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Études littéraires, vol. 40, no 2 (été 2009) - De la pioche à la plume

Études littéraires, vol. 40, no 2 (été 2009) - De la pioche à la plume

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Fondée en 1968, Études littéraires est larevue du Département des littératures de l'Université Laval. Ellepublie, en français, des « dossiers » et des « analyses » portantprincipalement sur les littératures d'expression française mais aussisur les autres littératures, surtout dans une perspective comparatiste.D'orientation théorique et critique, Études littérairesvise à faire état de la recherche actuelle dans la discipline desétudes littéraires en s'intéressant à des questions et des corpusvariés, tant générériques, qu'historiques et thématiques. La revuepublie également une section « débats » autour d'ouvrages de critiqueet de théorie récemment publiés.

Directrice : Anne-Marie Fortier

Éditeur : Département des littératures de l'Université Laval

Diffusion électronique: Erudit.

ISSN : 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique)

http://www.etudes-litteraires.ulaval.ca/


Vol. 40, no 2 (été 2009) - De la pioche à la plume
sous la direction de Émilie Brière

http://www.erudit.org/revue/etudlitt/2009/v40/n2/index.html

Émilie Brière
Présentation

ÉTUDES

Isabelle Morlin
Récits de voyages marchands dans la seconde moitié du XVIIe siècle : portrait du négociant en héros
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, pendant lerègne de Louis XIV, encouragés par le pouvoir, les voyages connaissentun essor spectaculaire, et avec eux les récits qui en sont faits. Parmieux, le récit de voyage commercial occupe une place importante. Desvoyageurs comme Tavernier (Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier…, 1676) et Chardin (Voyages de Monsieur le Chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l'Orient,1686), tous deux experts en joaillerie, incarnent la figure dunégociant cultivé et audacieux, représentatif de cettepériode.Travaillant pour leur propre compte et fortune, ces voyageurssont en phase avec l'ambition nationale de conquête. Leur parcoursindividuel s'inscrit donc dans un contexte d'épopée collective.L'aventure commerciale est marquée par un ennoblissement idéologique etle négociant, soudainement valorisé, y gagne un statut de protagoniste.Avec lui, le monde concret, généralement fort peu présent dans lalittérature du XVIIe siècle, fait irruption dans lalittérature de voyage : l'argent y est un thème omniprésent associé àcelui de l'ascension sociale. Mais le voyage marchand est aussi lecontexte d'une valorisation de la notion de « métier », desavoir-faire, et bien sûr de travail et d'effort.Au-delà, on assiste àla promotion littéraire de certaines valeurs « bourgeoises », quiavaient eu jusque-là un statut plutôt marginal. Le récit devientsouvent la preuve tangible d'une réussite sociale et matérielle, et lasomme de connaissances est à l'image des profits que le voyage a permisd'effectuer : l'exigence de « rendement » intellectuel répond ici àl'impératif de profit commercial.

Catherine Parayre
Métiers d'antan et langue menacée : la survie littéraire de l'occitan moderne
Aujourd'hui menacé de disparition, l'occitan, langue traditionnelle dusud de la France, produit une littérature qui, simultanément, imagineune identité occitane et en conçoit la nature illusoire. Il sedéveloppe ainsi dans la thématique des métiers traditionnels et dulabeur agricole, trop souvent considérée comme le signe d'un repliidentitaire, une rhétorique paradoxale consistant, certes, à exprimerla nostalgie d'un passé révolu, mais aussi à affirmer subtilement lanécessité de s'affranchir de celui-ci et à mettre en relief le rôle del'écrivain en tant qu'acteur social extérieur au milieu décrit.

Sylvain David
L'analyseur Bardamu. Représentation du travail et travail du texte
Si le roman Voyage au bout de la nuit(1932), de Louis-Ferdinand Céline, a pu faire scandale à son époque enévoquant l'aliénation des masses ouvrières, non pas dans la langue deceux qui dirigent mais bien de ceux qui travaillent, il n'en reste pasmoins que le texte, contre toute vraisemblance sociolinguistique, placeégalement le français oral populaire dans la bouche de personnages debourgeois, de savants, voire d'intellectuels. L'analyse cherche àdégager les connotations sociales d'un tel déplacement langagier, dansla visée de réfléchir à la paradoxale conception – et doncreprésentation – du travail qui en découle.

Marie-Josée Charest
Chansons de travail, chansons de chômage : une lecture du monde ouvrier pendant la crise à travers l'oeuvre de La Bolduc
Pendant les années 1930, Mary Travers travaille à l'écriture dechansons folkloriques abordant la délicate question du labeur des pluspauvres en période de crise. Elle se dépeint comme une femme au servicede la collectivité, elle évoque les hommes forcés au chômage pendant lacrise économique et, dans un esprit traditionaliste, elle célèbre lelabeur de l'agriculteur, qui, dans ses mots, devient le personnagemythique de « l'ancien temps » idéalisé. Comment se positionne-t-elledans ses chansons traditionnelles par rapport à une réalité du travailde plus en plus industrialisée ? Comment juge-t-elle l'entrée desfemmes sur le marché du travail ? Quelle est son opinion quant auxmesures de l'État alors que les emplois sont rares et que la pauvretéest criante ? Se considère-t-elle comme une femme de carrière, elle quilance les premiers disques à succès de l'histoire de la chansonquébécoise ? Soulevant quelques tabous et en renforçant d'autres,notamment à propos du travail des femmes, elle donne des chansons àl'image du discours social ambiant de son époque, mais se distingueelle-même par son propre métier de chansonnière et la façon dont elleen parle. La situation économique au Québec modifie la perceptiongénérale du travail et les textes de Mary Travers répercutent ce débatde façon originale, donnant accès au point de vue d'une femmetravailleuse, issue des petits milieux où le travail est un moyen desurvie, mais aussi une source de fierté. L'analyse sociocritique deschansons esquisse du même coup le portrait du discours social sur letravail pendant la crise.

Baptiste Franceschini
« Qui sème peu récolte peu » : Chrétien de Troyes au champ romanesque
Chrétien de Troyes ouvre son Conte du Graalsur une étonnante métaphore de l'écrivain semeur en train de répandreses graines romanesques. Cette représentation paysanne d'un auteur quitravaille le texte comme on travaillerait la terre permet alors delégitimer une écriture littéraire toujours susceptible, au Moyen Âge,de constituer un affront aux Écritures. En se peignant dans l'effortrustique, Chrétien de Troyes choisit donc de reconduire sa soumission,tant à l'ordre divin (le labeur est bien le destin de tout bon chrétiendepuis le péché originel) qu'à la hiérarchie féodale où le fruit del'activité n'est qu'une exigence du fief que le travailleur ne sauraitréclamer.

Sophie Pelletier
De l'orfèvre à l'écrivain : poétique du « texte-bijou » à la fin du XIXe siècle
Écrits à une époque où les relations entre « arts » et « métiers » se font plus étroites, À rebours (1884) de Joris-Karl Huysmans et Monsieur de Phocas(1901) de Jean Lorrain thématisent et textualisent une littérature qui,ciselée par l'écrivain, devient orfèvrerie. Le joyau forme une matièrenarrative, la main manipule à la fois la page et la gemme, la langueest matériau. La métaphore du « texte-bijou » permet ainsi d'instaurertoute une poétique, mais elle inscrit également ces deux romans dans lasociété fin-de-siècle.

Delphine Rumeau
Pablo Neruda, poète compagnon
La réflexion sur le travail constitue la pierre angulaire de l'artpoétique de Pablo Neruda. Elle est en effet indissociable d'uneinterrogation sur la place du poète dans la cité et elle est aussil'occasion d'une mise en cause des pouvoirs de représentation dulangage : si Neruda prend acte de l'écart entre le mot et la chose, ilaffirme néanmoins la nécessité du travail pour combler cet écart.Enfin, les métaphores artisanales et ouvrières qu'il décline sontgénéralement l'occasion d'un engagement polémique et d'un dialogue avecla tradition.

Michel Lacroix
Le « galérien dustyle » et le « grand jeu » de « l'interviouwe ». Écriture etmédiatisation littéraire chez Louis-Ferdinand Céline
Au moment où l'entretien radiophonique devient un « genre » alliantmédiatisation de l'écrivain et sacralisation des trajectoires,Louis-Ferdinand Céline procède à sa fictionnalisation dans les Entretiens avec le professeur Y. Or,comme nous le verrons, Céline assume le « travail paratextuel » de miseen marché de soi, inhérent à l'entrevue, mais en renverse les principesen adoptant la posture du clown violent, en plus d'exhiber avec forcele labeur propre à l'écriture de l'oral (là où l'entretienradiophonique est plutôt un commentaire oral sur la littérature).

David Vrydaghs
Les surréalistes face au travail. Ambiguïtés et ambivalences d'une condamnation
Le mouvement surréaliste français est connu pour son refus du travail,littéraire en particulier. Une lecture attentive des textessurréalistes des années 1920 nuance cependant ce cliché de l'histoirelittéraire. Des ambiguïtés, voire des ambivalences, se font jour dansplusieurs textes importants, des Champs magnétiques (1919-1920) à Nadja et au Traité du style (1927-1928) en passant par le Manifeste du surréalisme de1924. Leurs auteurs en étaient conscients et ont tenté, pour diversesraisons mises au jour ici, d'en atténuer (on pense à Breton) ou aucontraire d'en exagérer (on pense à Aragon) la portée.

ANALYSE

Jonathan Livernois
La valse aux adieux : entre le saint libertinage et le scepticisme enchanté
Plusieurs critiques, comme François Ricard et Éva Le Grand, ont misl'accent sur le désenchantement du roman kundérien. Si nous considéronsleurs propos comme justes, nous croyons aussi qu'il faut rappeler laprésence et l'importance des éléments mythiques et sacrés dans le romande Milan Kundera. Nous posons l'hypothèse que le sacré et la prose sontunis par une oscillation qui organise le parcours des personnages duroman. Dans La valse aux adieux, cette oscillation est bornée par deux objets bleus : la lumière irradiant de Bertlef et le comprimé mortel de Jakub.