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Appels à contributions
Esthétique du don

Esthétique du don

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Jacinto Lageira et Agnès Lontrade)

ESTHÉTIQUE DU DON

Appel à contribution

FIGURES DE L’ART n° 29

Inspiré des recherches de Marcel Mauss exposées dans Essai sur le don (1924) et de La Revue du M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales né en 1980 de la rencontre d’Alain Caillé et de Gerald Berthoud), ce numéro 29 de Figures de l’art portera sur les figures du don dans les domaines de l’art et de l’esthétique.

À l’encontre du consensus stipulant que toute relation humaine est nécessairement fondée dans l’utilitarisme, le M.A.U.S.S. montre l’insuffisance, voire la caducité, de cette définition univoque de la société (voir les introductions de Sylvain Dzimira et de David Graeber, site web de La Revue du M.A.U.S.S.). D’une part, l’anthropologie révèle, à l’instar des travaux de Marcel Mauss, que les sociétés archaïques sont plus enclines à créer des liens pacifiques entre personnes sur la base du don - dans la triple obligation de donner, recevoir et rendre -, que sur la base du troc, de la monnaie et du marché. D’autre part, il ne faut pas minorer, dans nos propres sociétés occidentales, la portée sociale et économique des phénomènes de générosité et de gratuité. En outre, le don s’inscrit dans un possible qui serait celui d’une société solidaire où l’accumulation des richesses et les intérêts personnels pourraient s’effacer au profit d’échanges refusant la réification, tant des personnes humaines que de leurs interactions. C’est aussi en ce sens qu’il faudrait considérer les « biens communs » comme la santé et l’éducation : comme des biens qui ont vocation à être donnés à tous, dans une gratuité non soumise à la concurrence du marché. En clair, le don serait un paradigme qui permettrait de comprendre autrement les affaires humaines.

Il ne s’agit pas pour autant de faire preuve d’angélisme : on sait bien que des intérêts sont à l’œuvre dans le don et que gratuité, pure générosité, sont des notions peu terrestres et idéales. Loin d’être considéré, comme a pu le faire Jacques Derrida, comme la figure même de « l’impossible » (Derrida considère que le don annihile tant le donateur que le donataire et exclut la réciprocité), ou, à l’inverse, d’être systématiquement soupçonné de calcul et d’intérêt (c’est ainsi par exemple que Pierre Bourdieu interprète le désintéressement du jugement esthétique kantien), le don devrait plutôt être considéré, à la suite de Mauss, dans son ambivalence humaine et sa spécificité.

Les recherches du M.A.U.S.S. relèvent à juste titre une caricature à laquelle certains contempteurs du don font appel : le don n’existe pas, le monde étant soumis au calcul et à la propriété, et c’est sur cette faillite que se fondent en partie les honneurs de l’art, un des rares domaines résistant aux intérêts, à la cupidité et à l’utilitarisme.

 

C’est ici que s’inscrira notre propre contribution à une recherche sur le don. À faire de l’art la contrepartie exacte du monde du travail et de l’économie, on inscrit effectivement ce dernier dans une situation autotélique source de nombreux malentendus concernant la place de l’artiste dans la société. L’artiste n’a en effet jamais été plus désintéressé, par une vertu esthétique magique, que le commun des mortels.

Est-ce à dire pour autant que don, gratuité, skholè, loisir et libre jeu soient de pures chimères ? Si l’art comme objet culturel est toujours le produit d’un système économique - avec ses intéressements consécutifs -, l’œuvre comme objet contemplatif et comme poïétique continue de faire appel à certaines valeurs du don.

« Sans don, il ne peut y avoir d’art » note Lewis Hyde dans The Gift. Imagination and the Erotic Life of Property (cité dans La société vue du don, Philippe Chanial (dir.), Paris, éd. La Découverte/M.A.U.S.S., 2008, p. 519). Ce qui plaide en faveur de l’œuvre d’art comme don ou de ce supplément d’âme qui distingue l’objet artistique de la marchandise, repose en réalité moins sur les notions de talent ou de don naturel que sur l’idée d’une valeur d’usage symbolique des œuvres d’art qui peut ou non, s’inscrire dans le circuit normal des transactions économiques.

Si nombre d’œuvres « ne valent rien » du point de vue de la cherté des matériaux, comme du point de vue de l’investissement en termes de travail de l’artiste – une pelle à neige, un urinoir, un porte-bouteille, pour prendre les exemples les plus célèbres de ready-made -, ce ne sont pas les intérêts liés à la valorisation matérielle et artisanale des œuvres d’art qui importent, mais ce qui est d’ordre immatériel et symbolique et qui ne peut être ni mesurable, ni quantifiable.

On pourrait placer dans cette catégorie, la relation intersubjective que l’œuvre instaure avec son regardeur, mais aussi la relation qu’elle instaure entre les regards et les réceptions. L’artiste donne au public, lequel reçoit et peut rendre à son tour en donnant son jugement, son appréciation (reconnaissance et réciprocité). Mais ces jugements, compris en termes de contre-dons et de libres obligations, peuvent eux-mêmes entrer en circulation et en confrontation, participant d’un espace critique et public.

 

Outre les affinités particulières du don et de l’esthétique que ce numéro de Figures de l’art souhaite interroger, il s’agira aussi de se tourner vers les pratiques artistiques elles-mêmes, dont certaines font explicitement référence au don : le bulletin d’information de l’Internationale lettriste Potlatch (1954-1957), Potlatch, dérives (2000) de la chorégraphe Mathilde Monnier, l’expérience du Théâtre permanent de Gwénaël Morin aux Laboratoires d’Aubervilliers (2009), notamment. Si le don n’est pas en soi de l’art, comment l’évoquer ou qu’est-ce qui permet de l’évoquer dans la singularité des pratiques artistiques ?

Ces différentes figures du don dans l’art et l’esthétique se veulent in fine une réflexion sur la création, laquelle pourraient être pensée, comme l’a fait Marcel Mauss à propos du don, comme une forme « hybride », source de réciprocité et de lien commun, mêlant désintéressement et intérêt, inutilité et utilité, liberté et obligation.

La proposition comportera un titre et un résumé de 3000 signes environ (espaces compris), accompagnés d'une courte biographie et d’une bibliographie concernant l’auteur.

Elle sera adressée par courrier électronique à Jacinto Lageira (jlageira@wanadoo.fr) et à Agnès Lontrade (Agnes.Lontrade@univ-paris1.fr) avant le 31 octobre 2013.

L'article (30000 signes environ, espaces et notes compris) précédé d'un petit résumé de 5-6 lignes, sera adressé à Jacinto Lageira et à Agnès Lontrade avant le 28 février 2014. Il sera également soumis à deux ou trois membres du comité de lecture de Figures de l'art. Celui-ci vous fera part de sa décision au plus vite.

Le texte définitif, accompagné d'un résumé (7 lignes maximum), sera envoyé par courrier électronique le 31 mars 2014 au plus tard à Jacinto Lageira (jlageira@wanadoo.fr) et à Agnès Lontrade (Agnes.Lontrade@univ-paris1.fr). Le texte pourra comporter 5 illustrations maximum, de bonne résolution JPG, légendées et numérotées dans un fichier à part. L'emplacement des illustrations sera indiqué en rouge dans le texte de cette manière : ILL 1 + légende. Les auteurs préciseront également à cette occasion l'adresse postale à laquelle ils souhaitent recevoir les épreuves à corriger.

Figures de l'art n° XXIX paraitra en octobre/novembre 2014.

Responsables du numéro :

Jacinto Lageira, Professeur d’esthétique et de philosophie de l’art, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Agnès Lontrade, Maître de conférences en esthétique et philosophie de l’art, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.