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« Expanded Cinema » et art médiatique. Quelles politiques du sensible ?

« Expanded Cinema » et art médiatique. Quelles politiques du sensible ?

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Mathilde Bernard)

 

Colloque organisé dans le cadre de l’ANR, Les Pouvoirs de l’art

Universités de Bordeaux 3, Nice, Lyon 2 et Paris 1

Coordination : Dario Marchiori (MCF Lyon 2, EA 4160) et Luc Vancheri (PR Lyon 2, EA 4160)

On s’est beaucoup demandé ces quinze dernières années ce que le cinéma – ses images, ses formes, son dispositif – devenait au contact des nouvelles pratiques esthétiques et muséographiques de l’art contemporain. L’intérêt de ces recherches est d’avoir permis de dessiner les contours d’un régime contemporain de l’art qui, tout en rompant avec les théories modernistes et postmodernistes, rouvrait l’ancienne question du médium à partir des contradictions qui l’opposent et le relient aux médias numériques. En employant indifféremment la notion de media, la théorie nord-américaine, largement dominante dans la seconde moitié du XXème siècle, a beaucoup contribué à combler l’écart entre les « médiums » artistiques et les médias d’information. C’est tout le sens de la réflexion menée par Lev Manovich, qui a exploré les relations réciproques du cinéma et des nouveaux médias. A ce titre, son archéologie des objets néo-médiatiques l’a conduit à interroger le rôle des interfaces homme-machine et leurs conséquences esthétiques dans la réception des nouvelles images.

Ce colloque entend mettre à l’étude l’impact des nouvelles technologies sur les politiques de l’image et du visuel qui façonnent le champ de l’art aussi bien que sur l’économie générale des émotions esthétiques suscitées par les formes variées de la création contemporaine. Ces changements d’échelle intervenus dans notre culture visuelle nous amènent à nous demander si ces mutations esthétiques et technologiques ne sont pas les prémices d’une véritable anthropologie politique du monde globalisé, dont l’émotion esthétique, tout à la fois objet et effet de l’art, serait le symbole et le symptôme.

Trois grands axes seront privilégiés

1 – La dialectique du médium: une lecture à rebrousse-poil des pratiques modernistes

L’art du 20ème siècle aura été, entre autre chose, une tentative de redéfinir, voire de dépasser les catégories qui définissent le domaine de l’art. Si la notion de médiumest le pivot qui a permis la rupture épistémologique moderne, son déni a défini l’ère des média(s), en instaurant à la fois un paradigme et une idéologie. Faire l’histoire de l’art contemporain implique trop souvent de retracer la glorieuse avancée de « l’art médiatique », de l’intégration entre les média, de la superposition entre art et médias, en supposant une version simplifiée du modernisme. On interrogera dès lors celui-ci pour y découvrir autre chose que l’uniqueobsession du médium, notamment les tentatives qui, d’Arthur Lipsett à Paul Sharits, de Ken Jacobs à Alexander Kluge, ont réussi àréinventerl’expérienceesthétique enintensifiant ou enélargissant la perceptionsensorielle.On se demandera par exemple quels états émotionnels impliquent les poétiquesdu discontinu, du choc et de la juxtaposition des matériaux et des médiums, ou bience qu’il reste du modèle synesthésique imaginé par Susan Sontag (Film and Theatre, 1966) et Gene Youngblood (Expanded cinema, 1970) au tournant des années 70.Cet éclairage historique devrait permettre de mesurer ce qui s’est joué à l’intérieur du modèle moderniste, de redécouvrir la condition postmoderne et, in fine, de nous inviter à reprendre l’analyse des processus artistiques contemporains à partir de leur pensée du sensible et de leurs sollicitations esthétiques.

2 – L’aisthesis de l’époque post-cinématographique

L’introduction des formes et des éléments propres au dispositif cinématographique dans le champ de l’art contemporain a provoqué une reconfiguration des territoires de l’art. Du point de vue théorique, nous avons assisté à la reconnaissance d’un cinéma après l’époque du cinéma, soustrait aux prescriptions de son modèle historique. Du point de vue esthétique, le ré-appareillage de la perception sous l’effet des mises en image multimédias a demandé que soit réfléchie la manière dont le monde de l’art repousse les frontières phénoménologiques de la réalité physique et sociale, et renouvelle les propositions qui orientent l’invention des formes contemporaines de représentation du social, du biologique et du politique.On s’intéressera ainsi tout particulièrement à la manière dont le régime des émotions fait désormaisl’objet d’écritures et de scénographies différenciées qui en modifient les expressions (ex : Eija Liisa Ahtila, Love is a Treasure, 2002) et d’une exploration cartographique conduite en temps réel à l’échelle mondiale (ex : Maurice Benayoun, Word Emotional Mapping, 2005 ;Emotional Stock Exchange, 2005). De façon complémentaire, on s’intéresseraaux procédures d’intervention des oeuvres d’art dans l’espacepublic (oeuvresin situ et oeuvres connectées au réseau informatique mondial en temps réel) ainsiqu’aux régimes du sensible qui naissent de cette redéfinition de la situation spectatorielle. On pourra ainsi interroger à nouveaux frais l’esthétique contemporaine, à partir de la notion d’aisthesis avancée par Jacques Rancière (Aisthesis, 2011) pour définir le « tissu d’expérience sensible » de l’art.

3 – L’oeuvre d’art à l’ère du numérique

Si le 19ème siècle a marqué l’avènement d’un nouveau paradigme visuel venant se substituer au modèle renaissant de la perspectiva artificialis – la divergence des analyses proposées ne lèvent rien à l’hypothèse générale –,on pourra tenter d’évaluer la portée des lectures post cinématographiques menées sur les nouveaux médias, à partir du double travail de remédiation, structurel et formel, réalisé sur les médias plus anciens.Les technologies numériques, les nouveaux dispositifs d’images, la vitesse de circulation des informations, les capacités de stockage et de partage propres aux nouveaux médias, ont profondément modifié nos manières de penser et de voir, d’apprendre et de se souvenir, d’agir et s’émouvoir.Cette situation est à la croisée du monde scientifique, du monde de l’art ainsi que de celui de la communication de masse. On pourra ainsi s’interroger sur la manière dont se sontredistribués les types de liaison, et de déliaison, qui ont structuré la relation image-écran depuis l’apparition des nouveaux dispositifs visuels et des interfaces Homme-Machine, et, à ce titre, se demander quels sujets de l’art s’inventent avec eux. On se penchera en outre sur le développement d’une culture de l’écran identifiée à la puissance écranique des objets néo-médiatiques connectifs et interactifs, on s’intéressera aux caractères de parcourabilité et d’habitabilité de l’image, aux possibilités d’exposabilité des images et à leur valeur de partage. Enfin, on cherchera à évaluer la nature et la valeur des possibilités critiquespropres à l’art,telles qu’ellespeuvent naître de cette situation générale des techniquesetdes images.Dès lors, l’analyse des conditions du sensible et l’interprétation des puissances esthétiques du contemporain nous auront permis d’établir les prémices, et la promesse, d’une politique des sensations vouées à réinventer les partages institutionnels du monde de l’art médiatique.

Toutes les propositions (300 mots environ), accompagnées d’une courte bio-bibliographie, doivent être envoyées avant le 30 septembre 2012 à :

dario.marchiori@univ-lyon2.fr et luc.vancheri@univ-lyon2.fr