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Exemplarité : les bénéfices d’une « crise » (XVIe-XXe s.)

Exemplarité : les bénéfices d’une « crise » (XVIe-XXe s.)

Publié le par Marc Escola (Source : Thibault Catel)

Exemplarité : les bénéfices d’une « crise » (xvie-xxe siècle)

Journée d’études

Université Paris-Sorbonne (Paris-IV)

Samedi 27 juin 2015

 

Organisateurs : Thibault Catel et Maud Schmitt.

 

Dans l’histoire longue de l’exemplarité, il est d’usage de considérer la Renaissance comme le point de départ d’une « crise[1] » qui en annoncerait la disparition. Dans son fonctionnement traditionnel, l’exemplarité suppose un rapport du semblable au semblable, impliquant un cosmos soumis à des lois régulières, et une épistémologie fondée sur l’analogie entre les êtres et les choses. Dès le xvie siècle, les découvertes scientifiques et géographiques majeures ainsi que la perte de l’unité religieuse minent en profondeur le fonctionnement analogique, sur lequel repose la mécanique exemplaire. Dans cet univers où le dissemblable l’emporte sur le semblable, l’exemple entrerait en crise et deviendrait un cas problématique[2].

La modernité littéraire, essentiellement dialogique, naîtrait alors sur les décombres de l’exemplarité. Le récit exemplaire se laïcise. Il se met à véhiculer une morale terrestre, mondaine et pratique qui infléchit sa perspective eschatologique. Montaigne, Cervantès sont les témoins d’une littérature qui perd de sa prétention dogmatique. Ce processus d’autonomisation se poursuit tout au long de la période ; mais la fin du xixe siècle marque une aggravation dans la crise de la littérature exemplaire. La fonction esthétique prend le pas sur sa fonction référentielle : la littérature tend à se désolidariser de la morale et de la vérité, jusqu’à devenir à elle-même sa propre référence. Tout semble donc montrer que l’exemplarité disparaît avec l’entrée de la littérature dans l’âge moderne.

De nombreux travaux, depuis les années 1990, ont bien montré cependant la permanence d’une pratique exemplaire tout au long de cette période[3]. Dans leur sillage, nous souhaitons nous interroger plus particulièrement sur les modalités, la portée et les limites de cette « crise ». Cette métaphore doit-elle se comprendre selon un modèle médical qui fait de la crise le signal spectaculaire d’une maladie et d’une dégénérescence à venir ? Ou bien cette « crise » renvoie-t-elle à une métaphore d’ordre dramaturgique ? Dans ce cas, la crise manifesterait moins un dysfonctionnement radical qu’elle ne constituerait le point de départ à partir duquel s’ordonne un nouvel équilibre des choses.

L’ambiguïté sémantique du terme, voire son imprécision, pose en effet question : doit-on comprendre cette « crise » de l’exemplarité comme le prélude de sa fin, ou comme le symptôme de son renouvellement ? La disparition d’un genre de discours, l’exemplum, entraîne-t-elle nécessairement la mort d’un fonctionnement de discours ? On pourra se pencher notamment, lors de cette journée d’étude, sur les remodelages, les réinventions, les réagencements qui signalent une nouvelle vitalité de l’exemplarité.

On examinera alors les stratégies rhétoriques, poétiques et pragmatiques proposées par la modernité comme alternative à la fable édifiante, qui permettent d’en réinventer le modèle, de l’adapter à des objets nouveaux et à une vision du monde transformée. Cette journée d’étude s’efforcera enfin de tirer pleinement parti des effets d’échelle liés à une délimitation chronologique que l’on a voulue très large (XVIe-XXe). On conduira une réflexion volontiers transversale, attachée à révéler des transformations ou des continuités sur le temps long, tout en se gardant de céder aux tentations téléologiques et en restant attentif à l’hétérogénéité,  tant historique, politique, qu’esthétique. Au cours de cette journée, on pourra s’interroger sur la nature de l’exemplarité : phénomène historique, dont l’existence est entièrement conditionnée par des situations politiques, sociales, culturelles, bien précises ; ou structure permanente de la pensée, dont ne peut pas faire l’économie, qui se transforme mais ne disparaît pas ?

 

À titre indicatif, nous proposons dans le cadre de notre réflexion sur la permanence de l’exemplarité les directions suivantes :

- Les « crises » de l’exemplarité sont-elles liées aux crises politiques ? On pourra se demander si les périodes qui ont connu des bouleversements politiques majeurs (Guerres de religion, Révolution, Empire, etc.), ont favorisé l’émergence d’une littérature exemplaire.

- Exemplarité et genres littéraires : y a-t-il des genres plus exemplaires que d’autres (nouvelle) ? Certains genres sont-ils plus affectés que d’autres par la crise de l’exemplarité ? Et réciproquement la crise de l’exemplarité est-elle imputable à la caducité/déliquescence d’un genre ?

- Exemplarité et rhétorique : quel rôle joue l’énonciation dans la fabrique de l’exemplarité ? On s’intéressera à la fonction du narrateur à l’intérieur de la diégèse, possible relais de la figure de l’orateur antique ou du prédicateur, du point de vue de l’éthos.

- Exemplum et exemplar : une pensée essentialiste de l’exemplarité est-elle possible, contre une approche nominaliste qui cantonne l’exemplarité à un effet de discours ? Y a-t-il des objets exemplaires a priori, préalablement au récit ? Étudier les survivances et les métamorphoses de la Vie de saint, par exemple, pourra se révéler éclairant dans cette perspective.

- Pragmatique de la réception. L’exemplarité est-elle nécessairement liée à l’univocité du sens ? L’autonomie du lecteur dans l’interprétation du texte – d’où peut découler le « malentendu » herméneutique[4]  ­­–, est-elle le signe d’un bon fonctionnement exemplaire ou, au contraire, le symptôme d’une dérive de l’exemplarité ?

- Exemplarité et méthodologie. En quoi la pensée de l’exemplarité est-elle largement tributaire de la constitution des corpus d’études et donc des exemplaires retenus ? L’idée de « crise de l’exemplarité », développée par la critique américaine, convoque ainsi souvent les mêmes auteurs pour étayer ses thèses (Boccace, Marguerite de Navarre, Montaigne). On pourra s’interroger sur les bons usages méthodologiques des exemples pour qui veut analyser l’exemplarité (échantillonnage, « pensée par cas[5] », exemples illustratifs / singuliers, etc.).

 

 

Les propositions d’environ 300 mots devront être accompagnées d’une courte notice biobibliographique et envoyées avant le 30 avril 2015 aux adresses suivantes : thcatel@gmail.com et schmitt.maud@gmail.com

 

[1] Cette idée a été largement reprise par la critique américaine qui en a assuré la promulgation. Voir John D. Lyons, Exemplum: the rhetoric of example in early modern France and Italy, Princeton university press, 1989 ; Timothy Hampton, Writing from History: the rhetoric of exemplarity in Renaissance literature, Ithaca, Cornell university press, 1990 ; The Crisis of exemplarity, The Journal of the History of Ideas, 59, octobre 1988, p. 613-624 ; Alexander Gelley (dir.), Unruly Examples. On the rhetoric of Exemplarity, Stanford, 1995.

[2] Voir Karlheinz Stierle, « L’Histoire comme Exemple, l’Exemple comme Histoire », [in] Poétique, n°10, 1972, p. 176-198.

[3] Voir notamment Borrego-Perez, Manuel (dir.), L’Exemplum narratif dans le discours argumentatif (XVIe-XXe siècle) Paris, Les Belles lettres, 2002 ; Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen, Guiomar Hautcœur, Marielle Macé (dir.), Littérature et exemplarité, Rennes, PUR, 2007 ; Laurence Giavarini (dir.) Construire l’exemplarité : pratiques littéraires et discours historiens (XVIe-XVIIIe siècles), Dijon, EUD, 2008 ; Le Récit exemplaire (1200-1800), études réunies par Véronique Duché et Madeleine Jeay, Paris, Classiques Garnier, 2011.

[4] Voir Marc Escola (dir.), Le Malentendu, généalogie du geste herméneutique, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2003.

[5] Voir Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.

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