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Entre meuble et flux humains : socio-po(ï)étique des espaces de transit

Entre meuble et flux humains : socio-po(ï)étique des espaces de transit

Publié le par Marc Escola (Source : HONNORAT)

Journée d’étude en Art et Design – LARA SEPPIA – Laboratoire de Recherche en Audiovisuel – Savoirs, Praxis et Poïétiques en Art (EA 4154) - 28 Janvier 2016, Université Toulouse Jean Jaurès, MDR.

Entre Meuble et Flux Humains : socio-po(ï)étique des espaces de transit

Avec la présence de l’artiste plasticien Jean-Christophe Nourisson autour de son installation mobilière in situD’une place à l’autre 10, parvis de l’UFR de Langues, Lettres et Civilisations Étrangères de l’Université Toulouse Jean Jaurès, 2012, 1% –

Responsables scientifiques : Julien Honnorat (Mcf Arts Plastiques), Lucie Ling (Ater. Docteur en Arts appliqués)

Des parvis et autres entrées de bâtiments aux architectures aéroportuaires, ferroviaires, maritimes et routières – où les espaces extérieurs et intérieurs d’embarquement (portiques, salles, quais, habitacles, barrières de péage, postes frontières, …) annoncent et donc atténuent imaginairement le danger véhiculaire de l’avion, du train, du bus, de la voiture, de l’autoroute –, les zones de transit font appartenir l’individu à une nécessaire structure métaphorique collective (metaphorá, en grec : le transport) et fonctionnelle. Elles rassurent et régulent en flux canalisables l’inertie d’un flot rythmique d’hommes (Archiloque/Héraclite). Pour autant, passant par une instauration relationnelle, l’instanciation architecturale et mobilière d’un mouvement d’individus qui réalisent de manière simultanée mais « co-isolée » (Slöterdijk, Baudelaire) un même projet de déplacement, se réduit-elle à une spatialité sociotechnique ?  

Pas pressés de l’homme préoccupé dans un métro-tube, errance du flâneur dans un duty-free entre deux escales, lecture-rêverie assis sur un banc entre deux marches, emprisonnement vestibulaire avant reconduite à la frontière, les espaces désignés du transit sont confrontés aux diverses manifestations psychomotrices que déclenche le sentiment nomade de l’abandon voulu ou subi d’un habiter momentané (lieux professionnels ou de vacances) dans l’attente d’en retrouver un autre (domicile fixe pour le sédentaire, pays d’origine pour le clandestin arrêté). Comment se manifesterait paradoxalement une pureté de présence dans un mouvement corporel en absentement – l’attente ? Au cœur de la synchronie entre le fonctionnement souvent automatisé de ces « non-lieux » (Augé) et celui des foules qui en usent, l’imprévision sensorimotrice relative à l’instauration individuée d’un langage collectif, matériel et corporel, du voyageur – discrète émergence d’un danser dans le marcher (Valéry) –, créerait une intrication de l’avoir-lieu poïétique et de la forme socio-poétique. Ce palimpseste « transpragmatique » (Genette) ramènerait alors la psychologie des foules (Le Bon) à un espace plastique ; telle la perception goethéenne de l’amphithéâtre comme forme standard mais néanmoins présence – Gegenwart – d’une foule d’individus qui ont pu chercher, avant l’existence de cette forme et au fur et à mesure que l’attroupement barrant la vue d’un spectacle de rue le nécessitait, à s’élever par l’entremise de tout type d’objets à portée de main et pouvant servir de promontoires improvisés. Il y aurait dans le flux humain, la poussée du caractère meuble d’un mécanisme collectif par quoi s’organise poétiquement la circulation monadologique d’un ensemble d’hommes. « Au lieu d'un grand discours sur la solidarité humaine, peut-être » vaudrait-il « mieux montrer un énorme tas de grains de sable identiques les uns aux autres » : cette analogie liebnizienne posée par Antoni Tàpies entre formation sédimentaire d’éléments corpusculaires non liés et solidarité relationnelle de la substance (Dewey) fait remonter la modélisation inter et intra (Beyaert-Geslin) du mobilier social dans la manière dont le flux humain meuble, en soi et entre les corps y participant, l’espace social d’une imagination « active » (Bachelard/Maffesoli).

La forme intervallaire du flux humain ne présente pas d’autres traces visibles que celles laissées par la durée de son apparition. Animée, indicielle et technique, cette durée s’exprime autant en un flot ininterrompu du moins répétitif de corps en mouvement que par l’usure du lieu emprunté ainsi que par la formation d’usages mobiliers résultant de cette répétition et visant à l’améliorer par observation de ses empreintes. Le coefficient d’imprévisibilité des « effluves qui circulent entre les personnes » (Michaux) repousse sans cesse la matérialisation des espaces de transit – transparence, modularité, … Mais, en même temps, le bon fonctionnement humain de leur efficacité économique contraint cette matérialisation à respecter des normes sociotechniques sécurisantes alliant circulation ergonomique et attente courtoise. Du coup, la relation entre meuble et flux humains renvoie à un problème socio-plastique d’adéquation entre la substance relationnelle et sa représentation proxémique (Edward T. Hall qualifie par ce dernier terme l’étude normative des distances sociales en milieu réel). Nombre de plasticiens interrogent le rôle socio-inductif de la modularité mobilière (Atelier Van Lieshout), l’alignement comportemental qu’elle implique (Andréa Zittel). Pris dans son programme de déplacement d’un lieu à un autre, l’individu projette dans l’alignement modulaire de la zone fonctionnelle du transit collectif le négatif fonctionnel (Leroi-Gourhan) d’un intervalle libre à travers lequel il expérimente différentes positions corporelles. Or, cet intervalle est bien souvent contrôlé : l’industrie du transport "sécurise"  le mouvement imaginant (Alain) et l’esthétique relationnelle (Bourriaud) d’usagers ainsi réduits à des « dividuels » (Deleuze). Sur la base fonctionnelle d’un nécessaire contrôle de la circulation des corps, comment la désignation topo(ï)étique (Guérin, Ferniot) des espaces de transit demeure-t-elle alors socio-créative ? En termes d’insertion hodologique (Bourdieu) de l’expérience ordinaire dans une machinerie modulaire transfigurant l’espace physique interhumain en sociogramme, la dimension design de la pratique usuelle du transiter (Tgv Tallon, bar d’hôtel de M. Crasset, boutique d’autoroute des agences Team Créatif et Market Value, …) a-t-elle valeur substantielle de théâtralité face à la géométrie aliénante du projet socioéconomique puisqu’alors qu’ils se croisent et se frôlent dans un même flux fonctionnel, les individus s’ignorent tels des « fantômes » (Michel Serres) au service du « grand automate » (Marx) ? Tout en structurant la communication intersubjective en autant de grilles (Krauss, Cassin), de « plateaux-couleurs » (Lecerf), de « phonèmes visuels » (Kelley) et de « phrasés » mobiliers (Bailly/Smithson/Smith), l’observation et l’exploitation esthétiques des « infra-gestes » (Orozco) que dissémine le corps dans les situations quotidiennes (Vitta) du transiter peuvent se faire à plusieurs niveaux :

- Niveau figural : plongé dans une instantanéité qui le rend spectateur de sa propre attente, le "transiteur" figure en même temps qu’il voit figurer les autres au sein des espaces de transit. En s’absentant dans l’usage de la scénographie perspective (Damisch, Fried) des espaces de transit, l’individu qui en devient alors un figurant, active le design de ces espaces en éléments de décor d’un théâtre sociologique.

- Niveau typologique : Si l’espace de transit est traversé par le flux du voyageur ou du futur « touriste », le flux est vécu avec plus de fixité par le pilote rejoignant son avion ou le vendeur de presse son poste de travail. Appliqués aux espaces de transit, des choix de revêtements et d’effets de surfaces peuvent-ils s’articuler avec la matière-couleur hasardeuse d’une formation humaine se faisant se rencontrer toutes sortes de vêtements et de peaux dans un espace en présence. Dans sa modélisation esthétique fonctionnelle d’un lieu pris entre confort et efficacité, contrôle et sécurité, absence et attente, le designer intègre-t-il cet aspect improvisé d’un flux d’usagers, pourtant dociles (codes vestimentaires et gestuels), à sa recherche poïétique de gammes graphiques, chromatiques, matériologiques ?

- Niveaux plastique et ergonomique : le contrôle matériel des flux humains peut être dépassé par une « fabrique du social » remplissant de poésie l’intervalle sociotechnique par quoi « les individus sont attachés en quelque sorte de l’extérieur » à des appareils « avec lesquels ils ne font pas corps » (Foucault). Tandis que le trafic humain est fluidifié par des normes sécurisantes (vidéo-surveillance, portail électromagnétique), sa topographie substantielle dit un étalement libidinal (Lyotard) qui réinscrit l’illusion du contrôle par la vitesse dans une habitabilité du présent (installations de J. Scher, le film Subway de L. Besson) : « que l’on se représente l’espace comme rempli d’une matière molle qui se durcirait une fois le mouvement accompli » résume Oskar Schlemmer. Pour Marc Dumont, « la fabrique de la distance » sociale présente « la forme d’une alternance entre stabilité et mobilité ». Si parce qu’en partie tactile, cette alternance sculpte le flux humain – « palper c’est déjà sculpter » dit Alain –, les formes plastiques de matérialisation du pro-jet innervent le design des espaces de transit. Dégradable, la « containerisation » (Mongin) du flux humain en banc, couloir, escalator, est naturellement en proie à son propre remodelage socio-plastique : point de « rencontre de l’intérieur et de l’extérieur » (A. Moles), l’accidentalité des surfaces percutées par les usages bouscule l’échelle perceptive de l’espace social du transit : techno-connectés et ubiquitaires, les déplacements sociaux n’en restent pas moins producteurs d’une micro-qualité manuelle (Branzi) patinant et "graffant" le mobilier urbain. L’échelle matériologique de la « trajection » (Berque) amène sur la piste d’une mécanique des fluides appliquée à une architecture « glocale » (Galland). Les traces substantielles du corps jouent-elle un rôle mécanique – en termes d’ergonomie, d’ingénierie et d’esthétique – dans la traçabilité de sa partance vers un ailleurs globalisé ?

- Niveau politique : « la surface du design » (Rancière) des espaces de transit sert à communiquer une force entre langage et pesanteur, image signalétique et présence physique. Cette force va du designer modelant formes, matières et couleurs d’agencements mobiliers aux usagers abîmant ou patinant à la longue cet environnement préconçu. La soumission artificielle des zones de transit à des normes hygiéniques de nettoyage relevant d’un flux efficace de circulation semble pourtant taire cette matière communicationnelle de la praxis. Fourmillement de cheveux dans un salon de coiffure en fin de journée, Yamakasis manipulant chorégraphiquement le mobilier urbain, barques en ruines de migrants, centres transitoires de rétention saturés de réfugiés, comment cerner cette substance sociale du transit autrement que par les filtres hygiéniques d’une impalpable errance dédoublée en prose langagière (ex. Baudelaire, Aragon, Benjamin au sujet des passages parisiens) ou en d’impeccables modules d’habitations surveillés par des « inspecteurs d’étages » (Le Corbusier) ? Dépassée par sa propre nature pathographique en ce qu’elle fait toujours acte de déposition en-deçà ou au-delà de sa modélisation en dess(e)in collectif, l’instauration socio-poïétique du flux humain trouve peut-être alors dans le recouvrement géopolitique des frontières naturelles (fleuve, montagne…) par le fait qu’elles sont empruntées (passages clandestins, murs de barbelés ou autres "designs" de site) un lieu éco-fictionnel.      

Contre L’écriture du désastre (Blanchot), la phrase mobilière interfacée, du moins usinée, de la ville connectée et mondialisée participe à un état lisse de "propreté phénoménologique" : le design des espaces technologiques de transit compose avec un flux humain accidenté qu’il re-produit et dont il a tendance à différer les projections physiques dans une « virtualité solide » (Gruet). Suréquipé de bornes aux surfaces tactiles automatisées augmentant l’inattention à la topographie commune créée par les traces corporelles qui se sédimentent pourtant sur toute la surface de ces bornes – traces échappant en partie au concept d’identité (le film Bienvenue à Gattaca d’A. Niccol) –, c’est du coup en creux, par marquage aveugle, que l’espace des "transiteurs" contemporains donnerait potentiellement en partage un autre réel social, post-artisanal et non dépossédé de ce qui, dans un milieu humain, reste infra-proxémique. Par une approche contextuelle de l’art (Ardenne) comme « fait social total » (Château), cette journée organisée autour de l’œuvre in situ d’un artiste invité (J-C. Nourisson) vise la transdisciplinarité : arts plastiques, design, ergonomie, philosophie, architecture, domotique, cinéma, sociologie, information-communication, géographie, physique, urbanisme, …  

Modalités de soumission

Les propositions de communications nous parviendront avant le 15 septembre 2015 sous la forme d’un texte d’environ 3000 signes (espaces compris), accompagné d’une courte biobibliographie de l’auteur. Les personnes retenues pour participer à la journée d’étude seront informées début octobre 2015. Chaque communication durera maximum 25 minutes, auxquelles s’ajouteront 10 à 15 minutes de débat avec le public. Les propositions sont à envoyer au format pdf à Julien Honnorat (julien.honnorat@univ-tlse2.fr) et Lucie Ling (l.colorling@gmail.com).