Questions de société

"Enseignants chercheurs non recensés comme grévistes ? Réponses de J.-L. Fournel (SLU) et de Mademoiselle de Chartres, princesse de Clèves.

Publié le par Marc Escola

Sur cette page:

- Enseignants chercheurs non recensés comme grévistes : les réponses de Jean-Louis Fournel, du collectif SLU.

- "Université et paiement des jours de grève : lerisque pour les examens ne vient pas d'où l'on croit", par Mademoisellede Chartres, princesse de Clèves, Chronique d'abonnés, Le Monde, 15/03/2009.

Enseignants chercheurs non recensés comme grévistes : les réponses de Jean-Louis Fournel, du collectif Sauvons l'Université

(Entretien paru sur "Interro ecrite", le blog de L. Cedelle, lemonde.fr: http://education.blog.lemonde.fr/)


Président du collectif Sauvons l'Université (SLU), au coeur de l'actuel mouvement des enseignants-chercheurs, Jean-Louis Fournel, professeur d'études italiennes à l'université Paris VIII, a accepté de répondre à nos questions sur le faible nombre de grévistes déclarés, selon les indications données par le ministère de l'enseignement supérieur. Jean-Louis Fournel répond à la fois sur le fond, invoquant les spécificités de ce mouvement, et sur l'impact possible de cette annonce sur l'opinion publique, dont il pense qu'elle ne sera « pas dupe de cette manoeuvre ».


Comment expliquez-vous qu'au bout d'un mois et demi de grève proclamée des enseignants chercheurs, qui sont au nombre de 57 000, le ministère de l'enseignement supérieur indique que seuls 150 à 300 d'entre eux sont enregistrés comme grévistes?

Jean-Louis Fournel.
D'abord, cela arrange, bien sûr, le gouvernement de publier ce genre de chiffres. Ces chiffres, rappelons-le, sont transmis par les présidents d'université. C'est à eux qu'il faudrait donc poser la question. Maints présidents d'université peuvent choisir pour manifester leur solidarité ou leur compréhension à l'égard du mouvement en cours de ne pas transmettre ce que le cabinet de la ministre leur demande à cet égard… Et d'autres, favorables à la politique du gouvernement, choisissent paradoxalement de ne pas transmettre les chiffres de grévistes afin de faire croire que chez eux personne ne conteste les réformes...Dans tous les cas, c'est à eux de vérifier que le service d'enseignement  - une seule de nos nombreuses tâches - n'est pas effectué.

Mais je vais quand même vous proposer une réponse d'un autre ordre : d'un point de vue légal et pratique, la grève est difficile à définir pour les enseignants-chercheurs. Non seulement il n'est absolument pas obligatoire de se déclarer gréviste tel ou tel jour pour les enseignants-chercheurs mais une telle déclaration n'est pas pertinente pour des personnes dont l'emploi du temps, pour ce qui est de l'enseignement, est annualisé (192 h équivalent TD par an). En fait, techniquement, la seule solution légale semble être pour les présidents d'université de faire vérifier  au terme de l'année écoulée si chacun a fait ou non son contingent d'heures précis. Par ailleurs, nous faisons un travail qui répond à des logiques complexes mêlant administration, enseignement et recherche. Or, nombre de collègues n'ont évidemment pas - pas encore - bloqué la vie quotidienne de leur université en cessant de répondre aux requêtes et aux exigences de l'administration et la plupart d'entre eux ne s'interdit évidemment pas de poursuivre son travail de recherche, même si le temps que la mobilisation nous prend rend les choses difficiles.

Les lecteurs doivent aussi savoir que dans la plupart des cas, les grèves dans les universités relèvent de « déplacement » plus que de « suppression » de cours puisqu'autant que faire se peut, nous remplaçons dès que possible les heures de cours qui n'ont pas eu lieu, comme ce fut le cas lors des grèves contre le CPE et contre la loi LRU. Enfin, cette grève est une « grève active » durant laquelle nombre d'entre nous continuent à voir leurs étudiants, à leur faire des cours alternatifs dans et hors les murs : l'université française ces dernières semaines était plus vivante que jamais. Une université n'est pas une usine, nous ne conduisons pas de trains, nous n'avons pas d'autre pouvoir de nuisance que de perturber le fonctionnement normal de l'institution, par exemple en continuant à transmettre des savoirs, mais des savoirs alternatifs adaptés à la situation. C'est notre mode de grève à nous, et il est vrai que celle-ci est difficilement quantifiable en heures non-travaillées. Comme vous le voyez il est absurde, illégitime, voire peu légal, de raisonner sur ce mouvement social-ci avec des critères qui relèvent de situations radicalement différentes…

Pensez-vous que le mouvement des enseignants chercheurs soit capable de résister à l'effet de cette annonce sur l'opinion publique?

Il semble que pour le gouvernement, la politique se résume à de la pure communication, à des manoeuvres de diversion et de division. Pourquoi attaquer précisément maintenant sur les modalités d'une grève, dont le ministère connaît très bien la spécificité ? Parce qu'il n'a pas de réponse sur le fond. Pourquoi proclamer la « politisation » du mouvement universitaire comme le font ces derniers jours différents députés de la majorité ? Parce que l'on ne veut pas répondre aux questions précises posées par ce mouvement depuis bientôt deux mois. Dans les deux cas ce qui se fait jour est une sorte d'appel à des réflexes un peu poujadistes  - l'attaque part du Figaro ce qui n'étonnera personne. Je ne crois pas que les Françaises et les Français seront dupes de cette manoeuvre. L'opinion comprend à mon avis de mieux en mieux que ce qui est en jeu dans cette affaire : le fait que l'on ne se focalise plus sur le seul projet de modification des statuts des enseignants-chercheurs est sur ce point important. C'est, d'un côté, la formation des jeunes gens dans les décennies à venir et, de l'autre, la nature de l'université et de la recherche qui sont au coeur de cette crise. L'irresponsabilité est du côté du gouvernement : elle est patente dès lors que l'on sait que ce conflit aurait pu être réglé avec un peu plus d'écoute dès le mois de janvier avant qu'il ne commence par le retrait des projets controversés et un vrai engagement sur les postes et sur l'arrêt du démantèlement des grands organismes de recherche. Elle est patente aussi quand le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant ose dire que la quasi-totalité des enseignants-chercheurs sont d'accord avec la nouvelle rédaction du décret sur leur statut, ce qui relève d'un pur et simple mensonge.

On a cédé en 24h aux chauffeurs de taxi il y a quelques mois parce qu'ils avaient bloqué Paris quelques heures et promettaient de recommencer : nous ne pouvons pas et ne voulons pas procéder de la même façon, l'opinion le sait. Nos façons d'agir et les modalités de notre mouvement sont bien différentes et ça aussi l'opinion le sait.  L'opinion publique sait aussi ce que prépare le projet de loi d'une centaine de députés UMP sur les « prêts étudiants ». Un tel projet jette une lumière crue sur l'acuité de la crise universitaire et sur ce que devrait être une des formes de financement majeure de l'université de demain aux yeux de la majorité en place : une augmentation massive des droits d'inscription comme cela a eu lieu en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie après des mesures du même type et/ou des lois d'autonomie financière des universités.

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- "Université et paiement des jours de grève : lerisque pour les examens ne vient pas d'où l'on croit", par Mademoisellede Chartres, princesse de Clèves, Chronique d'abonnés, Le Monde, 15/03/2009.

http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/03/16/universite-et-paiement-des-jours-de-greve-le-risque-pour-les-examens-ne-vient-pas-d-ou-l-on-croit_1168181_3232.html

La question du paiement des jours de grève des universitaires a toujours été complexe pour diverses raisons :

  • Les universitaires "doivent" 192heures équivalent TD de présence. Mais ce "forfait" inclut biend'autres choses que le simple "présentiel". Il inclut toutes les tâchesde préparation, d'organisation, de correction, de tenue de jurys (quisont nombreux et divers).
  • La manière dont cescours et travaux dirigés sont organisés est très souple. Pour milleraisons (absences médicales, pour congrès, etc.). Les universitairesont coutume de rattraper leurs absences médicales de courte durée s'ilsn'ont pas été remplacés, les jours fériés et même le 1er mai et lesjours de grève des transports, par exemple. En fait tout ce qui a poureffet de diminuer la durée du semestre.

Actuellement, soit parce qu'ils sont grévistes, soitparce que leur université est bloquée, soit parce qu'ils se plientdémocratiquement aux décisions des assemblées générales, nombred'universitaires n'assurent pas leurs cours et travaux dirigés. Maistous ou presque continuent à assurer un service minimum en conseillantdes lectures, en maintenant le suivi de stages, de travaux personnelset de mémoires de master, etc., soit par des rencontres "informelles",soit par Internet.Lorsque ces évènements prendront fin, ils vont prendre toutesdispositions pour rattraper les enseignements non délivrés, autant quefaire se pourra, pour que les sessions d'examen aient lieu dans desconditions correctes. Ils passeront peut-être des nuits pour corrigerles copies dans des délais plus courts.

Ceci n'a donc rien à voir avec une grève des transports publics, par exemple.

Cette situation paradoxale peut étonner. Elle existesimplement parce que le métier d'universitaire n'est vraiment pas commeles autres. Et c'est parce que ceux qui les gouvernent ne connaissentrien à ce métier qu'ils se sont mis à dos toute la communautéuniversitaire qui se sent injuriée et humiliée. Les ministres malconseillés peuvent persister en organisant des concertations croupionsqui ne serviront à rien. Les universitaires ne sont pas sots. Ils ne selaissent pas prendre. Et le mouvement enfle au lieu de diminuer.

On peut aussi tenter de les "vaincre" en attaquant leporte monnaie des grévistes... Qu'il faudra d'ailleurs chercher ettrouver. Simplement il faut savoir que dans ce cas, il n'y auravraisemblablement aucun rattrapage des cours et travaux dirigés manqués.

Ceci mettra donc alors véritablement en danger les sessions d'examen.