Revue
Nouvelle parution
Études françaises, vol. 44, no 2 (2008) - La littérature tragique du XVIe siècle en France

Études françaises, vol. 44, no 2 (2008) - La littérature tragique du XVIe siècle en France

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Fondée en 1965, Études françaises est unerevue de critique et de théorie publiée en français. Elle s'intéresseaux littératures de langue française, aux rapports entre les arts etles sciences humaines, les discours et l'écriture. Chaque numérocontient un ensemble thématique ainsi que diverses études. Elles'adresse particulièrement aux spécialistes des littératures françaiseet québécoise, mais aussi à toute personne qu'intéresse la littérature.

Vol. 44, no 2 (2008) -  La littérature tragique du XVIe siècle en France
Sous la direction de Louise Frappier

Louise Frappier
Présentation

ARTICLES

Olivier Millet
Les premiers traicts de la théorie moderne de la tragédie d'après les commentaires humanistes de l'Art poétique d'Horace (1550-1554)
Cet article s'attache à certains commentaires humanistes de l'Art poétique d'Horace pour indiquer les premiers traictsnouveaux (réception d'Aristote, et réflexions originales) qui étaient àla disposition des écrivains et du public lettré au milieu des années 1550,quand le genre de la tragédie humaniste commence à prendrevéritablement son essor en France. Il souligne en particulierl'importance de celui de G. Grifoli, qui soutient la thèse —paradoxale — que l'Art poétique d'Horace est d'abord un art de la tragédie (position qu'illustrera également, en 1576,Jean Sturm), interprétation qui le rend sensible à la dimensionproprement dramatique du poème tragique comme représentation scéniquede la condition humaine.

Normand Doiron
Saül sur la scène : Jean de La Taille, Saül le furieux, précédé de l'Art de la tragédie (1572)
Étude de la fureur de Saül en tant que principe éminemmentspectaculaire, fondant la nouvelle poétique théâtrale humaniste. Lascène de la nécromancie précise la folie de Saül, la déréliction, demême que la nature du spectacle constitutif de la scène moderne :l'illusion diabolique. Satan est en effet au centre de la réflexion surle théâtre. Il continuera longtemps de hanter la scène, et jusqu'àBossuet les détracteurs de la « comédie » dénonceront son oeuvre.

Samuel Junod
La théâtralisation du prophète dans les tragédies françaises de la Renaissance
Cet article analyse la figure du prophète dans les tragédies françaises de la Renaissance entre 1550 et 1585environ. À l'instar des figures de Cassandre et de Jérémie, lepersonnage du prophète trouve dans le genre tragique un environnementfavorable où il peut exprimer les aspects douloureux de sa fonction surle mode pathétique. Mais on observe que sa position est fragile, car ilest victime de plusieurs stratégies visant à l'évacuer. Que ce soit laconcurrence d'autres personnages qui s'arrogent certaines de sesprérogatives ou l'auteur qui lui fait jouer des rôles annexes, leprophète voit sa place constamment menacée. Robert Garnier, dans Les juives,va jusqu'à annoncer la fin de toutes les prophéties. Il semblerait quece soit le seul élément qui définisse de façon constante le prophète :l'annonce de sa propre fin.

Louise Frappier
Sénèque revisité : la topique de la Fortune dans les tragédies de Robert Garnier
L'article propose une analyse de l'utilisation du concept antique deFortune dans les tragédies de Robert Garnier, dramaturge important dela seconde moitié du xvi esiècle en France. En prenant pour modèle les tragédies de Sénèque,Garnier propose une lecture à la fois ontologique, sociopolitique,éthique, justicière et héroïque du rôle de la Fortune dans l'économiede la tragédie, concept qu'il est amené à assimiler à la notionchrétienne de Providence.

John Nassichuk
La condition tragique de l'homme dans la Silve IV des Juvenilia de Théodore de Bèze
Trois ans avant la publication de l'Abraham sacrifiant, Théodore de Bèze publie au sein de ses Juvenilia (1548) une Silvelatine qu'il désigne comme la préface des Psaumes pénitentiaux. Cepoème narratif en hexamètres propose une récriture de l'épisode audeuxième livre de Samuel, dans lequel David commet le péché d'adultèreavec Bethsabée et envoie à une mort certaine Urie, le mari de la jeunefemme. Bèze souligne le caractère puissant et diabolique de latentation à laquelle David, roi pieux, n'évite pas de succomber. Dansun échantillon remarquable d'imitatio virgiliana,il narre dans le détail la réaction du pénitent lorsque celui-ciapprend que son méfait a suscité la colère de Dieu. Au lieu d'inscrireson apologie de David dans la lignée patristique qui depuis saintAmbroise perçoit le fils de Jessé comme une préfiguration du Christ, l'exemplumde l'homme pieux susceptible de pécher lorsque la tentation sembleirrésistible, Bèze s'intéresse davantage à la souffrance intérieure etspirituelle de l'homme élu mais coupable devant Dieu. Le caractèreproprement tragique de l'épisode réside dans cette souffrance dupécheur qui regrette vainement son état antérieur.

Jean-Raymond Fanlo
Les tragiques d'Agrippa d'Aubigné : un titre et sa portée
Le titre des Tragiques d'Agrippad'Aubigné définit moins un genre que la tension générique du poèmeentre différents repères (théâtre, histoire tragique) : un éclatementdu discours, une recherche de l'excès et de la violence, pour prendrede front les poétiques apaisées, civiles et régulières du temps del'Édit de Nantes. Le poème est ainsi solidaire de l'argumentairepolitique et historique que construisent l'Histoire universelle et les Écrits politiques :la violence poétique refuse la pacification que la pensée politiqueprétend démasquer. De là l'importance de l'inspiration tragique : mêmesi les références précises au théâtre sont rares à l'exception d'unemprunt capital au Jephte sive votum de Buchanan, la volonté de choquer et de faire surgir l'horreur inspire l'invocation à Melpomène au début de Miseres, et inscrit tout le poème sous le signe du chaos, du thrène funèbre, de l'« hymne discordant des Érinyes » (Les sept contre Thèbes), où Nicole Loraux a reconnu l'inspiration anti-apollinienne des Tragiques grecs.

Antoine Soare
La rencontre de Phèdre et d'Hippolyte de Sénèque à Racine
La rencontre entre Phèdre et Hippolyte, au cours de laquelle l'épousede Thésée doit passer bon gré mal gré de son silence coupable à sadéclaration d'amour, pose aux dramaturges qui traitent ce sujet un défitechnique sans pareil. Le présent article se propose d'analyser dequelles manières ce défi a été relevé ou éludé depuis Sénèque, qui aimaginé le premier cette rencontre, jusqu'à Racine, qui en a fait unchef-d'oeuvre.

EXERCICE DE LECTURE

Isabelle Ducharme
Regards sombres vers l'intériorité dans la Clélie
Au xviiesiècle, en parallèle de l'univers public où la société est enreprésentation, la question de l'intériorité prend lentement un sensqu'il convient aujourd'hui d'interroger. Le Grand Siècle en estd'ailleurs un déterminant qui trace la voie à l'émergence de la notiond'individualisation, et même à celle d'intimité. Si on a longtemps cruque le particulier n'avait pas sa place au xviie siècle, le roman de Mlle de Scudéry, la Clélie,nous autorise à reconsidérer cette assertion. Dans cette oeuvre,Scudéry opère une réflexion pénétrante concernant la vie intérieure despersonnages, laquelle devient manifeste grâce aux marques qu'elleimprime sur les corps et qu'elle engrave au fond des regards. Cetarticle souhaite donc faire état de cette réelle importance (bien quelongtemps insoupçonnée) accordée par Scudéry à l'expression del'intériorité par le biais d'une étude des différents regards qu'elledépeint dans la Clélie, autant de regards qui servent à humaniser de manière particulière ses personnages.