Revue
Nouvelle parution
Études littéraires africaines, n° 31 (2011)

Études littéraires africaines, n° 31 (2011)

Publié le par Amandine Mussou

Études littéraires africaines, n° 31 (2011).

« Nairobi. Urbanités contemporaines », textes réunis par Aurélie Journo.

ISSN 07694563 .

Sommaire :

DOSSIER : "Nairobi. Urbanités contemporaines"

Textes réunis par Aurélie Journo

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Présentation
Littérature urbaine et renaissance littéraire au Kenya
Aurélie Journo 5
L’écriture de la ville de Nairobi dans les œuvres de la nouvelle scène littéraire kenyane
Aurélie Journo 13
Le Nairobi des poètes : une géographie des pratiques littéraires de la « génération kwani »
Olivier Marcel 25
Le roman urbain et la nouvelle classe moyenne
Hervé Maupeu 39
« It’s never just one road » : Genga-Idowu et la prostitution dans l’espace urbain de Nairobi
Colomba Muriungi 50
La fiction urbaine contemporaine swahilie : quelques pistes
Sheila Ali Ryanga et Rachel Wangari Maina 57

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VARIA

À propos de Aimé Césaire (1913-2008) par Romuald Fonkoua
Contributions de Lilyan Kesteloot, Daniel Delas & Pierre Halen 69

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COMPTES RENDUS

• ABOMO-MAURIN (M.-R.), dir., Tchicaya ou l’éternelle quête de l’humanité de l’homme (Y.M. Ndong Ndong) 83
• AMOUGOU (L.B.), dir., La Mort dans les littératures africaines contemporaines (K. Ferreira-Meyers) 84
• BAUMGARDT (U.) et BORNAND (S.), dir., Autour de la performance (C. Boscolo) 86
• BEKERS (E.), HELFF (S.), MEROLLA (D.), dir., Transcultural Modernities : Narrating Africa in Europe (Buata B. M.) 87
• BONI (T.), La Diversité du monde. Réflexions sur l’écriture et les questions de notre temps (K. Milébou Ndjavé) 88
• BOUCHER (G.), Poètes créoles du XVIIIe siècle : Parny, Bertin, Léonard (Buata B. M.) 89
• CAMBON (V.), CHEMAIN-DEGRANGE (A.), GASTALDI (M.), éd., « Littérature-Monde » francophone en mutation. Écritures
en dissidence (A. Demeulenaere) 91
• CHAULET ACHOUR (C.), Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. La pérennité d’un chef-d’oeuvre (F. Paravy) 92
• CHAULET ACHOUR (C.) et MOULIN-CIVIL (F.), éd., Le Féminin des écrivaines Suds et périphéries (D. Ranaivoson) 93
• DELAVIGNETTE (R.), Les Paysans noirs (P. Halen) 95
• EUZENOT-LE MOIGNE (S.), Sony Labou Tansi. La Subjectivation du lecteur dans l’oeuvre romanesque (S. Nzouzi) 96
• FIELD (R.), Alex La Guma. A Literary and Political Biography (R. Samin) 98
• GRAVE (J.), éd., L’Imaginaire du désert au XXe siècle (A. Demeulenaere) 99
• GYSSELS (K.), Passes et impasses dans le comparatisme postcolonial caribéen. Cinq traverses (C. W. Scheel) 100
• HÉLIAS (F.) et HOAREAU (S.), dir., Îles de l’océan Indien (D. Ranaivoson) 102
• HOFFMANN (L.-F.), Haïti : regards (Inengue Vuadens) 103
• HUSTI-LABOYE (C.), La Diaspora postcoloniale en France. Différence et diversité (Buata B. M.) 105
• MANGEON (A.), La Pensée noire et l’Occident. De la bibliothèque coloniale à Barack Obama (F. Paravy) 106
• MENGEL (E.), BORZAGA (M.), ORANTES (K.), dir., Trauma, Memory, and Narrative in South Africa. (B. Lebdai) 108
• NAHLOVSKY (A.-M.), La Femme au livre. Les écrivaines algériennes de langue française (F. Aïtel) 110
• OUÉDRAOGO (J.), dir., L’Imaginaire d’Ahmadou Kourouma. Contours et enjeux d’une esthétique (A. Coulibaly) 111
• PUJARNISCLE (E.), Philoxène ou de la littérature coloniale (G. Ndombi-Sow) 113
• QUAGHEBEUR (M.) et TSHIBOLA KALENGAYI (B.), dir., Aspects de la culture à l’époque coloniale en Afrique centrale.
Littérature. Théâtre (P. Halen) 114
• RUBIALES (L.), dir., L’Autobiographie dans l’espace francophone. IV. Les Caraïbes et l’Océan Indien (P.B. DAH) 116
• SEYDOU (C.), L’Épopée peule de Boûbou Ardo Galo. Héros et rebelle (K. Milébou Ndjavé) 118
• TANG (A.D.) et BISSA ENAMA (P.), dir., Absence, enquête et quête dans le roman francophone (S. Le Moigne-Euzenot) 119
• TERRAMORSI (B.), dir., Les Filles des eaux dans l’Océan indien. Mythes, récits, représentations (D. Ranaivoson) 120
• TSHITUNGU KONGOLO (A.), La Présence belge dans les lettres congolaises (T. De Raedt) 121
• VALAT (C.), dir., Littératures féminines francophones avec et autour de Maïssa Bey (C. CHAULET ACHOUR) 123
• Éthiopiques, n° sp. (Hommage à Aimé Césaire) (A.É. Temkeng) 124

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NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

• BALLADON (F.) et PEIGNE (C.), dir., Le Français en Afrique du Sud : une francophonie émergente ? (A.M.É. Adjoumani) 126
• COLLE-BAK (N.), LATHAM (M.), TEN EYCK (D.), dir., Les Vies du livre, passées, présentes et à venir / The Lives of the Book, Past, Present and to Come (R. Thierry) 126
• DANAÏ (O.-B.), La Littérature tchadienne en quinze parcours (L. Afui Nkili) 127
• DE RYCKE (J.-P.), Africanisme et modernisme (P. Halen) 127
• DIALLO (B.), Réalités et roman guinéen de 1953 à 2003 128
• MENDO ZE (G.), Cahier d’un retour au pays natal. Aimé Césaire. Approche ethnostylistique (A.-S. Catalan) 129

 

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Édouard Djob-Li-Kana a fait parvenir à Fabula cette note de lecture à propos de ce livre :
 

Le numéro 31 des Études littéraires africaines, publié en 2011, est une compilation de travaux consacrés à la littérature kenyane depuis 1960, à l’ouvrage de Romuald Fonkoua sur Aimé Césaire, célèbre poète et homme politique martiniquais décédé en 2008, et à plusieurs comptes rendus d’ouvrages sur la littérature africaine contemporaine. Il est donc structurellement réparti en trois moments qui analysent les thématiques et les enjeux de la littérature africaine depuis la période coloniale.

L’espace urbain semble être un thème cher à la littérature africaine du sud du Sahara. Il est exploité par beaucoup d’écrivains pour représenter les réalités socio‑culturelles de cette partie du monde depuis la période coloniale. Dans le dossier de ce numéro, Aurélie Journo le souligne après avoir fait un état des lieux de la littérature kenyane depuis les années 1960, c’est‑à‑dire trois ans avant l’indépendance de ce pays.

En effet, en littérature, la ville désigne le plus souvent le lieu référentiel de la narration. Elle véhicule un contenu culturel et une scénographie qui reflètent l’identité de ses habitants. La plupart de romanciers noirs de la génération coloniale et même de la génération qui vient quelques années après les indépendances, entre 1960 et 1980 précisément, aimaient la décrire en l’opposant au village, c’est‑à‑dire en la présentant comme un lieu symbolique de la modernité et d’une vie civilisée où les valeurs culturelles de la tradition meurent. Leurs héros étaient des citadins de fraîche date pour lesquels la découverte de la ville, après une longue enfance villageoise, constituait un bouleversement sans précédent. On peut le voir, à titre illustratif, chez Sembene Ousmane dans le roman Le Mandat, où l’auteur crée des personnages qui ne considèrent pas la cité urbaine comme un progrès de développement, Kocoumbo et Mou en l’occurrence[1]. Il en va ainsi du roman Mission terminée[2] qui fait allusion à un héros, un jeune lycéen assimilé, qui effectue un séjour au village. À la différence des villageois qui l’accueillent, la personnalité de ce jeune citadin repose sur un savoir contingent tourné vers les apparences, un savoir qui ne repose sur aucune pratique sociale. Le père Ngo’o, personnage du roman Afrika Ba’a, illustre aussi cette mauvaise image de la ville à travers ces propos qu’il tient à son fils Kambara : « La ville, fils, c’est une forêt truffée de pièges. J’aurais préféré autre chose pour toi[3] ». Dans son article, « L’écriture de la ville de Nairobi dans les œuvres de la nouvelle scène littéraire kenyane », Aurélie Journo montre aussi que les écrivains kényans de la première génération, celle des années 1960‑1970, opposaient la ville à la campagne en la présentant comme un lieu de perdition et de déchéance.

Depuis les années 1990, une nouvelle génération d’auteurs subsahariens s’est appropriée la question urbaine, non pour l’opposer au village, mais plutôt pour cerner l’impact, pas toujours négatif, que la ville pourrait avoir sur les personnes qui la traversent, sur leur corps comme sur leur rapport à eux‑mêmes et aux autres. Cette génération d’auteurs s’intéresse particulièrement à l’ambiance qui règne dans les cités urbaines africaines, aux expériences individuelles des personnages et aux influences que la ville fait subir à ces personnages. La cité urbaine est en quelque sorte ce lieu où une vie ouverte et multiculturelle est acquise. Elle n’est plus représentée comme une terre de déchirures, mais plutôt comme un lieu de convergence, d’échanges et de mélanges, comme un carrefour de la diversité linguistique. Le compte rendu de Kelly Milébou Ndjavé évoque cette nouvelle perception de la ville chez Boni Tanella dont l’ouvrage, La Diversité du monde. Réflexions sur l’écriture et les questions de notre temps, renferme une série d’articles sur la mobilité de l’écrivain africain, la diversité culturelle dans les romans africains, et la place de l’Afrique dans la mondialisation. L’une des contributions de Buata.B. Malela, qui est aussi un compte rendu de lecture, aborde les mêmes problématiques. Buata.B. Malela recense un livre de C. Husti‑Laboye, constitué d’un corpus de textes africains publiés dans les années 2000 (textes de Kossi Efoui, Calixthe Beyala, Sami Tchak, Fatou Diome, Abdourahman Waberi et Alain Mabanckou). Buata.B. Malela pense que les auteurs cités par C. Husti‑Laboye témoignent d’une écriture de la traversée, qui promeut l’hybridité. Une écriture qu’Olivier Marcel mentionne dans son article en faisant allusion à « la génération Kwani », un mouvement culturel et littéraire kenyan constitué de jeunes auteurs dont les textes s’ouvrent aux dialectes urbains, aux langues populaires, nées du contact de l’anglais et des langues locales, parlées dans les lieux de socialisation urbains tels que les bars, les restaurants, les clubs.

La scénarisation de la ville dans la littérature subsaharienne redéfinit les positions des écrivains au sein de leur société en tant que porteurs d’une vision dont l’évolution profonde témoigne à elle seule du dynamisme de la création littéraire africaine. Elle livre un discours partagé entre tradition et modernité que les écrivains abordent en fonction de leur contexte socio‑historique et de leurs aspirations idéologiques:

À la veille des indépendances et même jusqu’aux années 1980, l’enjeu était de dénoncer le système d’assimilation hérité de la colonisation et de proposer le retour aux mœurs locales. C’est pour cette raison que la ville, symbole des valeurs modernes importées, était dépeinte comme un lieu imaginaire de perdition, tandis que le village, idéalisé, était représenté avec une tonalité penchant vers la nostalgie. L’ouvrage de Romuald Fonkoua sur Aimé Césaire, commenté par Lilyan Kesteloot, Daniel Delas et Pierre Halen, fait allusion à cette nostalgie chez l’écrivain martiniquais.

Depuis les années 1990, avec la crise de l’État‑nation et l’exil de plusieurs écrivains africains vers l’hexagone, le regard sur l’Afrique et sa cité urbaine a changé. Il porte désormais sur sa modernité transculturelle. L’idéalisation des valeurs du village a cédé la place à la dénonciation des dérives de l’État‑nation et à la polyglossie qui caractérise l’espace géographique urbain. Toute velléité d’appartenance spatiale au sens étroit du terme est occultée. Du moins, c’est ce que l’on peut lire, dans une certaine mesure, chez les auteurs cités par C. Husti‑Laboye. Ahmadou Kourouma, évoqué dans le compte rendu d’Adama Coulibaly, propose aussi une esthétique littéraire polyphonique qui rend compte de la dimension multiculturelle de l’histoire des langues et des sociétés africaines actuelles. Seulement, contrairement à ce que sous‑entend le compte rendu d’Adama Coulibaly, Kourouma, comparativement à ses pairs, suggère un métissage qui refuse l’aliénation, c’est‑à‑dire qui a un point de départ, un socle, une base dans laquelle se fonderaient toutes les autres identités. Il suggère un métissage qui permettrait à l’individu d’aller vers l’autre sans se perdre ni se dénaturer. Son œuvre, selon moi, se situerait à cheval sur les deux conceptions de l’identité précédemment évoquées, car elle suscite une quête identitaire qui ne se définit pas forcément comme le retour au passé, ou la négation de ses racines, mais qui se définit plutôt comme la recherche d’un mieux‑être et d’un certain équilibre qui passe par le dialogue équitable des visions du monde.


[1] O. Sembène, Le Mandat, Paris, Présence africaine, 1966, p. 226.

[2] M. Beti, Mission terminée, Paris, Buchet-Chastel, 1957.

[3] Médou Mwomo, Afrika Ba’a, Yaoundé, Cle, 1969. p. 64.