Actualité
Appels à contributions
Éthique du détournement. Matériaux, techniques, genres / Ethics of diversion. Materials, techniques, genres (Toronto)

Éthique du détournement. Matériaux, techniques, genres / Ethics of diversion. Materials, techniques, genres (Toronto)

Publié le par Marc Escola (Source : Annemie Treier)

(English version below)

Éthique du détournement. Matériaux, techniques, genres.

La Société des études supérieures du Département d’Études françaises de l’Université de Toronto (SESDEF) lance un appel à communications pour son colloque annuel auquel sont conviés les chercheurs-étudiants en provenance de toutes les disciplines. Le colloque se tiendra les 15 et 16 avril 2016 à l’Université de Toronto au campus St-George, au centre-ville.

Nous aurons le plaisir d’accueillir l’auteur Tanguy Viel en tant qu’invité d’honneur, et une conférence plénière sera assurée par le professeur Sébastien Drouin.

 

Appel à communications

Si l’appropriation en art contemporain a emprunté son lexique critique à Roland Barthes et à Jean Baudrillard, il reste difficile de faire une équation aussi simple dans le domaine littéraire. On pourrait alors se rapprocher d’une autre notion textuelle également associée à l’appropriation, soit le détournement. Nathalie Dupont et Eric Trudel insistent sur le fait qu’il s’agit d’une approche qui a été peu étudiée en littérature.1 Les définitions des deux concepts (appropriation et détournement) sont très similaires, seul le médium semble déterminer l’usage.

 Si, tout comme avec l’appropriation, le détournement est utilisé pour réexaminer la modernité et la postmodernité, on s’aperçoit qu’il est plus précisément conçu comme un procédé en deux temps. D’abord, il s’agit, comme avec les readymades de Duchamp,2 de choisir le matériau à détourner. Si on positionne Guy Debord comme figure clé du détournement avec l’International Situationniste, autant d’un point de vue artistique3 que littéraire, on peut alors rappeler qu’il insiste dans Mode d’emploi du détournement sur la nécessité d’indifférence face au choix de ce qui est à détourner :

Il faut donc concevoir un stade parodique-sérieux où l’accumulation d’éléments détournés, loin de vouloir susciter l’indignation ou le rire en se référant à la notion d’une oeuvre originale, mais marquant au contraire notre indifférence pour un original vidé de sens et oublié, s’emploierait à rendre un certain sublime.4 

La seconde étape consiste à choisir la direction que prendra le détournement. Si en littérature on assiste habituellement à des hommages, des subversions, des pastiches, ou des parodies,5 il faut considérer que la voie est désormais ouverte à bien plus. Debord proposait à l’époque de concevoir le détournement comme une stratégie de transition, sans connaître les formes à venir, en envisageant une posture critique de plus en plus grande. Si la portée radicale de ses ambitions était d’une clarté indiscutable, les techniques, de leur côté, restaient à être développées.

Angle 1 : Le détournement comme tâche de la littérature : savoirs et enjeux

• Les premières questions que ce colloque veut poser concernent directement la littérature, à savoir comment cette dernière utilise le détournement pour s’approprier des savoirs qui lui sont extérieurs, et les faire siens. On s’intéresse aussi à analyser et à comprendre les enjeux et les impacts de tels détournements sur la littérature elle-même, ce qu’ils provoquent dans le texte, que ce soit le mélange des genres, le brouillage du pacte fictionnel, ou encore la multiplication des voix narratives.

• Il s’agira ensuite de questionner la tâche de la littérature face à son environnement social et politique dans ce contexte de détournement. Ces diverses appropriations, mais aussi cette polyphonie et la multiplication des récits que le détournement peut causer a-t-il un effet, qu’il soit politique ou comique ?

• Qu’est-ce qui précède le détournement comme pratique et qui lui est similaire d’un point de vue littéraire ? Quelles en sont les pratiques contemporaines ? Quelles en sont les fonctions ? Qu’est-il possible de détourner en littérature et où se posent les limites éthiques d’une telle pratique ?

Angle 2 : Matière à détourner : la littérature et les autres arts 

• On questionnera l’état des matériaux détournés, et l’impact du procédé sur l’original. On se penchera également sur le processus même du détournement, sur son statut intermédial certes, mais pour aller au coeur même de cette coprésence des différentes formes artistiques, à savoir comment s’opère le transfert des médiums : réactualisation, restauration, destruction, etc. 

• Il sera alors possible de penser le détournement à l’époque contemporaine comme une technique propre à la postmodernité. Le postmoderne ne suggérait point un « come back » ou un « flash back », « c’est-à-dire [une] répétition », mais plutôt « un procès en « ana– », un procès d’analyse, d’anamnèse, d’anagogie, et d’anamorphose, qui élabore un « oubli initial » ».6 Le détournement, interprété selon les paramètres établis par le mouvement postmoderniste, met en valeur le recyclage, la re(dé)composition et la réapparition « de fictions anciennes ou oubliées ».7 Que cherche-t-on à détourner ? Comment et pourquoi procède-t-on à réparer cet « oubli initial » dans la littérature et l’art postmoderne ? Quelles littératures ou images sont réintégrées et pourquoi sont-elles pertinentes ? Quels vides veut-on ultimement combler ? Nous encourageons l’étude des techniques qui permettent ces effets de détournement, collage, montage, et autres emprunts des autres arts, permettant au détournement de se poser comme forme hybride. 

• On s’intéressera également aux communications qui explorent les thématiques recyclées, les oublis importants, l’infiltration des différents médiums et la pluralité, ou même la divergence, qui résulte du détournement. On se demandera d’ailleurs si cette hybridité relève réellement du postmoderne, quel est son rapport avec la modernité ou les autres mouvements littéraires et artistiques.

Angle 3 : Lieu du détournement

• On peut penser le détournement en l’envisageant non seulement comme une critique à l’égard de structures ou de systèmes existants, mais également comme promesse d’hétérotopies inédites en rupture avec le corps politique ou social. À quel point ce corps impose-t-il ses propres codes, ses propres contraintes, et comment penser la création d’espaces dissidents ? -->

--> Exils littéraires, physiques ou linguistiques, imposés ou volontaires ; refus d’obéir à la règle, volonté d’en pervertir le sens ou d’opérer sa mise à l’écart ; interrogation des frontières ou de la notion même de limite ; remise en cause de l’histoire telle qu’elle apparaît et de sa narration. Autant de détournements qui suggèrent la possibilité de géographies nouvelles s’inscrivant sur une carte aux contours indéfinis, lieux et non-lieux d’une revanche imaginaire sur le réel.

• Au sens propre, le détournement signifie « action de changer la direction initiale d’une voie » et par extension « action de tourner quelque chose dans une autre direction ». Se détourner c’est «s’écarter de la voie suivie ou à suivre». Le détournement peut donc aussi être démarcation, décentrement ou désaxement par rapport à la norme. Les manifestations linguistiques et littéraires de ce procédé s’observent par exemple dans les écritures dites « francophones », des écrivains antillais et africains, qui est un mélange décomplexé du français et des langues locales, obtenu à partir d’un système de créations langagières et esthétiques visant à désacraliser le français tout en affirmant la créolité et l’africanité des textes.

Angle 4 : La langue qui détourne : linguistique et techniques 

• On accueille aussi des propositions traitant des questions de détournement linguistique. On peut penser à certains mouvements littéraires qui détournent le sens même de l’écriture, comme l’Oulipo, ou à différentes figures de styles utilisées comme l’ironie, l’allégorie et la satire. 

• On s’intéresse également à la linguistique en tant que discipline et à ses différentes branches, en langue maternelle et en langue étrangère. On propose, entre autres, les sujets suivants : 

o Les effets de l’interférence L1/L2 qui mènent à la déformation/l’altération linguistique 

(p. ex., en syntaxe, prosodie, lexique) ; 

o Les emprunts détournés (lexicaux, morphosyntaxiques) ; 

o Le calembour, les jeux de mots et autres types de diversions linguistiques ; 

o La sémantique/pragmatique de la satire/du mensonge ; 

o Les stratégies d’évitement en L2.

Modalités de soumission 

Les propositions (350 mots maximum) peuvent être écrites en anglais ou en français, toutefois le sujet de la communication doit être en lien avec les études culturelles françaises et francophones. La date limite pour la réception des propositions est fixée au 15 janvier 2016 (adresse courriel : colloque.sesdef@utoronto.ca). Les avis du comité d’évaluation seront envoyés d’ici le 1er février 2016.

Bibliographie

Debord, Guy. OEuvres complètes, Paris, Gallimard, 2006. 
Duchamp, Marcel. Entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Allia, 2014.
Dupont, Nathalie et Trudel, Eric. Pratiques et enjeux du détournement dans le discours littéraire du XXe et XXIe siècle, Québec, Presses universitaires de l’Université du Québec, 2011.
Evans, David. Appropriation, Cambridge, London, The MIT Press, Whitechapel, 2009.
Lyotard, Jean-François. La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.

Notes

1. « L’étude du phénomène, à l’évidence, a été investie par les historiens d’art, mais quelque peu délaissée par les critiques littéraires. » (Dupont et Trudel, 2012, p. 4)
2. Duchamp, 2014, p. 51
3. “Guy Debord also cropped up frequently, with critics keen to note a precedent for the 1980’s appropriation in his ideas from the 1950’s about détournement : the hijacking of dominant words and images to create insubordinate, counter messages.” (Evans, 2009, p. 13)
4. Debord, 2006, p. 223
5. Dupont et Trudel, 2012, p.5
6. Lyotard, 1988, p. 126
​7. Dupont et Trudel, 2012, p. 3

 

*

Ethics of diversion. Materials, techniques, genres. 

The University of Toronto’s Société des études supérieures du Département d’Études françaises (SESDEF) has launched a call for papers for its annual student conference, welcoming student researchers from all disciplines. The conference will be held 15–16 April 2016 at the University of Toronto’s St. George campus in downtown Toronto. We will have the pleasure of welcoming author Tanguy Viel as a guest of honour, and a plenary conference will be given by Professor Sébastien Drouin.

Call for Papers

While appropriation of contemporary art takes its critical lexicon from Roland Barthes and Jean Baudrillard, it is difficult to find an equivalent equation in the literary domain. We might therefore consider another textual notion associated with appropriation, namely diversion. Nathalie Dupont and Eric Trudel argue that it is a under studied approach in literature.1 The definitions of the two concepts (appropriation and diversion) are very similar, it is only the medium that seems to dictate their usage.

If, as is the case with appropriation, diversion is used to reexamine modernity and postmodernity, we find that it is specifically designed as a two-step process. Firstly, as with Duchamp’s readymades,2 it consists of choosing the material to be diverted. If we consider Guy Debord as a key figure in diversion with the International Situationniste, as much from an artistic perspective3 as from a literary one, we recall that in Mode d’emploi du détournement, he insists on the necessary indifference in choosing what is to be diverted:

We must therefore develop a parodic-serious stage where the accumulation of diverted elements, far from wanting to arouse indignation or laughter by referring to the notion of an original work, but rather striking our indifference for a senseless and forgotten original, would work to make a sublimity.4 

The second step involves choosing the direction the diversion will take. If in literature we occasionally take part in homages, subversions, pastiches, or parodies,5 we must consider the possibility that the road is sometimes open to much more. At the time, Debord suggested developing diversion as a transitional strategy, without knowing what forms would come of it, in envisaging a ever expanding critical posture. If the radical scope of his ambitions were of an indisputable clarity, the techniques themselves were still underdeveloped.

Angle 1: Diversion as a literary task: Knowledge and challenges

• The first questions that this conference asks concern literature directly—how does it use diversion to appropriate knowledge that is not its own and make it its own. We are also interested in the analysis and comprehension of the issues and impacts of this diversion on the literature itself, and what it provokes within the text, whether a mix of genres, an interference of the fictional pact, or perhaps a multiplication of narrative voices.

• The next step is to question the task that literature takes on, considering its social and political environment within the context of diversion. Do the various appropriations, the polyphony and multiplied proliferations caused by diversion have an effect, be it political or comical?

• What precedes the practice of diversion and what is similar to it from a literary perspective? What are the current practices of diversion? What are its functions? What can be diverted in literature and where do the ethical boundaries of such a practice arise?

Angle 2: Material to be diverted: Literature and other art works 

• We will question the status of diverted works and the impact of this process on the original work. We will also consider the very process of diversion, certainly its intermedium status, but also the core of the coexistence of different art forms, to determine how the transfer of mediums operates: updating, restoration, destruction, etc. 

• It is then possible to think of modern diversion as a technique unique to postmodernity. Postmodernism does not suggest a “comeback” or “flashback,” “that is, [a] repetition,” but rather “a process of “ana”s: a process of analysis, anamnesis, anagoge and anamorphisis, which develops this “initial omission.” ” 6 Diversion, interpreted in accordance with the parameters set out by the postmodernist movement, values the recycling, re(de)composition, and reappearance of “ancient or forgotten texts.” 7 What is it we wish to divert? Why and how do we proceed in repairing this “initial omission” in literature and postmodern art? What literary works or images are reintegrated and why are they relevant? What lacunae do we ultimately want to fill? We encourage the study of techniques permitting diversionary effects, collages, montages, as well as other borrowings from other artworks, allowing diversion to present itself as a hybrid form. 

• We also welcome communications that explore recycled themes, important omissions, the infiltration of different mediums, and the plurality, or even the divergence, that results from diversion. We question, if this hybridity really is born from the postmodern, what is its relation with modernity or other literary or artistic movements.

Angle 3: Place of diversion: Positioning and politics

• We can consider diversion not only in envisaging it as a criticism of existing systems or structures, but also as a promise of unprecedented heterotopias breaking away from the political or social core. How far will this core go in imposing its own codes and constraints, and how might we consider the creation of dissident spaces? 

• Literary, physical or linguistic exiles, whether forced or voluntary; refusal to follow the rules, willingness to pervert the meaning or to distance oneself; pushing the limits and the very notion of ‘limits’; challenging the story and its narration as they unfold. So many diversions that invoke the possibility of new geographies on a map with undefined contours, places and non-places from an imaginary vengeance against reality. -->

--> Diversion is defined as the “act of changing one’s initial direction or path” and by extension, the “act of turning something in another direction.” To divert oneself is to “deviate from the chosen path.” Diversion can also therefore be a division, shift or misalignment from the norm. The linguistic and literary manifestations of this process can be seen for example in ‘Francophone’ writings from West Indies or African authors, an uninhibited mix of French and local languages, born from a system of linguistic and aesthetic creations in an attempt to desecrate the French language, while affirming the text’s Creolism or Africanism.

Angle 4: Language that diverts: Linguistics and techniques 

• We also welcome discussions centering on the issues of linguistic diversion. We might think of certain literary movements that change the very sense of the writing, such as Oulipo, as well as various literary styles including irony, allegory, and satire. 

• We are also interested in linguistic communications that consider the questions of linguistic diversion in the various branches of linguistics, in both L1 and L2. We propose, among others, the following subjects: 

o Effects of L1/L2 interference that cause linguistic deformation/change 

(e.g., in syntax, prosody, or the lexicon); 

o Misappropriated lexical or morphosyntactic borrowings; 

o Puns, plays on words and other types of ‘linguistic diversions’; 

o Semantics/pragmatics of satire/lies; 

o L2 avoidance strategies.

Submission Guidelines 

Abstracts (350 words max.) may be written in English or French, however, the subject of the presentation must focus on French/Francophone cultural studies. The deadline to submit is 15 January 2016. Propositions should be sent to colloque.sesdef@utoronto.ca. Notice of acceptance will be sent by 1 February 2016.

Bibliography

Debord, Guy. OEuvres complètes, Paris, Gallimard, 2006. 
Duchamp, Marcel. Entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Allia, 2014.
Dupont, Nathalie et Trudel, Eric. Pratiques et enjeux du détournement dans le discours littéraire du XXe et XXIe siècle, Québec, Presses universitaires de l’Université du Québec, 2011.
Evans, David. Appropriation, Cambridge, London, The MIT Press, Whitechapel, 2009.
Lyotard, Jean-François. La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.

Notes

1. « L’étude du phénomène, à l’évidence, a été investie par les historiens d’art, mais quelque peu délaissée par les critiques littéraires. » (Dupont and Trudel, 2012, p. 4)
2. Duchamp, 2014, p. 51
3. “Guy Debord also cropped up frequently, with critics keen to note a precedent for the 1980’s appropriation in his ideas from the 1950’s about détournement : the hijacking of dominant words and images to create insubordinate, counter messages.” (Evans, 2009, p. 13)
4. Debord, 2006, p. 223
5. Dupont and Trudel, 2012, p.5
6. Lyotard, 1988, p. 126
7. Dupont and Trudel, 2012, p. 3