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Espaces de vie de l'artiste : les internements à l'oeuvre

Espaces de vie de l'artiste : les internements à l'oeuvre

« Espaces de viede l'artiste : les internements à l'oeuvre »

COLLOQUE DIJON-BESANCON(Labo EA 3224), 23-24 septembre 2011

Appel à Communications

Contact :Nella Arambasin

(Université de Franche-Comté, Faculté des Lettres, Littérature Comparée) arambasin.nella@orange.fr

Propositionsde communications (300 mots maximum) à envoyer par courrier électronique pourle 1er février 2011.

Dans uneperspective à la fois diachronique et éminemment actuelle, transdisciplinaire,internationale et interartistique, le projet du colloque s'articule autour descontraintes vécues par l'artiste en termes d'internement/enfermement, et des modalitésqu'il trouve pour y déployer une création.

Selonl'époque et le lieu, ces contraintes peuvent être soit subies (sous la pressiondes autoritarismes aux formes idéologiques et socioculturelles les plus diverses),soit recherchées (comme dans le cas d'Emily Dickinson ou d'Une chambre à soi deVirginia Woolf). Mais ce qui peut retenir l'attention, ce sont les manifestationsplus ou moins évidentes d'internements, celles qui demeurent implicites etmériteraient d'être repérées, telles les caméras de vidéosurveillance dansl'espace urbain dont les cinéastes et artistes plasticiens s'emparent aujourd'hui(La Zona, de Rodrigo Pla, 2008).

On peutensuite s'interroger sur les degrés de consentement à l'enfermement auxquelsune époque et une culture se plient ou s'ajustent, suivant ses manifestationsartistiques, mêmes anonymes. Il ne s'agit pas de réécrire une histoire desprisons, mais de trouver une correspondance expressive, artistique de latypologie cellulaire d'une époque et d'une culture donnée.

Ilfaudrait aussi se pencher sur ladétermination sexuée de l'internement, telle l'aliénation récurrente des femmesartistes plasticiennes en France (Camille Claudel, dont viennent deparaître des documents inédits, Leonora Carrington, Aloïse, Séraphine…) oul'enlisement de la condition féminine en Iran (A propos d'Elly de A. Farhadi, 2009). Parcomparaison avec Peter Caster, Prisons,Race and Masculinity in XXth c. USLiterature and Film, Columbus,2008.

Chaqueclôture édicte ses propres règles, ses codes, son langage. Cependant, si« le cadre laisse circuler l'énergie qu'il exacerbe sur seslimites », en retour « le travail sur le cadre ne vise [pas] à enabolir les limites », mais à « les déplacer, les replacer ou lesremplacer » (Yves-Charles Grandjeat Ed. Cadres et limites dans les sociétés, les littératures et les arts enAmérique du Nord, MSH Aquitaine, 2007). Tandis que ces procédures dedéplacement, replacement et remplacement peuvent être à leur tour analysées etcomparées selon les époques et les pays, il faut néanmoins mettre en évidence commentles oppositions binaires y sont radicalement questionnées, à savoir :

- visibilité/invisibilité(Nombreuses expositions de photographies, dont L'Enfer-me-ment, Charleroi, 2010 ou L'impossible photographie, prisons parisiennes (1851-2010), Paris,2010.

- mouvement/immobilité(Cf. Voyage immobile, pour reprendrele titre d'Isabelle Lepac sur les récits de femmes en prison ; notion musicalede « mouvement contraint »)

- vie/agonie(Séquestration ou soin ? demandeD. Friard au sujet de l'isolement en psychiatrie)

- centre/périphérie dansle contexte (post)colonial (les colonies perçues comme le « horschamps » des romans anglais du XIXe siècle par Edward Said dans Impérialisme et culture ; être« Etranger chez soi » dit Toni Morrison ; voir le manifeste deChamoiseau, Confiant et Bernabé, Eloge dela créolité paru en 1989 « Notre vérité s'est trouvée mise sousverrous […] Nous sommes fondamentalement frappés d'extériorité »)

- centre/périphériedans le contexte occidental, où « les territoires de la délinquance »pour reprendre l'expression de C. Goth, dessinent une Ethnologie de la vie quotidienne autant qu'une cartographie del'exclusion (celle des mendiants et vagabonds à travers le roman picaresquehier, celle des figures à la fois fuyantes et fermées des clandestins dans lecinéma aujourd'hui, Welcome de P.Lioret en 2009, Passeur d'espoir de B.Schmidt en 2006).

Suivant l'expression de G. Spivak, peut-on aller jusqu'aurenversement et parler d'une « marginalité du centre » ? L'exilest-il une de ses formes ?

- intérieur/extérieur(comme les Enfermés dehors d'AlbertDupontel en 2006, ou encore la ville aux 13 prisons du Colorado appelée PrisonValley, dont D. Dufresne et P. Brault proposent un « road movie » Webdocumentaire(Arte), là où sur ceux « qui vivent dehors, vivent dedans » (Libération, 22/4/2010).

Sans doute faut-il s'arrêter au caractère indécidable etparadoxal d'une spatialité dont un des marqueurs linguistiques est en anglais,remarque G. Spivak, « of » signifiant « hors de » et/ou« appartenant à », avant de l'étendre à une théorie de la littératureet de la culture : « Mais alors, où est l'intérieur ? Définir unintérieur est une décision […] et la méthode critique que je décris permet dequestionner les exclusions stratégiques éthico-politiques qui définissent à unmoment donné un ensemble donné de caractéristiques comme un ‘intérieur'. […afinde] briser ces distinctions, lesquelles ne le sont jamais posées une fois pourtoutes, et à interpréter activement‘l'intérieur' et ‘l'extérieur' comme des textes pour l'implication autant que pourle changement ». (En d'autresmondes, en d'autres mots, Payot, 2009, p.192).

Dans tousles cas, il s'agirait d'analyser l'internement « en interne »,c'est-à-dire avec ses propres ressources, ambivalences et modalités de passagevers des extérieurs définis comme tels, perçues dans la transgression (cf.YouriLotman) ou comme une traduction entre lieuxde la culture (cf.Bhabha) qui déjoue les identifications communautaires ;repérage des « lieux interstitiels » d'une fabrique de soi, oùl'identité se déprend d'elle-même pour devenir autre (en 2009 Un Prophète d'Audiard, Qu'un seul ne tienne et les autres suivrontde Léa Fehner, et en contre exemple Vincerede M. Bellochio).

Sifranchissement il y a, les limites génériques ne sauraient rester immuables oustables.

Lespratiques artistiques en condition d'internement méritent d'être interrogéespour rendre compte de la circulation des mots, des images et des sons, à lafois entre un ici et un ailleurs, mais aussi entre soi et autrui, le nous etles autres. A ces modalités de liaisons,les limites de chaque genre résistent-elles ou deviennent-elles poreuses entreelles ? L'art n'y est-il pas d'emblée une « performance », à lafois exploit et mise en scène, parole en acte ou acte sans paroles ? Quel rôle joue la fiction pour l'artiste ensituation, mais aussi quelle est son implication chez le spectateur (dans lecas des séries TV cultes, Le Prisonnier,Prison Break) ? A titreindicatif des pistes de recherche, voir :

- Expériences limites del'épistolaire : lettres d'exil, d'enfermement, de folie, André Magnan ed., Champion, 1993.

- LesFigures de l'enfermement (Sokourovcinéaste ou Manuel Puig écrivain, un genre pour la critique ? un Bildungsroman spécifiquepour Julio Miranda, Retrato del Artistaencarcelado ? Il est vrai que le nombre des écrivains incarcérés ouinternés légitime la recherche d'une catégorie générique (Cf. Villon, Casanova,Sade, Kleist, Wilde, Artaud, Genet, Gada, Levi, Havel…) et iconographique (le« Kriegsfibel Buch » Didi-Huberman).

- L'incarcérationcomme expérience poétique (Hikmet, Mandelstam).

- Lamétaphore carcérale : Captivé oucaptif ? (Dédeyan à propos deStendhal), mais aussi Prisons d'Amériquelatine ; du réel à la métaphore de l'enfermement, I.Tauzin-Castellanos, Université de Bordeaux, 2008, et Jacques Berchtold, Les Prisons du roman, Droz, 2000.

- Ateliersd'écriture en milieu carcéral (par Pierre Guyotat, Jacques Henric…).

- N. Kuziakina, Theatre in the Solovski Prison Camp, Routledge, 1995.

- Créer pour survivre, exposition et actes de colloque,Reims, 1995 et 1996.

- Des peintres au camp des Milles,1939-1941 (Bellmer, Ernst, Liebknecht), Actes Sud, 1997.

- G.Fackler, Des Lagers Stimme. Muzik im KZ,2000 et Y. Simon, Composer sous Vichy,2009.

- Etudierle déploiement particulièrement trans-générationnel et transculturel de lapratique philosophique (à partir des Cahiersde prison de Gramsci, se développent les Subaltern Studies via R. Guha etP. Chatterjee ; c'est également à partir des travaux de Foucault, deDeleuze et Guattari qu'en 1975, lors d'une conférence sur « Madness andprisons » organisée par Sylvère Lotringer à Columbia University, que la French Theory est entrée auxEtats-Unis)

Enfin, ils'agira d'être attentif à l'articulation entre micro et macro internements.

En 2008,lorsque Evelyne Grossman analyse L'Angoissede penser, elle spatialise d'emblée sa problématique en désignant ce« passage étroit » (angustus) par lequel l'être tente de « fuir »au dehors, alors même que le dehors menace « en ressac de s'engouffrer, dem'envahir ». Et l'envahissement, de psychologique renvoie à d'autresspatialités et historicités, celles que Ehrenberg n'hésite pas à nommer dans La Fatigue d'être soi :« l'émancipation de l'individu vis-à-vis de sa névrose est le fruit d'uncombat comparable aux luttes de libération que mènent les ouvriers, les femmesou les colonisés ». S'interroger sur cette comparaison, c'est nonseulement être réceptif à toutes les formes de colonisations psychiques, maisaussi les relier aux espaces de vie socioculturels.

Enanalysant les modes d'explorations artistiques des espacesfermés/condamnés/réduits, mais aussi interdits/cachés/inhibés, il sera sansdoute possible de comprendre comment se mettent en place des dispositifs de « déterritorialisation »esthétique ; ce travail pourrait mener vers une « géoesthétique del'artiste » (artiste reconnu/méconnu/anonyme/collectif) où ses habitationsvécues autant que rêvées, ses parcours corporels autant que psychiquesdessineraient la carte de sa résistance au réel.