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Nouvelle parution
F. Tönnies, Critique de l'opinion publique

F. Tönnies, Critique de l'opinion publique

Publié le par Matthieu Vernet

Référence bibliographique : F. Tönnies, Critique de l'opinion publique, Gallimard, collection "Bibliothèque de philosophie", 2013. EAN13 : 9782070130207.


Ferdinand Tönnies, Critique de l'opinion publique

Traduction de Pierre Osmo

Paris : Gallimard, coll. "Bibliothèque de philosophie", 2013.

EAN 9782070130207

784p.

Prix 36,90EUR

Présentation de l'éditeur :

Ferdinand Tönnies n'est connu du public français que pour la traduction de son fameux ouvrage de 1887, Communauté et société, à l'origine d'une dichotomie conceptuelle devenue un lieu commun. Mais le reste de son œuvre est demeuré l'apanage des seuls spécialistes de l'histoire intellectuelle de l'époque. Il représente pourtant une figure originale du moment fondateur de la pensée sociologique allemande, aux côtés d'un Max Weber ou d'un Georg Simmel. La Critique de l'opinion publique appartient à une période beaucoup plus tardive de l'œuvre de Tönnies puisqu'elle date de 1922. Elle constitue une tentative à peu près unique pour donner un statut authentiquement conceptuel à cette entité aussi insaisissable que sollicitée, et pour comprendre sa place dans les systèmes politiques contemporains.

L'ouvrage, hanté par l'expérience de la Grande Guerre, est évidemment daté dans ses exemples et les matériaux sur lesquels s'appuie l'auteur. Il précède d'une bonne décennie les débuts de l'étude scientifique de l'opinion aux États-Unis. Il n'en continue pas moins de représenter une percée théorique entièrement originale, intéressant aussi bien la philosophie politique que la politologie au sens strict, ou la sociologie. Son introduction en langue française est de nature à donner un nouvel élan à la réflexion dans ces différents domaines.

Sommaire:

CONCEPT ET THEORIE DE L'OPINION PUBLIQUE
Meinen et Meinung, Opiner et opinion
Opinions en commun
L'opinion publique

OBSERVATIONS EMPIRIQUES ET APPLICATIONS
L'Opinion Publique et ses caractéristiques
Contenus généraux de l'Opinion Publique dans ses configurations récentes
Puissance et facteurs de puissance de l'Opinion Publique

CAS PARTICULIERS DE L'OPINION PUBLIQUE
L'Opinion Publique et la question sociale
L'Opinion Publique et la guerre mondiale

 

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On peut lire sur le site laviedesidees.fr un article sur cet ouvrage:

"L'opinion publique et ses élites", par A. Berlan.

Et sur le site nonfiction.fr un article sur cet ouvrage :

"L'opinion publique comme pouvoir politique", par L. Chapuis.

 

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Sur liberation.fr, on pouvait lire en date du 23/1/13 cet article de R. Maggiori:

"Cela lui coûta cher d’avoir soutenu la grande grève des dockers de Hambourg, en 1896. Le gouvernement prussien vit en lui un «socialiste», et bloqua toutes ses candidatures. Le dangereux révolutionnaire avait fait des études de philologie classique, de philosophie, de théologie, d’archéologie et d’histoire de l’art aux universités de Strasbourg, Iéna, Leipzig, Bonn (où il avait quitté Nietzsche, son premier amour, pour aller vers Kant, Schopenhauer et la pensée grecque) puis Kiel, et était devenu docteur à Tübingen (1877) avec une thèse latine sur le culte de Jupiter Ammon. D’abord Privatdozent, puis maître de conférence, il n’aura de chaire, d’économie pratique et théorique, qu’en 1913, à Kiel. Il quittera l’université pour se consacrer à ses travaux - étendus à l’histoire sociale, à la biologie, à la psychologie, aux mathématiques statistiques, à l’ethnologie - et n’y reviendra, comme professeur émérite, qu’en 1921. Les nazis le chassent en 1933 : pour ces écrits, et parce que sympathisant du Parti social-démocrate allemand, alors situé à l’extrême gauche. Il meurt à Kiel le 9 avril 1936.

Ferdinand Tönnies n’est pas aussi connu que les autres figures fondatrices de la sociologie allemande, Georg Simmel ou Max Weber, sur lesquels il eut pourtant une influence déterminante. De son œuvre considérable - près de 900 publications ! -, seule une infime partie, il est vrai, peut être lue en une autre langue que l’allemand. Mais elle n’a pas cessé de «vivre», car son fleuron, Communauté et société (1887), traduit partout (1), cité par tous, a eu un tel succès - à partir de sa réédition de 1912 - que les thèses qu’il contient, devenues classiques, se sont comme diluées dans la plupart des travaux philosophiques et sociologiques, jusqu’à ne plus laisser apparaître le nom de leur auteur. Après Karl Marx. Sa vie et son œuvre, publié en septembre dernier (2) - dans lequel Tönnies, avec empathie, mais sans épouser la conception marxiste de l’histoire, retrace l’itinéraire intellectuel du «plus remarquable et profond philosophe social» -, paraît à présent ce qui peut être considéré comme un complément indispensable de Communauté et société, à savoir Critique de l’opinion publique (1922).

Distinction. Les titres des deux ouvrages laissent entendre que, paradoxalement, avec le temps, les thèmes traités par le sociologue allemand font écho à des problématiques tout à fait actuelles. D’abord parce qu’en raison de l’extraordinaire développement des médias la place occupée dans le paysage collectif par cette «mystérieuse entité» qu’est l’opinion publique, comme l’écrit Marcel Gauchet, «s’est démultipliée», pour devenir «la chose qui n’existe pas dont nous nous occupons le plus». Ensuite parce que les métamorphoses de l’«anatomie» de la société et de sa structure en classes bien définies ont réintroduit dans le débat politique et social la notion de «communauté», selon des formes variables qui vont de la «construction du commun» au communautarisme. Aussi, si on veut aujourd’hui répondre à la question de la différence entre société et communauté, et à celle de la fonction, dans l’une ou l’autre, de l’opinion publique, peut-on «revenir à Tönnies», qui fut l’un des premiers à la poser, et qui demeure, sur ce point, «le meilleur des guides».

August et Ida Tönnies, née Mau, sont des agriculteurs aisés, propriétaires de la ferme Die Riep, sise près de Kirchspiel Oldenswort, dans le duché de Schleswig, alors sous souveraineté danoise. C’est là que Ferdinand naît le 26 juillet 1855. Il devient allemand en 1864, lorsque la Prusse récupère Schleswig. Il fait ses études secondaires à Husum, avant d’aller d’université en université, et commence à enseigner à 26 ans. Il n’a guère de succès et, en 1884, part à Londres. Admirateur de Hume, de Spencer ou d’Auguste Comte, Tönnies s’est déjà beaucoup intéressé à Hobbes, sur lequel il va écrire maints ouvrages qui en favoriseront la «re-découverte». Dans la capitale anglaise, il parfait encore sa connaissance de la pensée hobbesienne, découvrant même le manuscrit inédit du Béhémot, et la met en confrontation avec celle de Locke. Les notions de «commonwealth» propre à l’un, et celle de «civil society» propre à l’autre, ne sont probablement pas étrangères à la distinction qu’il est en train de forger entre communauté et société, premier «pilier» d’un pont qui fera aller de la philosophie politique classique à la sociologie.

Enclume. Communauté et société sort à Leipzig en 1887 : Tönnies y travaille déjà depuis des années et y travaillera sans cesse, profitant de ses multiples rééditions, jusqu’en 1935. Son influence sera très forte. Qu’il veuille se l’approprier, l’amender, la critiquer, nul, étudiant ces thèmes en philosophie ou en sociologie, ne fera plus l’impasse sur cette œuvre capitale. Tönnies, issu d’une famille de tradition paysanne, penche évidemment pour la communauté, et semble tenir ses positions «socialistes» d’une sympathie pour la classe ouvrière, la seule qui, dans la société bourgeoise citadine, conserve encore un esprit communautaire. Mais c’est sur l’enclume théorique, et non politique ou affectif, qu’il forge ses concepts, en vue de la construction de modèles idéaux servant à une «sociologie pure».

Communauté et société sont les deux principaux types de relations que tissent entre eux les hommes. L’une relève de la confidence, de l’intimité, d’une «vie réelle et organique», l’autre du «public», du «monde», de l’«agrégat mécanique» ; dans l’une on trouve la chaleur de l’affectivité, les rapports «face à face», la présence rassurante d’opinions et de traditions partagées, à l’autre on va comme en «terre étrangère». Les membres de la communauté (Gemeinschaft), malgré toutes les possibles séparations, sont essentiellement liés, par la famille, la parenté, le voisinage, les réseaux de relations, l’amitié, l’enracinement dans le territoire. Ceux de la société (Gesellschaft) sont essentiellement séparés malgré tous leurs liens, qui sont rationnellement institués, obligés par les institutions, réglés sur des moyens d’échange, sur la concurrence ou la convergence d’intérêts, l’argent, le profit, l’individualisme… La communauté est une forme de vie ancienne, où les relations humaines sont «naturelles», senties, vécues, et non pensées abstraitement ou «contractualisées» : sous l’influence de la culture, du progrès technique et social, ces relations s’intellectualisent, et la communauté évolue (ou involue) vers la société. Cette transformation ressemble, en substance, à un processus de «désacralisation», si bien qu’on pourrait dire que la société est une communauté sécularisée. La «volonté sociale» typique de la communauté se définit, dit Tönnies, comme «concorde, coutume et religion», alors que celle qui caractérise la société s’exprime comme «convention, législation et opinion publique». Ces formes «se supplantent l’une l’autre» quand se fait le passage de la communauté à la société : aussi l’opinion publique prend-elle la place de la religion (avec laquelle elle reste dans un rapport, d’un côté «de dépendance et de parenté», de l’autre «de contradiction et d’opposition»), en acquérant la même «puissance décisive dans la vie sociale».

On ne saurait ici résumer les analyses extrêmement détaillées, mais très empiriques et remplies d’exemples, que Tönnies fournit des modes de constitution, des formes, des manifestations de l’opinion publique, de ses états («volatil», «fluide» et, lorsque le porteur n’est plus un public générique mais le peuple tout entier, «solide») ainsi que du passage d’une opinion publique à l’Opinion publique, comme «force qui soude intérieurement» et «volonté qui oblige».

Signes. Parti d’une étude sémantique («opiner», penser, juger, savoir, croire, soutenir que, avoir foi en, être de l’opinion que…) pour arriver à l’opinion publique en tant que facteur de la vie politique (en Amérique, en France, en Angleterre, en Allemagne) et à sa fonction avant, après et pendant la Première Guerre mondiale, le sociologue ne néglige rien : les signes par lesquels se manifestent l’approbation ou la désapprobation d’une opinion (mimiques, sifflets, applaudissements…), la propagande, le slogan, le public (public de théâtre, lecteurs, grand public…), la diffusion des nouvelles, la publicité, la mode, les «luttes d’opinion», les partis, les imprimés, les journaux, les écrivains, les penseurs…

«L’avenir de l’Opinion publique est l’avenir de la civilisation», dit Ferdinand Tönnies, qui ne pouvait prévoir ce que les moyens de communication de masse allaient faire de l’opinion publique. Il voyait l’«authentique moralité» dans la «communauté du peuple», faisait confiance à la science, à l’art «qui forme le goût, élève et purifie l’âme», à la «belle littérature», et jugeait que tous ces éléments réunis pouvaient «éduquer» l’Opinion publique et faire qu’elle rassemblât «sur un but unique les forces les plus variées, la diversité des visions du monde et des partis», participant ainsi à l’«ennoblissement de l’humanité». Cela devait passer par des réformes radicales de la presse, qui, dépendante des «revenus de la publicité», réduite trop souvent à la «malfaisance générale du journalisme bêtifiant à la mode» et au «sensationnalisme vicieux du meurtre et du crime», deviendrait enfin libre, citoyenne. Mais «qu’elles se réaliseront, nous ne le croyons pas».

(1) La première traduction française, par Joseph Leif, date de 1944 (PUF) ; la deuxième, par le même Leif, de 1977 (Retz-CPEL) ; la plus récente, due à Sylvie Mesure et Niall Bond, de 2010 (PUF). (2) Traduit et présenté par Sylvie Mesure, PUF, 188 pp., 19,50 €."