jérusalem. Ce faisant, c'est toute l'histoire européenne, y compris dans sa dimension coloniale, qui est évoquée et soumise à réexamen. Peut-être alors le mixte de fiction et de réalité devient-il le meilleur instrument heuristique, l'outil idéal, parce qu'imparfait, de la remémoration. Les nombreuses photographies, très présentes dans l'architecture même de ce livre comme dans tous les autres de l'auteur, brouillent encore un peu plus la frontière entre fiction et réalité, en jouant constamment avec la fonction mimétique assurée depuis cent cinquante ans par cette technique. L'ensemble du livre, comme le titre l'indique, est voué à l'exploration et à l'exaltation d'une sévère mélancolie.

11) Daniel Madelénat, université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand :
Le vrai, le faux, le figuré : à propos d'Antibiotiques (Cahiers Georges Perec, 7, Le Castor Astral, 2003), une lecture critique de la biographie de l'Américain David Bellos : Georges Perec, Une vie dans les mots, Le Seuil, 1994)

Antibiotiques soumet la biographie de Bellos à une salve de critiques générales (qui touchent les mobiles, l'esprit, le style de l'entreprise) et particulières (l'exactitude et la fiabilité des informations factuelles ou des schèmes explicatifs). Cette confrontation originale - la critique se cantonne d'ordinaire dans l'espace restreint d'un compte rendu impressionniste, descriptif ou polémique - servira ici de prétexte pour explorer le territoire où dialoguent aujourd'hui les concepts de vrai, de faux et de figuré dans la théorie (implicite ou explicite) qui accompagne la pratique ou la critique de la biographie. En un temps où l'idéal médiatique de transparence se heurte à la prolifération des simulacres et à la manipulation des images, le vrai ne peut plus s'opposer au faux en un duel positif et frontal ; ses apories conduisent à réévaluer un tiers terme, le figuré, proche de la fiction, mais soumis (plus ou moins) à des contraintes historiques et documentaires.



12) Dominique Massonaud, université Stendhal de Grenoble :
L'Evangile selon Louis : fiction biographique et théorie de l'histoire dans La Semaine sainte

L'objet d'étude est La Semaine sainte d'Aragon (1958) : sept jours de la vie de Théodore Géricault, peintre en puissance, en mars 1815. Le temps diégétique mis en scène et l'esthétique romantico-réaliste attachée à la production réelle de Géricault, place ce texte au coeur des enjeux attachés à la notion de « fiction biographique ».
Cependant, La Semaine sainte est souvent entendue comme un « mentir-vrai », lue dans une perspective méta-textuelle (comme les romans ultérieurs d'Aragon). L'accent peut alors être mis sur le « devenir-peintre du romancier », par exemple. Il me semble que la dimension référentielle vient alors écraser l'analyse : Aragon y invite, par exemple en superposant souvenirs de 1914-1918 et un autre Théodore, au personnage de Théodore Géricault. Cette invite peut faire écran : de manière à entendre le travail du biographique comme espace ouvert aux projections de l'auteur dans la fiction. Je souhaiterais donc orienter autrement l'analyse : en observant le récit de la passion du personnage, comme la mise en scène d'un évangile selon Louis, donc.
Pour cela, les enjeux de frontières génériques posés par l'exergue « Ceci n'est pas un roman historique... » permettent de montrer en quoi il s'agit de « corriger Dumas » dans ces « Mousquetaires 1815 ». Le travail proprement « parodique » dans le texte, et l'analyse de la tentative préalable d'un roman sur le sculpteur David d'Angers, déterminent alors le statut du personnage dans La Semaine sainte. Un second moment de l'analyse traitera de la composition romanesque. Le modèle du Radeau de la Méduse peut donner l'occasion d'élucider les rapports entre non-sens de l'histoire et diffraction du sujet, dans le texte d'Aragon. Enfin, l'analyse s'attachera aux modalités du passage entre le récit de vie ordinaire d'un personnage « spécimen » ou échantillon, à l'avènement d'une sujet : des atermoiements du Moi à la présence du Je. L'itinéraire du personnage de Géricault manifestant alors le travail d'une écriture proche du modèle (romanesque) hugolien.
A terme, l'ambition serait de montrer comment s'opère dans cette fiction biographique un déplacement de la question du sujet, et les enjeux d'un tel déplacement. A cet égard, la lecture proposée ferait donc de La Semaine sainte, le dernier roman du Monde réel.


13) Anne-Marie Monluçon, université Stendhal de Grenoble
Le corps et la maladie dans trois recueils de Vies brèves et imaginaires : détails, destin ou singularité ?

La préface est pour beaucoup dans la réputation qu'ont les Vies imaginaires de Marcel Schwob d'être l'oeuvre fondatrice de la fiction biographique. Tel un manifeste, ce texte veut rompre avec la tradition qui l'a précédé. L'auteur reproche aux Anciens la rareté des anecdotes et détails concernant l'intimité des biographés, rareté qu'il explique ainsi : « les biographes anciens surtout sont avares. N'estimant guère que la vie publique ou la grammaire, ils nous transmirent sur les grands hommes leurs discours et les titres de leurs livres. » Sa seconde critique porte sur le fait que, lorsque les particularités individuelles sont mentionnées, elles restent subordonnées aux « idées générales », elles ne sont là que pour éclairer la marche de l'Histoire ou l'oeuvre du personnage. Il est alors tentant de confronter la pratique à la théorie et d'examiner, sous cet angle, non seulement les vingt-deux vies imaginaires que nous a laissées Marcel Schwob, mais aussi les deux recueils qui lui doivent le plus - par la forme et par la filiation littéraire - c'est-à-dire L'Histoire universelle de l'infamie de J.- L. Borges et Rêves de rêves d'Antonio Tabucchi.
La réflexion à partir des postulats énoncés rejoint d'ailleurs un paradoxe de l'expérience de la lecture que l'on peut formuler ainsi : comment expliquer que ce soit ce type de notations qui, le livre refermé, laisse le souvenir le plus prégnant, dans des recueils de vies imaginaires où elles ne tiennent objectivement pas une grande place ? Les descriptions corporelles y sont pour la plupart limitées et incomplètes. Elles se réduisent à un détail, un croquis tout au plus. Quant aux souffrances physiques ou mentales, elles sont certes récurrentes, mais elles ne bénéficient pas nécessairement d'un ample traitement.
Cette distorsion entre la réalité des textes et l'impression qu'ils laissent suggère trois questions : qu'est-ce qui rend les détails relatifs au corps et à la santé des biographés si mémorables ? Sont-ils l'une des formes que prendrait le Destin ? Ou bien est-ce qu'ils constituent la singularité de ces personnages ?


14) Luc Ruiz, université d'Amiens :
Vies authentiques de peintres imaginaires de W. Beckford ou l'imagination pittoresque à l'oeuvre

Les Vies authentiques de peintres imaginaires constituent une sorte d'énigme : on ignore les raisons exactes pour lesquelles Beckford a composé cette oeuvre. Le problème est un peu analogue avec leur réception : on a voulu lire ce texte tantôt comme une critique à clés de peintres contemporains, tantôt comme une parodie fantasque et sans conséquences. Mais il semble que l'intérêt des Vies authentiques soit plutôt à chercher dans leur nature même, en particulier dans leur facture et leur mode d'écriture.
L' « Avertissement » avance que les Vies authentiques ont pour objectif de « montrer des exemples caractéristiques de la nature et de l'art », voire des « moeurs », ce qui peut renvoyer au projet de l'entreprise biographique fictive, proche en cela de la véritable biographie de peintres. Toutefois, simultanément, le même « Avertissement » signale la nouveauté du texte en soulignant qu'il recours à « un moyen plus original que celui habituellement suivi par les auteurs de romans ». On voit donc que d'emblée le statut générique des Vies authentiques apparaît comme flottant, c'est cet aspect que nous voudrions plus particulièrement étudier. D'un composé de genres (biographie, portrait , récit de voyage, conte) ou de types de textes (narratif et descriptif), bref de matériaux composites, Beckford tire un parti étonnant dans un espace extrêmement resserré. Il assume en outre la liaison entre les différentes vies, d'abord par la rencontre entre plusieurs des peintres (Blunderbussiana et Watersouchy exceptés), ensuite par les commentaires d'un narrateur très présent. Le recueil ne juxtapose donc pas les vies, il les entremêle, il peint un petit monde.
Nous voudrions voir en quoi et comment la fusion de matériaux divers (une satire, au sens premier) et tout une série d'éléments de liaison contribuent à conférer à l'oeuvre son unité, son caractère crédible en même temps que sa profonde distance critique. En un mot analyser ce jeu constant qui fait que le lecteur adhère sans jamais être dupe.

15) Evanghélia Stead, université de Reims :
La littérature « graine pleine d'une essence violente » dans Vies imaginaires : Marcel Schwob et les Elisabéthains

On partira ici des traces qu'a laissées dans l'oeuvre de Marcel Schwob sa connaissance approfondie, mais aussi passionnée, du théâtre élisabéthain pour mettre en lumière quelques traits de composition des Vies imaginaires (dilatation/contraction, parallèles différenciés et structurants, dramatisation de la tradition philologique et manuscrite, extrême condensation). L'étude d'une des premières vies à paraître dans la presse (« Cyril Tourneur, poète tragique ») permettra de voir en quoi cette prose est à la fois nourrie des drames, des préceptes dramatiques et des chroniques théâtrales élisabéthaines, faisant du personnage d'auteur un acteur, un metteur en scène de son propre texte et une chronique du temps. On vérifiera ainsi l'importance d'une trame élisabéthaine dans la composition du recueil et on soulignera la fascination durable de cette vie sur la postérité littéraire et critique de Tourneur et de Schwob.
Une utilisation à la fois intuitive et savante - toujours passionnée - de la littérature dans la fiction biographique finit par faire accoucher la fiction d'une part de réalité, parfois curieusement confirmée par certaines découvertes. Cette part active, agissante de la littérature dans la fiction biographique, fondée ici sur une connaissance intime et mythifiée du théâtre élisabéthain (par ailleurs, un trait d'époque), montre bien à quel point l'aventure violente est littérature pour Schwob et la littérature, passion de sombre aventurier.

16) Marie-Odile Thirouin, Université Lumière-Lyon II :
Les Récits apocryphes de Karel Capek : fragments d'une apologie de la vie ordinaire

Les vingt-neuf brèves anecdotes imaginées qui figurent dans ce recueil posthume de l'écrivain tchèque Karel âapek (1890-1938), ont été écrites et publiées à Prague entre 1920 et 1938. De Prométhée à Napoléon, elles mettent en scène des personnages réels ou fictifs, historiques ou légendaires, mythologiques ou littéraires, qu'elles se plaisent à montrer sous un jour ordinaire, sinon trivial. En reconstituant d'abord l'histoire de cet ouvrage et le contexte dans lequel il a été composé, je chercherai à définir la pensée philosophique qui l'inspire au même titre que tout le projet biographique de Capek. Je montrerai enfin en quoi cet ouvrage se distingue de ses modèles français (Marcel Schwob, Jules Lemaître, Anatole France).


17) Julie Wolkenstein, université de Caen :
Rosebud : le motif du secret dans la fiction biographique chez Welles et Davis

Il s'agira d'étudier le recours, dans des oeuvres cinématographique et littéraire nord-américaines, à la forme de l'enquête biographique ; à partir de Citizen Kane d'Orson Wells et d'Un homme remarquable de Robertson Davis, on s'interrogera sur la figure du biographe et sur les enjeux de la reconstitution, dans un cadre imaginaire, d'un parcours donné comme réel : en quoi la référence au genre biographique permet-elle à la fiction de se construire sous la forme d'une enquête, et plus précisément de jouer avec l'hypothèse - illusoire ? - d'une clef unique qui résumerait et éluciderait à elle seule la vie du personnage représenté.