Questions de société
«Etre

«Etre "désobéisseur", c'est une démarche loyale» (Libération, 26/08/2009)

Publié le par Bérenger Boulay

Libération, 26/08/2009: «Etre "désobéisseur", c'est une démarche loyale»

http://www.liberation.fr/education/0101587025-etre-desobeisseur-c-est-une-demarche-loyale

Demain, à Montpellier, débute l'université d'été des professeurs des écoles s'opposant à certaines réformes de l'ère Darcos.

Interview, par JEAN-MANUEL ESCARNOT

Les enseignants«désobéisseurs» organisent une université d'été aujourd'hui et demain àMontpellier. Loin de plier devant les sanctions - retenues de salaire,baisse d'échelon -, ces professeurs des écoles, qui refusentd'appliquer certaines réformes jugées nuisibles, vont élaborer uneCharte de la résistance pédagogique. Paroles de «résistants».

Alain Refalo, 45 ans, instituteur à Colomiers (Haute-Garonne), 1 800 euros mensuels

«Je suis un objecteur de conscience pédagogique. Mon passage à ladésobéissance est dû aux réformes de Xavier Darcos. Elles favorisent lacompétition au détriment de la coopération. A cela se sont ajoutés lemépris et l'absence d'écoute du ministre. «Le professeur n'est pas un simple exécutant» :c'est écrit dans les programmes. C'est pour ça que je suis enseignant.Je suis rentré en résistance à la rentrée 2008 en remplaçant lesdeux heures d'aide personnalisée par un atelier de théâtre collectif,tout en mettant en place des dispositifs de soutien sur le tempsobligatoire. Je l'ai fait savoir à mon inspecteur. Etre "désobéisseur",c'est afficher et assumer sa résistance. C'est une démarche loyale etresponsable. Les rencontres de Montpellier permettront de structurer unréseau essentiellement présent sur le Net. Les enseignants quisigneront sur Internet la charte que nous allons rédiger pourrontafficher leurs positions avec moins de risques.»

Dominique Larièpe, 49 ans, enseignante à Gergy (Saône-et-Loire), 2 200 euros mensuels

«Je suis chargée de l'aide éducative dans un Réseau d'aidespécialisée aux élèves en difficulté (Rased) sur un secteur de24 écoles (2 000 élèves) en zone rurale. Il est impossible de répondreà toutes les demandes ! Je suis entrée en résistance pédagogique enjuin 2008 lors de la modification de la semaine scolaire et del'instauration de l'aide personnalisée. C'est une aberration destigmatiser des enfants en difficulté et de leur rajouter del'enseignement en dehors des heures de classe. Le 17 février 2009,devant l'inspectrice et les élus de mon secteur, j'ai lu une lettreadressée à l'inspecteur d'académie où j'expliquais mon refus decollaborer au démantèlement de l'Education nationale. Un silence deplomb a suivi mes mots. Ils étaient sidérés : la petite institd'ordinaire si soumise avait osé. Moi je pouvais enfin me regarder dansla glace. Fini de cautionner des dispositifs incohérents au regard desbesoins et des rythmes chronobiologiques des enfants. Je viens à cesuniversités d'été pour réfléchir aux actions et aux projets à mener. Cemouvement est une force de propositions et d'alternatives.»

Isabelle Huchard, 47 ans, directrice d'école à Saint-Christol (Hérault), 2 200 euros mensuels

«En 2008, j'ai refusé l'installation du fichier "base élèves". Ilrecensait des données nominatives (nationalité, profession des parents,étapes de la scolarité) connectées à un fichier national d'une durée devie de trente-cinq ans. C'est contraire à la charte des droits del'enfant de l'ONU signée par la France. Je l'ai annoncé en conseild'école aux parents d'élèves. Ces derniers ont transmis un courrier àl'inspecteur d'académie demandant que je ne remplisse pas ces données.Sa réaction a été violente. Il m'a été reproché d'inciter les parents àse mettre hors-la-loi. C'est la raison pour laquelle l'administrationveut me retirer mon statut de directrice demain à Montpellier. Lesévaluations en CE1 et CM2 sont aussi en contradiction avec le respectdu droit des enfants. Je ne veux pas casser l'école publique. J'aienvie que les parents d'élèves et les citoyens travaillent avec nouspour la transformer. Elle n'appartient pas aux enseignants, ni auxparents, ni au ministre.»

Bastien Cazals, 33 ans, directeur et professeur des écoles à Saint-Jean-de-Védas (Hérault), 1 750 euros mensuels

«Depuis mon entrée en 2002 dans l'enseignement, j'ai vu uneaccumulation de réformes dont la cohérence m'est apparue insupportableà la rentrée 2008. Outre la logique budgétaire, l'Etat français renonceprogressivement à l'éducation de pans entiers de notre populationenfantine (les enfants handicapés et en difficultés scolaires, lapetite enfance). Il s'apprête à consacrer l'inégalité des écoles sur leterritoire et à organiser leur mise en concurrence : la suppression dela carte scolaire, la publication des résultats aux évaluationsnationales et le financement public de l'enseignement privé constituentun cocktail redoutable d'armes de destruction massive de notre écolepublique. Après avoir songé à démissionner, j'ai écrit à NicolasSarkozy le 25 novembre 2008. La publication de ce texte a déclenché dessanctions administratives. Aujourd'hui, nous voulons provoquer un granddébat public dans lequel les organisations syndicales et politiquess'impliquent, un premier pas vers des Etats généraux de l'Education.»