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Expressions du collectif: les formes du dialogue dans les écritures juives d'Europe centrale et orientale

Expressions du collectif: les formes du dialogue dans les écritures juives d'Europe centrale et orientale

Publié le par Emilien Sermier (Source : Fleur Kuhn-Kennedy)

Colloque co-organisé par le Centre d’Études et de Recherches Moyen-Orient Méditerrannée (INALCO) et le Centre d’Études et de Recherches Comparatistes (Université Paris 3)

5-6 juin 2015

 

Qu’est-ce que le collectif ? De quelle manière s’énonce-t-il textuellement ? Comment l’écriture peut-elle devenir le lieu d’un dialogue entre une (ou des) voix collective(s) et un énoncé individuel ? Il existe une interdépendance étroite entre écriture singulière et prise en charge d’un autre — d’une communauté, d’un groupe — dans les textes écrits par des auteurs héritiers de la culture d’Europe centrale et orientale, pris dans une dynamique de double bind : dire l’expérience unique de l’auteur et dessiner le destin d’une collectivité. Ces textes ne peuvent être considérés comme totalités closes, mais sont fondamentalement traversés par l’altérité.

Si la parole est la manifestation du collectif, si elle s’inscrit dans un cadre dialogique, au sens qu’en donne Bakhtine, on peut alors se demander quelle est la nature de la collectivité qu’elle exprime au sein même de la langue. C’est d’abord parce que les textes s’inscrivent dans des situations translinguistiques, de déplacements et de décalage à l’intérieur de la langue d’écriture, que s’ouvrent ces possibilités d’interaction et de dialogue entre la voix collective et la parole individuelle : la question se pose dès lors de savoir comment les sociétés juives modernes d’Europe centrale et orientale et leurs descendants immédiats parviennent, malgré le plurilinguisme, à se reconnaître en tant que groupe. Au sein de ces sociétés qui, historiquement, sont majoritairement yiddishophones, mais toujours traversées d’influences et de strates linguistiques multiples – celle de l’hébreu et de l’araméen, issue des livres sacrés, et celle des langues environnantes –, le passage à la modernité qui s’est opéré à partir du XIXe siècle a provoqué un certain nombre de dissensions et de prises de position idéologiques qui se sont souvent cristallisées autour de la question linguistique.

Le champ du collectif, le réseau discursif dans lequel se tisse tout nouvel énoncé, peut alors s’incarner dans des langues multiples, mais peut-être y a-t-il lieu de se demander si, au-delà de cette fragmentation de l’unité de la culture et de la pensée, au-delà même de l’expérience de la migration qui, au début du XXe siècle, confronte massivement les Juifs d’Europe centrale et orientale à de nouveaux environnements linguistiques, subsiste un dialogue entre ces nouvelles prises de parole et les langages de la tradition. La culture juive d’Europe orientale est travaillée par la pratique de la citation et de la glose. En outre, la renaissance de l’hébreu au moment des premières prises de position en faveur du sionisme, ainsi que l’évolution de la langue tout au long du XXe siècle, pose nécessairement la question de la manière dont les créations en hébreu moderne, d’Agnon à David Grossman, en passant par Avoth Yeshurun, dialoguent avec l’hébreu et l’araméen de la tradition sacrée, avec la littérature maskilique et hébraïque, ainsi qu’avec le yiddish. Quel est ce collectif par rapport auquel l’énoncé se situe et de quelle manière ce dialogisme, évident dans les énoncés d’une même langue, peut-il aussi se transférer d’une langue à l’autre ? Comment se manifeste-t-il sur le plan transgénérationnel, chez des écrivains qui, héritiers du monde juif d’Europe centrale et orientale, ne l’ont parfois pas connus directement ? Comment le passage à l’hébreu moderne et, au-delà, l’évolution de la langue hébraïque, se font-ils réceptacles de cette polyphonie ?

Enfin, ce sont parfois les œuvres mêmes qui mettent en abyme le dialogisme propre à l’énonciation dans les textes juifs. Le « nous » s’illustre dans les textes par des jeux narratifs qui, en multipliant les points de vue dans les textes mettent en œuvre, dans les dialogues ou l’intrication des instances narratives, l’expression du collectif propre à la culture juive d’Europe centrale et orientale — dire l’autre, dire la communauté vivante ou passée, mais aussi dire les morts engloutis dans les catastrophes historiques — : on s’interessera aussi bien aux classiques (les récits partagés chez Mendele Moykher-Sforim, le dialogue avec la tradition hassidique chez Peretz) qu’aux écritures modernistes (Kulbak, Der Nister, Bergelson, entre autres). Quels sont les ressorts narratifs à la mise en scène d’un dialogisme dans l’œuvre ? Comment les jeux polyphoniques dans les textes prennent-ils en charge un collectif ? Comment se dessine l’intrication du « je » et du « nous » dans les œuvres ? Selon quelles modalités se construisent les jeux polyphoniques — canons, renversements, contrepoints, harmonies et disharmonies, jeux de rythmes narratifs — et que renseignent-ils sur l’énonciation singulière du collectif dans l’œuvre ?

Seront prises en considération toutes les propositions s’interrogeant sur :

  • Polyphonie et linguistique : l’approche linguistique de la notion de polyphonie et son application aux langues juives d’Europe centrale et orientale.
  • Polyphonie et traduction : la manière dont la polyphonie peut fonctionner dans le passage d’une langue à une autre.
  • Polyphonie et palimpseste : la pratique de la citation, en diachronie ou en synchronie, dans le registre des textes sacrés aussi bien que du point de vue de l’intertextualité littéraire.
  • Polyphonie et modernité littéraire : la manière dont cette énonciation du collectif opère dans les œuvres littéraires modernes et dont, à différentes époque, l’écriture intègre ou rejette cette désindividuation de l’énoncé.
  • Polyphonie et pratiques historiographiques et testimoniales : l’influence de la tradition sur les pratiques historiographiques modernes, notamment sur la collecte, la transcription et l’usage des sources testimoniales.
  • Polyphonie et narrativités : les stratégies narratives mettant en scène, au sein même de l’œuvre, la prise en charge du collectif par le texte singulier ; la manière dont la dissidence se traduit en termes énonciatifs et textuels (satire, ironie, parodie, etc.)
  • Polyphonie et folklore : la manière dont les textes se réapproprient, soit sur le mode savant, soit sur le mode littéraire, des énoncés propres à la culture populaire (contes, légendes, chansons, proverbes, etc.)
  • Polyphonie et « inconscient » : les voix « inconscientes » en tant que discours sous-jacents, qui circulent sous la langue et les textes et les travaillent.

Il s’agit là de pistes indicatives. Tous les travaux centrés sur des productions écrites issues de la modernité juive d’Europe centrale et orientale et envisageant le texte écrit comme lieu d’expression du collectif seront l’objet de la plus grande attention.

 

Les propositions (500 à 800 mots) sont à adresser avant le 15 janvier 2015 à Fleur Kuhn-Kennedy (fleurkuhn@gmail.com) ou Cécile Rousselet (cecile.rousselet@me.com). 

 

Symposium co-organised by the Centre d’Études et de Recherches Moyen-Orient Méditerranée (INALCO) and the Centre d’Études et de Recherches Comparatistes (Sorbonne Nouvelle – Paris 3 university)

5-6 June, 2015

What can be called collective? How do collective utterances appear in texts? How can writing become a place for dialogue between collective voices and individual speech? In the context of written productions shaped by Eastern European Jewish culture, either directly or indirectly, the interdependence between individual writing and collective responsibility – in the name of a group or a community – causes a double-bind, which implies both telling the author’s unique experience and writing for a collective entity. These texts cannot be considered as closed entities: they all imply a dialogue with some kind of “otherness”, in the form of pre-existing or coexisting speeches.

If words are the expression of a collective world, if it is framed by “dialogism” as defined by Bakhtin, it is worth questioning the nature of this collective entity expressed within language itself. The translinguistic context, the gaps and movements which run across the writing language, while they favour interactions between collective and individual voices, also multiply potential cultural references. How, then, can modern Eastern European Jews identify as a group despite their multilingualism? In these societies which are historically mostly Yiddish-speaking, but always enriched by multiple linguistic influences – Hebrew and Aramaic from the sacred texts as well as surrounding languages –, the transition to modernity which occurred from the 19th century onwards caused various dissensions and ideological commitments which often focused on linguistic issues.

The collective: the discursive network in which every statement is woven, can be shaped by multiple languages. And even though this multilingual context participates in cultural dispersion – both locally, with the production of new political ideologies, and internationally, massive waves of migration forcing Eastern European Jews come into contact with new linguistic environments – some kind of dialogue may remain between these new speech acts and the languages of tradition. Jewish culture is shaped by the practice of quotation and gloss. Moreover, the revival of Hebrew in the wake of the 20th century, as well as the evolution of the language, occurs in a state of constant contact with other languages, whose influence can be suppressed or asserted, but always present: from Agnon or Yeshurun’s works to David Grossman’s, all literary creations in Modern Hebrew enter into dialogue with older forms of the Hebrew language (the ones of sacred texts, of rabbinical writings, of maskilic literature) and with Yiddish, which was the first language of most pioneers. In relation to which collective group do these new utterances place themselves? How can this dialogism, which is obvious in the case of speech acts which occur within a language, also be transferred from one language to another throughout the evolution of Eastern European Jews’ linguistic situation? How does it appear on a trangenerational level, in the works of writers who have inherited some elements of Eastern European Jewish culture sometimes without having known it directly? How does the revival and evolution of Modern Hebrew represent this polyphony?

Finally, dialogism also appears in the mise en abyme implemented by the texts themselves. The “we” is expressed by narrative devices which bring in multiple points of view, dialogues and narrative authorities in order to give new forms to collective speech. The voices expressed through polyphony – the Other, the living or past community, the dead who disappeared in historical catastrophes – vary with circumstances and imply a constant renewal of narrative strategies, running from the first classics of modern Yiddish literature (Mendele Moykher Sforim’s shared narratives, Peretz’ dialogue with Hassidic tradition) to the modernist experiments of the interwar period (Kulbak, Der Nister, Bergelson, etc.). In what ways do these narratives stage a dialogic situation? How does polyphonic writing assume responsibility for a group? How are the “I” and the “we” intertwined in these writings? How are these polyphonic references, playing with the canon, inversion, counterpoint, harmony and disharmony, narrative rhythms, built up and what do they say about the individual assumption of a collective voice?

We will consider all proposals addressing the issues of:

  • Polyphony and linguistics: the linguistic approach of polyphony and its application to Eastern European Jewish languages.
  • Polyphony and translation: how polyphony can occur in the transition from one language to the other.
  • Polyphony and palimpsest: the practice of quotation, both diachronic and synchronic, in relation to sacred texts as well as literary intertexts.
  • Polyphony and languages: how enunciative responsibility for a collective entity influences modern literary works, in Yiddish, Hebrew, or in the transition to non-Jewish languages, and how, at different times, writing practices adopt or reject de-individualised speech.
  • Polyphony and historiographical/testimonial practices: the influence of tradition on modern historiography, including the collection, transcription and use of testimonial sources.
  • Polyphony and narratives: narrative strategies transferring into the plot the issue of singular and collective voices; how dissidence translates into narrative devices (satire, irony, parody, etc.).
  • Polyphony and folklore: scholarly or literary appropriation of popular culture (tales, songs, proverbs, etc.).
  • Polyphony and “subconscious”: subconscious voices as underlying statements and speeches, circulating in the depths of texts and language and shaping them.

These avenues are given only as indications and examples. All proposals centred on written texts marked by the influence of Jewish Eastern European modernity in their relationship to the expression of the collective will be carefully considered.

 

Paper proposals must be sent by 15 January 2015 to Fleur Kuhn-Kennedy (fleurkuhn@gmail.com) or Cécile Rousselet (cecile.rousselet@me.com).