Questions de société
Examens et CRS: le gouvernement manoeuvre (S. Huet 09/04/09)

Examens et CRS: le gouvernement manoeuvre (S. Huet 09/04/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Blog de Sylvestre Huet - 09/04/09: 

Examens et CRS: le gouvernement manoeuvre

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Puisque les universitaires ne cèdent pas, cognons plus fort. C'est manifestement le choix de l'Elysée et de Valérie Pécresse pour tenter de mettre fin à un mouvement dont les traces seront profondes, quelle qu'en soit l'issue.

Au programme: déclarations menaçantes de la ministre de l'Enseignement supérieur sur les examens et les diplômes,durcissement du traitement policier, pressions sur les présidencesd'université, relais dans la presse d'un discours simpliste -«l'extrême gauche» prend en otage les étudiants (voir le Figarode ce matin). Discours et manoeuvres classiques, certes, en pareilconflit, mais dont le véritable sens semble être la poursuite d'une ligne dure, refusant de concéder un véritable armistice à la communauté universitaire, ligne affichée dès le 3 février par Valérie Pécresse qui avait choisi le bras de fer plutôt que la négociation.

Hier, interrogée à l'Assemblée nationale (lire compte-rendu ci dessous), Valérie Pécresse a prétendu que ce conflit n'avait plus de raison d'être puisque «des réponses» ont été «apportées aux inquiétudes de la communauté universitaire». Du coup, toutes les actions possibles deviennent «inacceptables», qu'il s'agisse d'une grève des cours, de la rétention des notes, du boycott du jury du bac ou des opérations qualifiées de «violentes».

L'argument semble logique, à un détail près: sa prémisse majeure qui suppose que les «réponses»apportées par le gouvernement sont celles qu'attendaient lesuniversitaires entrés en conflit. Quant à sa prémisse mineure, selonlaquelle il ne s'agit que «d'inquiétudes» -sous-entendu peu fondées-elle fait sourire. La ministre sait très bien que le sentiment qui està l'origine de ce mouvement d'une puissance et d'une durée inédites etimprévues est plutôt une énorme colère à l'égard d'un gouvernement dontles choix et les décisions sont analysés rationnellement par des Bacplus 12 et non des lycéens enfiévrés.

Le chantage sur les examens exercé par Valérie Pécresse, et ses traductions médiatiques, posent plusieurs questions embarassantes pourle gouvernement. D'abord, se dit-on, si l'année universitaire est si enpéril... c'est bien que la mobilisation des universitaires a été et reste massive.Car ce ne sont pas quelques occupations ponctuelles de bâtiments quipeuvent empêcher la tenue des cours. Autrement dit, en pointant cettequestion, la ministre souligne l'ampleur de la protestation, malgré le relatif silence médiatique organisé autour d'elle, comme l'analysent certains universitaires.Ensuite, faire porter la responsabilité de cette situation aux seulsuniversitaires n'a rien d'évident. Les étudiants et leurs familles,angoissés à l'idée de perdre une année, pourraient bien se dire quec'est l'obstination du gouvernement qui est responsable de ce blocage.Surtout lorsque l'on se rend compte qu'un véritable report de lamastérisation et une négociation sincère du statut des universitairesauraient suffi à saper les bases de cette mobilisation.

Les provocations policières, recensées ici ou là (Strasbourg,Orléans, Sorbonne), au rebours de comportements plutôt raisonnables (ona peur du syndromeMalik Oussekine en haut lieu) ne font qu'exaspérer les esprits.

Voici le compte-rendu des débats à l'Assemblée nationale:
M. François Rochebloine.
Madame la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, je tiens à appeler votre attentionsur le blocage de certaines universités et sur ses conséquences pourdes milliers d'étudiants, victimes d'un conflit qui n'a que trop duré.Ainsi, l'université de Saint-Étienne se trouve dans une véritableimpasse puisqu'elle connaît l'un des conflits les plus longs de sacourte histoire, conflit qui a pris une ampleur considérable depuisl'annonce de la suppression de six postes. Depuis des semaines, leslocaux du site principal sont occupés et les étudiants sont privés decours. Le second semestre n'a toujours pas commencé. Au delà, c'estl'avenir même de cette université de taille moyenne qui est en cause,car la situation de blocage a atteint un point de non-retour.D'autres universités vivent la même situation. Face à des minoritésirresponsables, voire des groupuscules organisés et très déterminés, lagestion de la crise est très difficile sur le terrain, notamment pourles présidences des universités. Au mépris des principes qui régissentle service public et en violation des libertés fondamentales, lesgrévistes exercent des pressions et se livrent à des intimidationsscandaleuses sur les étudiants qui veulent travailler. La tension estencore montée d'un cran avec la tenue d'assemblées générales concluespar des votes discutables. Ce qui est certain, c'est que cettesituation devient catastrophique pour des centaines d'étudiants quiperdront leur année si les mouvements ne s'arrêtent pas au plus vite.Au nom de ces jeunes qui jouent leur avenir et de leurs parents quinous font part de leurs très profondes inquiétudes, je vous demande,madame la ministre, de nous indiquer le signal que le gouvernement peutenvoyer pour créer les conditions d'un retour à la normale et rétablirainsi la liberté d'étudier. Seriez-vous prête à adapter le calendrierdes examens afin de permettre aux étudiants de rattraper le temps perdu?M. le président.

- La parole est à Mme Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche.
M. Patrick Roy. Et de la catastrophe ! (Vives protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Valérie Pécresse.
Monsieur le député, lasituation dans certaines universités est en effet inacceptable. À l'IUTde Saint-Étienne, ce matin, 150 étudiants qui voulaient rattraper descours ont été bloqués par un groupe très déterminé d'une vingtained'autres étudiants qui ont pris d'assaut la salle et ont empêché lesenseignants de faire cours. Cette pratique, je le répète, estinacceptable, de même que sont inacceptables la violence, laséquestration des présidents, les menaces de boycott du jury dubaccalauréat ou la volonté de valider automatiquement un semestre sansaucun cours, ce qui dévaloriserait nos diplômes et porterait atteinte àl'image de l'université française dans notre pays comme à l'étranger.(Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)Ces agissements sont contraires à l'intérêt des étudiants et del'université française.Il est encore temps de rattraper les cours et de passer les examensdans de bonnes conditions. Les universités sont prêtes et lesprésidents d'université ont appelé à la reprise des cours.Des réponses devaient être apportées aux inquiétudes de la communautéuniversitaire. C'est chose faite puisque le Premier ministre s'estengagé à ce que les emplois soient maintenus en 2010 et en 2011(Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), puisque le statutdes enseignants chercheurs a été entièrement réécrit, puisque laréforme instaurant la mastérisation des maîtres a été étalée sur deuxannées, une commission veillant à son bon déroulement.J'ajoute que les moyens sont là, avec, pour l'université deSaint-Étienne, une augmentation des crédits de 13 %, une nouvelle halledes sports, une nouvelle bibliothèque sur le campus Tréfilerie et lecentre d'ingénierie de la santé. Voilà des réponses concrètes.(Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
- M. Maxime Gremetz. Arrêtez cette propagande !
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignementsupérieur. Désormais, la seule préoccupation de ceux qui aimentl'université, c'est la reprise des cours et le bon déroulement desexamens. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. –Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Voici la réponse de la Coordination nationale aux propos de Valérie Pécresse sur les examens :

«Oui Madame Pécresse, il est temps de vous inquiéter !»
Après plus de deux mois d'un mouvement inédit dans les universitésfrançaises, Valérie Pécresse daigne enfin se préoccuper desconséquences de sa politique. Elle s'inquiète des menaces qui pèsentsur les examens et la validation de l'année universitaire.Valérie Pécresse se préoccupe de «la crédibilité de nos universités à l'étranger et de la valeur de nos diplômes».Nous sommes heureux d'apprendre que nos universités, si médiocres, à encroire Nicolas Sarkozy, jouissent donc néanmoins d'un certain prestigeet que les diplômes qu'elles délivrent ont encore quelque valeur.
Valérie Pécresse ne veut pas que soient délivrés des diplômesdévalués ? Ce sont ses réformes qui instaurent une dévaluationgénéralisée des diplômes en mettant notamment en place une«masterisation des concours de recrutement d'enseignants qui réduitleur contenu disciplinaire, repousse d'un an le droit à un salaire, etmenace de précariser celles et ceux qui n'auraient pas obtenu à la foisle master et le concours.Notre ministre se demande comment, si le mouvement perdure, lecaractère national des diplômes «pourrait être préservé si tous les étudiants n'ont pas bénéficié de la même formation».C'est précisément parce que nous voulons préserver le caractèrenational des diplômes que nous luttons. La mise en concurrence desuniversités instaurée par la LRU, la création de quelques «pôlesd'excellence», de diplômes «professionnels» d'entreprise et demasters d'enseignement aux contenus variables localement ne peut eneffet que mettre en péril le caractère national des diplômes.
«Il est impensable de boycotter le baccalauréat», nousdit-elle.  Ce qui est impensable, c'est qu'après des mois d'actionsmenées par l'ensemble des acteurs de l'université, notre gouvernementn'ait toujours pas écouté nos revendications, qu'il n'ait toujours paspris la mesure de notre détermination. Valérie Pécresse agite lespectre de la pénalisation des étudiants, au sujet des diplômes decette année, afin de pousser l'université à abandonner la grève. Nousconstruisons ensemble cette lutte, enseignants-chercheurs, BIATOSS etétudiants ; c'est ensemble que nous trouverons les solutions pourqu'aucun étudiant, gréviste ou non, ne soit pénalisé.
Madame Pécresse nous parle du respect des élèves et des étudiants.Il est étonnant d'entendre parler de respect lorsque le monde del'enseignement et de la recherche est confronté chaque jour au méprisdes ministres et du président de la République. C'est parce que nousrespectons élèves et étudiants que nous luttons pour que l'universitéfrançaise ne repose pas sur des lois de rentabilité immédiate et pourque nos formations ne mènent pas à un avenir fait de précarité.Elle attribue enfin la poursuite du mouvement à quelques «bandes encagoulées»et au climat de peur qui règnerait en ce moment. Lorsque nous sommestémoins des violences policières envers des grévistes pacifiques,personnels comme étudiants, nous nous demandons quel genre de climatcela peut instaurer, et qui en est responsable.
Si elle déplore les effets du mouvement, Mme Pécresse n'a plusqu'à organiser l'examen... de ses causes, cesser ses manoeuvres etretirer enfin les réformes contestées. C'est l'unique condition, nonnégociable, à la reprise des enseignements. 

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Le 08/04/09 sur le même blog:

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/04/crise-universit.html#more

Crise universitaire, examens, grèves... jusqu'où ?

 Après dix semaines de contestations diverses, le monde universitaire demeure très mobilisé contre les réformes gouvernementales.
Les manifestations de ce jours - plusieurs milliers à Paris (photo)- sont certes en net retrait relativement aux rassemblements despremières semaines. Mais y voir la fin de la contestation serait uneillusion. Il suffit d'écouter des manifestants rendre compte desdécisions prises lors d'assemblées récentes.
Cecilia D'Ercole, maître de conférence, relate ainsi la dernière réunion tenue dans son UFR d'histoire, à Paris-1. «Nousavons eu une très vive discussion sur les examens et comment nousallions gérer cette situation difficile. Mais finalement, après avoirdégagé les solutions, au moment du vote de la poursuite de la grève,nous étions d'accord à une très large majorité.» Même son de cloche de son collègue François Foronda. «C'estvrai que nous devons aux étudiants de trouver des solutions, même sinous continuons notre mouvement après les vacances. Nous avons mis enplace un comité paritaire avec eux, nous avons commencé à travailleravec le directeur de l'UFR, j'ai le sentiment que nos étudiants nousfont confiance sur ce point. Sur cette base, nous sommes plus unis quejamais dans notre refus de plier devant le gouvernement. Outrela grève, nous avons voté le boycott des jury de bac, c'est un gestesymbolique de notre colère, car le bac, c'est important.»

Cette détermination, on la retrouve chez d'autres participants à cette manifestation. Georges Molinié,le président de Paris-4, a tenu à mettre en pratique son appel, ettient la grande banderole de tête, aux côté des étudiants de sonuniversités, tout heureux de ce soutien sans ambiguité.
Au départ ducortège, place Denfert Rochereau, on croise Olivier Baud,professeur de droit à Paris-2 Assas, avec ses amis du Collectif deDéfense de l'Université. Le juriste, fameux pour ses analyses sévèresdes textes du gouvernement sur le statut des universitaires, nedécolère pas contre ce ministère qui «ment».

Peu avant la manifestation, plusieurs centaines d'étudiants et d'universitaires de la Sorbonne avaient organisé une petite surprise ludique: une mini-barricade en sable, coupant la rue des Ecoles, au croisementdu boulevard Saint Michel. Un caractère ludique assumé, puisque lesable était piqueté de petits seaux et pelles de plage. Mais avec toutde même un réel avertissement au gouvernement, puisqu'un carton fichédans le sable proclamait : On tiendra jusqu'à Paris Plage. Autrementdit : les menaces de Valérie Pécresse sur les examens ne nousintimident pas.

Rencontrée devant cette installation, Caroline Callard, historienne à Paris-4, explique ainsi que l'assemblée des enseignants a certes, elle aussi, discuté vivement du problème des examens et des diplômes, mais sans faiblir au moment du vote de la grève. «Pourles examens, nous mettrons en place une solution dont le conseild'université a pris l'initiative. Les détails sont encoreconfidentiels, mais je dois dire que j'étais personnellement rassurée,car cette question m'angoissait, comme beaucoup de collègues.»

Devant cette détermination, le gouvernement maintient une ligne dure. Pour Valérie Pécresse,les concessions faites sont la fin des discussions. Elle multiplie lesinterventions publiques sur le thème des examens, comptantmanifestement sur la peur des étudiants, la lassitude desuniversitaires. Cette intransigeance risque de prolonger le conflit audelà des vacances de Pâques.

Pourtant la ministre doit bienconsidérer l'ampleur du rejet que ses décisions ont suscité. Un signeclair vient d'en être apporté par les élections universitaires qui sesont tenues à Paris-7 Denis Diderot lundi 7 avril. La liste présentée par le président Guy Cousineau, clair soutient à la politique gouvernementale et de la LRU, a pris une gamelle monumentale, humiliée par la liste dirigée par le physicien Vincent Berger. Lequel Vincent Berger, présent à la manifestation de Paris, devrait donc être présenté comme le futur président de cette université ... sauf que la LRU - «encore une preuve qu'elle est mal conçue»,souligne un juriste - ne prévoit pas qu'un président élu pour quatreans soit déchu de son mandat s'il perd sa majorité au Conseild'Administration. Or, Guy Cousineau, déjà en telle situation, refuse dese démettre.