Questions de société
Fabbri (Snesup) vs Pécresse (webradio de Libération, 31/03/09)

Fabbri (Snesup) vs Pécresse (webradio de Libération, 31/03/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Sciences2 - blog de S. Huet)

Dans Libération du 31 avril 2009:

  Duel Fabbri/Pécresse.

Compte-rendu d'un débat entre la ministre et le secrétaire général duSnesup, tenu dans les locaux de Libération vendredi 27 mars 2009. L'intégrale de ce débat sera disponible le 31 avril 2009 sur la webradio de Libération.

Blog {Sciences2}, par Sylvestre Huet, journaliste à Libération:

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/03/dbat-pcresse-fa.html

Débat Pécresse/Fabbri : l'intégrale sur le statut et la recherche

Valérie Pécresse et Jean Fabbri se sont affrontés, vendredi, dans les locaux de Libération. Libérationpublie aujourd'hui de larges extraits de ce débat entre la ministre del'enseignement supérieur et le secrétaire général du Snesup-FSU surdeux pages (en vente dans tous les kiosques). Le site web de Libération en donne l'intégralité en version vidéo.

Voici l'intégrale des échanges restranscrits par mes soins - et non relus par les débatteurs - de deux sujets de ce débat : le statut des universitaires et la politique de la recherche.

Paul Quinio : madame Pécresse, pourquoi fallait-il réformer le statut des universitaires ?

Valérie Pécresse : Parce que ce statut était rigide ettotalement inadapté au fonctionnement d'une université moderne. Il necomptait que l'activité en présence des étudiants, ce qui ne correspondpas à l'exercice réel du métier. D'autre part, l'évaluation est aucoeur de ce nouveau statut car si l'on donne l'autonomie auxuniversités, il faut qu'elles puissent prendre leurs décisionsd'avancement, de primes et de gestion de leur richesse humaine à partird'une évaluation impartiale, vérifiable et transparente. L'autonomiesans l'évaluation, c'est la catastrophe, comme mon collègue italien mel'a dit. Enfin la question des promotions, épineuse. Nous souhaitionsque les promotions soient décidées au sein des universités, mais nousn'avons pas réussi à trouver un accord sur ce point.

Paul Quinio : monsieur Fabbri, les universitaires n'étaient pas évalués ?
Jean Fabbri : Bien sur que si, nous l'étionscollectivement et individuellement dans nos activités de recherche etd'enseignement. La vraie question de ce dossier est : pourquoi desstatuts nationaux ? Pour garantir partout l'exercice des missions pourlesquelles nous avons été recrutés, effectuer des recherches et assureren liaison avec ces dernières un enseignement d'excellente qualité. Cestatut et sa réforme, en particulier la modulation de nos servicesd'enseignement, sont étroitement liés à la question du nombre desuniversitaires. L'augmentation et la complexité de nos tachesd'enseignement – individuelle et collectives - comme l'accumulation descontrats à dénicher pour financer nos recherches ou des dossiersd'évaluation croisée aux dispositions de la loi LRU nous fait craindre,oui, une inégalité croissante entre universitaires en termed'obligation de service et de rémunérations.

Sylvestre Huet : Madame la ministre, lorsque vousavez pu constater que l'opposition à votre projet initial de statutétait si large – des syndicats les plus à gauche à Autonome Sup, enpassant par l'association élitiste Qualité de la science  française –n'avez vous pas eu le sentiment d'avoir fait une  boulette ?
Valérie Pécresse : cela ne s'est pas passé comme cela. En novembre 2008, lorsque ce projet passe au premier comité technique paritaire...
Jean Fabbri : ... nous avons voté contre de manière très claire et avec constance....
Valérie Pécresse : et quand pour la dernière fois le Snesup a t-il voté pour quelque chose ?
Jean Fabbri : nous avons fait systématiquement despropositions d'amélioration comme l'équivalence des cours de travauxdirigés et pratiques, ou la répartition des promotions entreétablissements... Pas plus tard que mardi nous avons proposé que lesmissions des enseignants-chercheurs soient clairement précisées dans ledécret comme de recherche et d'enseignement...
Valérie Pécresse : c'est marqué cinq fois dans le texte.
Jean Fabbri :nous avons également obtenu que dans le décret sur le Conseil nationaldes universités, les enseignants-chercheurs ne soient pas classés entreeux mais évalués de manière formative et non pour une évaluationguillotine sur toutes leurs activités.
Valérie Pécresse :Sur ce sujets se sont exprimées toutes les peurs d'une communautéuniversitaire – que je ne soupçonnais pas – entre discipline etpersonnels de statuts différents.  En 2007, la loi LRU touchait au mêmesujet puisqu'elle réorganisait la gouvernance de l'université. Avec le statut c'est une deuxième étape de l'autonomie qui s'est jouée,dans un contexte différent, de crise, de plus grande inquiétudes et lestatut est apparu comme un instrument de protection dans cettesituation. C'est la réalité universitaire d'aujourd'hui qui s'estexprimée dans la rue à l'occasion des oppositions à ce statut. Je levoyais comme un instrument de confiance, et les universitairesvoulaient plutôt une garantie contre des pratiques déjà existantes.

Sylvestre Huet : qui a raison ? Le premier ministreFrançois Fillon qui dit que le statut est entièrement réécrit ou lesecrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, selon lequel la version finale est peu différente de l'original ?
Valérie Pécresse : le statut a été entièrementréécrit au terme de 23 heures de négociations avec les organisationssyndicales, puis 13 heures au sein du comité technique paritaire. Dansce texte se retrouvent des motivations essentielles : la modulation desservices, la souplesse dans l'organisation de son temps de travail toutau long de sa carrière, avec la garantie que au delà du service deréférence, on paye des heures complémentaires...
Sylvestre Huet : ... aujourd'hui ce n'est pas déjà le cas ?
Valérie Pécresse : si, mais tout travail mérite salaire. Sur l'évaluation... les enseignants chercheurs sont évalués tout le temps...
Jean Fabbri : ...merci de le dire !
Valérie Pécresse: ... mais il va falloir trouverdes procédures plus simples et plus rationnelles pour les conduire.Mais la question qui se posait était : peut-on faire des avancements etdes primes locales sans un dispositif d'évaluation nationale par lespairs, discipline par discipline.

Sylvestre Huet : Jean Fabbri, finalement, vous avez gagné ou pas sur le statut ?
Jean Fabbri : Nous avons dit non au localisme pourdes raisons de liberté scientifique et d'évaluations qui doivent êtremenées par des instances qui ont l'expérience des disciplinesscientifiques. Sur ces points, oui, nous avons gagné.Mais la contestation du projet initial du gouvernement n'est pas lié àde la peur ou à une incompréhension. Elle est rationnelle et contestede fait les choix politiques du gouvernement qui sont liés audésengagement de l'Etat et à des suppressions de postes qui conduirontinéluctablement à exiger plus d'heures d'enseignement de la majoritédes universitaires. La modulation des services que la ministre ainscrit dans le projet de décret actuel – au même titre que d'autrespoints qui demeurent du projet initial – ont conduit le Snesup aquitter le comité technique paritaire, nous n'en voulons pas.

Paul Quinio : Jean Fabbri, êtes vous pour ou contre l'autonomie des universités ? D'autres syndicats, de gauche, y sont favorables...
Jean Fabbri : Pour moi, la question posée n'est pas celle de l'autonomie qui est un mot-valise. C'est celle du cadre législatif dans lequelle elle survient, celle du Pacte sur la recherche, de la loi LRU.Nous contestons l'un et l'autre. Parce que nous voyons dans ce cadrelégislatif, amplifié par le nouveau logiciel de répartition desresssources de l'Etat entre les universités, arriver la concurrenceentre nos établissements alors que le principe de l'enseignementsupérieur, c'est la coopération et les synergies. Cela ne s'oppose pasà l'autonomie ou à des politiques de formation et de recherche fondéssur l'autonomie.

Paul Quinio : combien de temps vous donnez vous, madame Pécresse, pour obtenir un accord sur le statut ?
Valérie Pécresse : nous avons élargi le pannel syndical qui n'y est pas opposé, il va d'Autonome Sup à l'UNSA en passant par la CFDT...
Sylvestre Huet : l'Unsa et la CFDT n'ont pas voté pour...
Valérie Pécresse : ils n'ont pas voté contre, ilsse sont abstenus en attendant les résutats des négociations sur lesautres sujets. Je reconnais que la majorité des mandats du personnel auCTPU ne l'a pas voté, mais c'est ce décret qui sera adopté. Derrière cedécret il y a un plan de revalorisation des carrières qui va doubler lenombre des promotions des maitres de conférence et de professeurs (...)

Sylvestre Huet : faites-vous un chantage aux moyens par rapport au statut qui ne traite pas de ces sujets ?
Valérie Pécresse : non, je ne fais pas de pression, je dis simplement que cedécret doit sortir pour que dès le mois de juin nous puissions recruterles maitres de conférence avec des salaire de 12 à 25% plus élevés...
Jean  Fabbri :...c'était là une revendication du Snesup...
Valérie Pécresse : alors remerciez-moi de l'avoir mise en oeuvre !

Paul Quinio : Madame Pécresse, le président Nicolas Sarkozy ne vous a pas rendu service avec son discours sur la recherche...
Valérie Pécresse : Le 22 janvier,c'est de ce discours qu'il s'agit, a été lancée à l'Elysée la réflexionsur la stratégie nationale de recherche et d'innovation. C'est un actemajeur, l'équivalent du Grenelle de l'environnement pour la recherche.Elle consiste à mettre autour d'une même table pour réfléchir sur lesquatre prochaines années de manière prospective les grands acteurs dela recherche publique, privée, les porteurs d'enjeux de société commeles associations. Que le Président de la République lance cetteinitiative est un acte fort. C'est une démarche Bottom up, qui vapermettre d'avoir un document de stratégie et de programmation quidonnera de la légitimité à la programmation de l'Agence nationale de larecherche.

Paul Qunio : est-ce une bonne idée de lancer ce chantier majeur avec un discours aussi provocant ?

Valérie Pécresse :  Le président de la république adit qu'on ne gagne pas la bataille de la connaissance sans y mettretous les moyens, sans lancer une vraie réforme de l'université et de larecherche.
Jean Fabbri : le mépris affecté pour les universitaire et les chercheurs était totalement déplacé et il l'est toujours...
Valérie Pécresse : ... ce discours a étésur-interprêté et sur-utilisé et c'est très injuste de faire un procèsau Président de la République qui met cinq milliards d'euros pour lescampus, 1,8 milliards de budget en plus pour la recherche et 730millions encore provenant du plan de relance.

Jean Fabbri : Allons au fondamental :le mépris et la prospective. On ne peut pas faire de la prospective dans ce domaine sans la communauté scientifique.Elle ne prétend pas être la seule à pouvoir dire quels sont les enjeuxscientifiques, mais il faut s'appuyer pour la mener sur des instanceslargement élues par les scientifiques. Il y en a enFrance, comme le Comité national de la recherche scientifique qui sontfondé sur l'expérience, le partage, la légitimation par le vote, legouvernement n'en veut pas, il fabrique des instances dont il définitle périmètre avec des «personnalités» nommées en totalité. Cettedémarche ne convient pas à la dimension démocratique qui va de pairavec les enjeux scientifiques. Surtout que la question forte du jour, c'est la revitalisation de nos organismes de rechercheavec leur démantèlement et l'emploi scientifique en berne, les budgetsdes laboratoires qui n'augmentent pas, les doctorants sans perspectivesd'emplois. Le plan de relance dont parle Valérie Pécresse, les 730millions, c'est du BTP. On a certes besoin de renover amphitéâtres etlaboratoires, mais nous avons besoin avant tout d'investir dansl'intelligence, dans la matière grise. En Europe, aujourd'hui, de plusen plus de voix autorisés réclament cet investissement, ce recrutementde chercheurs, de docteurs en sciences, à l'image de ce qui se passe auEtats-Unis. L'une des raisons de l'affaiblissement de notre pays c'estque le doctorat n'est pas valorisé par les entreprises privées.

Valérie Pécresse : Vous ne pouvez pas me faire ceprocès alors que je viens de créer un contrat doctoral, remplaçant lasituation d'allocataire de recherche, afin que les docteurs puissent sevanter d'avoir non seulement un diplôme d'excellence mais aussi troisannées d'expérience professionnelle, c'était une demande des jeuneschercheurs. Cette expérience pourra être prise en compte par lesentreprises et par la fonction publique qui rattrapera les années dedoctorat dans leur carrière. J'ajoute que j'ai augmenté de 16% lemontant de l'allocation de recherche en 2 ans. C'est vrai que l'onpartait de très bas et que c'est du rattrapage, je veux bienl'entendre.

Sylvestre Huet : Tous les observateurs s'accordentà dire que ce qui marche le mieux dans notre système en termes decapacité à produire des connaissances nouvelles, c'est le Cnrs,pourquoi le casser ?
Valérie Pécresse : Mais je ne veux pas ledémanteler. Mais je n'accepte pas le discours : le malheur des uns faitle bonheur des autres. Ce n'est pas parce que je veux que lesuniversités soient autonomes et des acteurs puissants de la rechercheque je veux le malheur du Cnrs. Le Cnrs voit sa mission évoluer. LesUniversités auront une stratégie de recherche autonome. Elle seralocale. Et le Cnrs aura une mission stratégique nationale pour les disciplines qui y sont représentées pour irriguer le territoire national.
Sylvestre Huet : Que le Cnrs ait uneresponsabilité stratégique nationale, c'est sa mission initiale, vousne l'inventez pas... et vos détracteurs vous accusent de vouloir la luiretirer.
Valérie Pécresse : C'est tout l'inverse. Enstructurant le Cnrs en Instituts disciplinaires et en lui donnant laresponsabilité de structurer ces disciplines au niveau national, nousvoulons faire du Cnrs un acteur majeur stratégique, pluridisciplinaire,qui va permettre d'aider à la programmation de l'Agence nationale de larecherche.
Jean Fabbri : La stratégie scientifique desuniversités sera locale. Car elle se tourneront vers des financementsterritoriaux ou des entreprises. Nous risquons d'avoir des pilotagesétroits, éloignés des enjeux scientifiques transversaux. Cela risque demettre en cause des pans entier de la recherche.

Paul Quinio : Nous n'avons toujours pas parlé des étudiants. Avec cette crise, leur année est foutue ou pas ?
Jean Fabbri : Pas du tout. Lors de la crise duCPE, entamée en janvier, c'est un discours du premier ministre DeVillepin, qui, le 10 avril, y a mis fin. J'espère que les nombreuxmanifestant et la grève qui se maintient avec le soutien de présidentsd'université vont conduire le gouvernement à ouvrir des négociationssur l'ensemble des dossiers de manière globale. Cela permettra desortir de ce conflit et de permettre aux étudiants d'obtenir leursdiplômes et à nos collègues de faire ce qu'ils préfèrent : de larecherche et de l'enseignement.
Valérie Pécresse : je regrette que les étudiantssoient toujours les victimes des crispations entre les universités etle gouvernement. Après tout ils ne sont pas concernés par le statut desuniversitaires. En outre, je comprend la grève, mais pas le blocage descours. Mais nous organiserons les rattrapages et j'espère que l'annéene sera pas compromise.