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Equinoxes, no 10 (automne / hiver 2007-2008) - Errances

Equinoxes, no 10 (automne / hiver 2007-2008) - Errances

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la revue)

Equinoxes  is an electronic journal committed to academic excellence and creative scholarship published twice yearly by the graduate students of Brown University 's Department of French Studies in conjunction with its annual conference, a tradition since 1993. Intended as a forum for exchange among graduate students in French & Francophone Studies and related fields, Equinoxes publishes scholarly articles in both French and English, as well as book reviews, interviews, commentaries on the field, short fiction, poetry and translations. In the interest of promoting dialogue across periods and genres, each issue is designed around a proposed theme. However, the journal also maintains an "open" space for quality writing that falls under any of the above-mentioned categories, regardless of its subject.

No 10 (automne / hiver 2007-2008)

Allison Fong et Maria Moreno
Editorial
Acte et concept, l'on sait bien qu' « errance » indique « mouvement ». Toujours sommes-nous disposés, semble-t-il, à imaginer les nomades, les vagabonds, les exilés, les chevaliers, toute sorte de « voyageur à vie » effectuant un mouvement corporel, une traversée perpétuelle de l'espace géographique.  A toute époque, à l'ère biblique comme au XXIe siècle, la littérature témoigne de l'errant qui se déplace en zig-zag, par méandres ; qui tourne en rond, suit des détours ; qui trace les courbes d'une marche en spirale.  A la fois étranger et autochtone, l'errant se perd dans des rues urbaines, familières ; il parcourt de vastes terrains, habite l'océan.
(Extrait)

Allaedine Ben Abdallah
Énoncé de l'errance et errance de l'énonciation dans Harrouda de Tahar Ben Jelloun
Composée d'à peu près une trentaine de livres, l'imposante oeuvre de Tahar Ben Jelloun peut sembler, de prime abord, difficile d'accès vu la variété des sujets, des tons et des problématiques déployés. Comme la tâche à laquelle nous nous adonnons dans le présent article vise à déterminer les lieux de prise de parole afin de saisir la notion d'errance qui fait figure de choix rhétorique et existentiel perceptible dans plusieurs romans de Ben Jelloun, nous avons choisi d'examiner Harrouda, premier récit de l'écrivain et premier texte où la corrélation entre l'écrit et la déambulation géographique est marquée et marquante. Nous nous intéresserons à l'"architecture" du texte et à l'articulation entre les lieux, l'écrit et le discours. Cette façon d'aborder le texte permet de cerner la praxis de l'écrivain et les spécificités de ses prises de position, et de montrer de ce fait la contamination de l'énonciation par l'énoncé de l'errance.
(Extrait)

Sophie Lavigne
La migritude : une errance identitaire et littéraire ?
Depuis une dizaine d'années, l'émergence d'une littérature faite par des auteurs en situation d'immigration est de plus en plus importante. Les écrivains provenant de l'Afrique, appelés par Jacques Chevrier les "écrivains de la migritude" en écho aux écrivains de la négritude, ont même fait l'objet de plusieurs articles et chapitres de livre. Ce courant faisant suite au renouveau de Kourouma (Les soleils des Indépendances) et à l'écriture féminine, est caractérisé par le fait migratoire. Les écrivains africains francophones des années 2000 vivent à l'extérieur de leur propre continent. Ils ont fait le choix, à des degrés divers, de vivre en Europe ou en Amérique, et même s'il reste des écrivains africains, le lieu et les conditions dans lesquels ils vivent affectent directement leur discours qui se trouve décentré (Chevrier, «Afrique(s)-sur-Seine»). Ajoutons que Lila Azam Zanganeh, dans son article paru dans Le Monde, disait des écrivains de la migritude « ils ne craignent pas que leurs écrits soient jugés trop européo-centrés : de toute façon, ils ne sont pas lus dans leur propre pays ». Kossi Efoui, écrivain de ce courant, dira dans une entrevue avec Josiane Guéguen, que « l'Afrique est une fiction, une invention du regard de l'autre » (Afrology). À ce titre, pour Efoui, la littérature écrite en exil ne peut être qualifiée d'Africaine puisqu'elle tire ses racines loin du pays natal.
(Extrait)

Nataliya Lenina
De l'errance menant À Dieu : Le Soulier de satin de Paul Claudel au croisement de deux espaces
Ayant perdu le paradis, les êtres humains ressentent, comme le remarque judicieusement Suzanne Lilar, leur exil sur la terre. C'est justement l'insuffisance de la « nourriture terrestre », cet appel vers « l'Ailleurs » qui fait errer les hommes. À la recherche d'eux-mêmes, tantôt ils errent à l'image d'un éternel voyageur (erraticus = « vagabond »), du chevalier errant (errare, erratum, qui peut se traduire par « aller à l'aventure »), tantôt ils se trompent, s'éloignant du bon chemin (aberrare, aberratio, « diversion », et même « aberration »).1 Parfois cette « erreur » n'est qu'une « faute de frappe » facilement corrigible. Et c'est souvent grâce à elle qu'on retrouve la bonne voie, qu'on se retrouve soi-même, car différents sont les chemins menant vers Dieu. C'est le cas des personnages claudéliens du Soulier de satin, pièce où la repentance et l'amour rédempteur remplissent leur ultime fonction : se rapprocher de Dieu (notons, qu'à l'origine, le verbe grec « se repentir » signifie non seulement un « regret », un « manque » qui reflète le verbe latin paenitere, mais un changement d'esprit).
(Extrait)

Sirkka Remes
Tourner dans le cercle : l'errance du mystique dans un roman de Gilles Zenou
Errer dans une ville inconnue sans parents, sans travail, sans argent, sans objectif : c'est le point de départ du roman de Gilles Zenou, Le Livre des Cercles. L'errance de son héros, Raphaël Kadosh, prend des formes multiples. Il est à la fois un immigré nord-africain qui arrive à Paris, un jeune orphelin qui vient de perdre sa mère et un mystique qui erre dans un désert spirituel. Ces trois dimensions se mêlent dans une enquête sur l'origine : Raphaël veut savoir qui était son père. Je vais enquêter à mon tour sur cette recherche. Pour Gilles Zenou, le cadre d'un roman de formation ou d'un roman policier était prétexte à explorer des questions fondamentales : Pourquoi vivre ? Qu'est-ce que la mort ? Dieu existe-t-il ? ou encore : Qui suis-je ?
(Extrait)

Zahra Brimelli
Errer sans erreur: Colette et la quête d'une nouvelle identité féminine
Dans La Vagabonde (1910), à travers l'histoire d'une actrice divorcée, Colette (1873-1954) propose aux lecteurs une nouvelle figure féminine en formation. Renée Néré, l'héroïne de l'histoire, nous entraîne dans une vie d'errance et d'erreur, par laquelle elle aboutit à la redéfinition de son identité. Le titre de l'oeuvre, La Vagabonde, est à noter: à l'errance, à la tendance déambulatoire se lie, par l'ajout du signe du féminin « e », le corps féminin. Le vagabondage, normalement sans but, se transforme ainsi en une quête, un questionnement de ce corps féminin qui se transpose sans cesse en transgressant l'image traditionnelle de la femme au foyer.
(Extrait)

Katie Rose Hillegass
Libertinage et Digression : Errances voluptueuses dans le roman du XVIIIe siècle
Dans l'incipit du Neveu de Rameau, Diderot nous peint ainsi le célèbre tableau du "Moi" qui se livre aux dérives de sa pensée, en se reposant sur un banc public.  Le philosophe y savoure un état de volupté qui est voisin, selon sa comparaison, de celui des petits maîtres qui poursuivent leurs conquêtes dans les allées du Palais Royal, car il entame et délaisse ses sujets de réflexion avec le même empressement et détachement qu'un libertin séduit puis quitte ses maîtresses. Quel est ce libertinage d'idées situé à mi-chemin entre l'activité de l'esprit et les aventures du corps ?
(Extrait)

Claire Mazaleyrat
La spirale, figure de l'errance contemporaine
L'errance se caractérise au Moyen-âge par son double sens, de fourvoiement physique et intellectuel, voire moral : qui s'écarte du chemin, qui prend un sentier retors, de préférence forestier, encombré, est dans l'errance ; de même celui qui s'égare dans des pensées tortueuses, éloignées de l'orthodoxie morale, scientifique et religieuse. La ligne droite s'oppose manifestement à la ligne courbe, et il semble assez aisé de déterminer le droit chemin dans un tel contexte, quelque attirance que représentent les détours. Les labyrinthes figurés dans les églises d'alors représentent bien au sol ce parcours à la fois mystique et physique du pécheur égaré, qui cherche son chemin dans un univers confus et improbable. Qu'en reste-t-il à l'époque contemporaine, quelle recherche de sens peut encore subsister et comment se manifeste-t-elle à la fois physiquement et symboliquement ? Le parcours de l'errance se lit moins, semble-t-il, à travers le foisonnement des chemins possibles, que dans la ligne unique, dont on ne sait où elle conduit.1 Les figurations spatiales de l'errance se dématérialisent : Borges, auteur de l'errance, perd ses personnages dans d'insondables déserts sans lignes, sans tracés, sans direction : c'est le vide qui en vient à figurer l'errance dans notre monde contemporain, c'est-à-dire l'absence de sens. 2 La figuration géométrique correspond à cette représentation à la fois physique, concrète, pratique de l'espace et mouvante, abstraite, illisible sur le papier, parce que censée relier par des symboles universels l'espace réel du géomètre à l'espace figuré par le plan, elle semble le terrain propice à une remise en cause de cette adéquation des signes, de manière à égarer le lecteur. Deux romans attireront donc notre attention par leur traitement très moderne de l'errance : Rayuela, de Julio Cortázar, 3 La Vie mode d'emploi, de Georges Perec,4 sont des romans de l'errance : celle des personnages qui errent de chapitre en chapitre à la recherche d'un sens, et bien sûr celle des lecteurs que les narrateurs se plaisent à fourvoyer au gré d'une construction ludique du live.
(Extrait)

Norma Kjolbro
Le mythe de Caïn dans l'oeuvre romanesque de Sergio Kokis
L'oeuvre romanesque de Sergio Kokis est profondément lié au mythe biblique de Caïn. Il  correspond si bien au devenir du personnage que l'auteur même reconnaît que la portée symbolique du personnage biblique « continue à [le] hanter même après avoir servi de toile de fond à chacun de [ses] romans ».1 C'est qu'il est lui-même condamné à une destinée semblable à celle de Caïn : « Tu seras un errant parcourant la terre » (AL 140), un vrai fils de Caïn : « [J]e sais aujourd'hui que mon père a déposé le ferment du large et de l'insoumission dans mon esprit, justement par sa façon farfelue de ne pas se contenter du réel » (75). Dans l'oeuvre de Kokis, l'errance est partie intégrante de la quête humaine, elle motive le devenir de chaque individu, qu'il soit vagabond dans l'espace ou dans l'âme.
(Extrait)

Hervé Bonnet
L'errance de l'existence
Le motif de l'errance semble évoquer dès l'abord un mouvement libre, imprévu, fuyant et mettant par avance en échec tout ce qui tenterait de régler et de circonscrire l'espace de son jeu. Tenter d'en donner une signification unitaire tient de la gageure. Il semble que l'errance ne se peut annoncer qu'en ouvrant sur l'ailleurs et sur les lointains. Tâchons donc de voir s'il n'y a pas là, dans cette ouverture sur l'ailleurs et les lointains, l'esquisse ou la marque d'une référence centrale qui serait comme le point de fuite où convergent toutes les perspectives, autrement dit tous les motifs, de l'errance. Les deux grandes figures de l'errance sont, pour le monde occidental, le juif Abraham et le grec Ulysse. Or ce que nous pouvons retenir de ces deux figures, par delà leurs différences historiales essentielles, est l'élément commun de leurs errances. En effet, qu'il soit minéral (sable) ou liquide (eau) l'élément de l'errance est toujours un désert. Le désert est le « lieu » par excellence de l'errance. Dès lors, soit nous restreignons l'errance à un univers géographique bien particulier et, privant la plupart des hommes de cette expérience, nous la rendons du même coup contingente ; soit, puisqu'à l'évidence l'errance n'est pas réservée aux hommes du désert ou au navigateurs, il faut alors penser que notre monde est un désert, et pour ce faire appréhender de façon métaphorique ce dernier terme. La première alternative est absurde puisqu'elle détruit l'universalité même du phénomène de l'errance et va à l'encontre de ce dernier en le circonscrivant géographiquement. Reste la seconde alternative. Celle-ci n'est-elle pas plus absurde encore ? N'est-il pas absurde en effet de concevoir notre monde comme un désert ?
(Extrait)

Sylvène Guery
Rilke, La poésie comme seul bagage
Quand le voyage tourne à l'obsession, l'être devient monomaniaque, et sa quête devient source d'une errance forcée. L'écriture apparaît alors comme le seul ancrage possible dans le réel de l'être, le fixant à la fois dans le paysage et dans son temps. Aux prémisses de l'écriture de Rainer Maria Rilke, se trouvent le déracinement, et le déchirement d'une éducation trop stricte au pensionnat de l'Ecole Militaire de Saint-Polten. Cette expérience cruelle pour le jeune Rilke, fera de lui un homme qui, sous des aspects de dandy fragile, deviendra l'un des plus grands poètes de son temps. La cassure que marquée cette époque est véritablement une rupture sauvage avec le monde confiné et protecteur de l'enfance, mais aussi avec la figure de la maternité, que Rilke ne cessera de pourchasser tout au long de son existence.
(Extrait)

Lydie Rekow-Fond
Rekow Paul-Armand Gette en quête
Né en 1927, l'artiste français Paul-Armand Gette est un marginal, tant du point de vue de la pratique que de l'attitude de chercheur qu'il adopte. Sans cesse à l'affût de points de vue différents sur les objets, il s'intéresse à la multiplicité des moyens et des méthodes d'investigation (artistique et scientifique) qui conduisent à divers modes de représentation dont il laisse le champ libre à l'interprétation. Tour à tour et conjointement passionné de sciences et d'arts, l'artiste est curieux d'offrir à ses modèles vivants la liberté d'agir dans l'espace de son art ouvert à une grande variété de thèmes et où se jouent tous les enjeux de la représentation.
(Extrait)