Questions de société

"Enseignant et désobéissant", par A. Refalo, enseignant du primaire en résistance (Libération, 02/09/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Enseignant et désobéissant, par Alain Refalo, enseignant du primaire en résistance (Libération, 2 septembre 2009)

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http://www.liberation.fr/societe/0101588351-enseignant-et-desobeissant

« La désobéissance n'est pas compatible avec les valeurs de l'éducation, avec l'idée que je me fais du métier d'enseignant », a déclaré récemment Luc Chatel. Cette déclaration, qui a l'apparence de l'évidence, mérite réflexion.

Certes, l'obéissance aux lois et aux règles qui fondent le droit etla justice est nécessaire dans toute société démocratique. Et nousavons à coeur, tout particulièrement à l'école primaire, d'élaborer avecnos élèves des lois et des règles, justes, équitables et utiles auvivre ensemble. Apprendre à nos élèves à les respecter s'inscrit dansun projet éducatif qui prend en compte la dimension relationnelleinhérente à toute situation d'enseignement. Mais vouloir « inculquer »l'obéissance, c'est rendre acceptable la soumission inconditionnelle,c'est inciter à renoncer à tout jugement personnel. Est-ce compatibleavec la formation d'individus responsables ? Nous ne le pensons pas.

Comment apprendre aux enfants à dire « non » lors de situations deracket, ou lorsqu'ils font face à des intentions malveillantesd'adultes, s'ils grandissent dans une culture de l'obéissance sansdiscernement ?

Il semble en réalité que M. Chatel confonde deux notions qu'ilconvient de distinguer : l'autorité, nécessaire à tout enseignement etl'autoritarisme, abus de pouvoir contraire au principe même del'éducation. A l'école, l'autorité éducative est fondée sur une paroleet une attitude du maître, respectueuses de l'élève, qui doiventnotamment lui faire comprendre le bien fondé de l'obéissance aux règlesde vie communes. Elle est une alternative à la permissivité et àl'autoritarisme. Cette autorité de l'adulte, nécessaire à lastructuration de la personnalité de l'enfant, ne saurait donc résulterd'un rapport de domination-soumission entre l'adulte et l'enfant, quiest la marque de l'autoritarisme. Le maître qui abuse du pouvoir quelui confère son statut utilise la contrainte pour obliger l'élève àobéir. Il fait le choix de la punition (du latin punire, « sevenger »), et non de la sanction éducative qui vise à responsabiliserl'enfant et lui permettre d'être accepté par le groupe.

C'est précisément cet abus qui est la marque de notre institutionaujourd'hui envers les enseignants du primaire qui contestent des« réformes » élaborées sans concertation et imposées à la hussarde. Cetautoritarisme suscite tantôt la soumission des enseignants, tantôt leurrévolte.

Notre résistance à des dispositifs pédagogiques néfastes, parfoisinapplicables et qui contribuent à déconstruire l'école publique, estobéissance aux principes d'égalité, de liberté et de fraternité quifondent la République. Elle s'appuie tout particulièrement sur laliberté pédagogique inscrite dans la loi. « Le professeur des écoles ne saurait être un simple exécutant »,est-il énoncé dans les nouveaux programmes. Si ces mots ont un sens, leministre doit faire respecter la loi et reconnaître que les enseignantsqui n'appliquent pas à la lettre certains dispositifs pédagogiques touten mettant en place des alternatives efficaces et reconnues sontparfaitement dans leur droit.

Nous rappellerons utilement que 70 % des enseignants du primaire nerespectent pas l'interdiction formelle de donner des devoirs écrits àla maison, interdiction martelée par une dizaine de circulaires depuisquarante ans. Désobéissance non revendiquée, mais tolérée parl'institution… Un élève du primaire ne serait-il pas en droit derefuser les devoirs écrits et de désobéir ? Devra-t-il être puni pourson refus d'obéissance ? Des règles justes, de la considération, voilàce qui suscitera « l'obéissance » des élèves. Les enseignants doiventêtre exemplaires sur ce point.

Et si M. Chatel souhaite que les enseignants obéissent, il doitsigner, en rupture avec son prédécesseur, des décrets et des arrêtésporteurs de progrès pour l'école publique. Car là où règnent la justiceet le respect, la désobéissance est sans objet, tant pour les adultesque pour les élèves.