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"En voiture !" – La voix du regard

Publié le par Hugues Marchal (Source : La Voix du regard)

« En voiture ! » (titre provisoire)

Le n° 19 de LA VOIX DU REGARD, revue littéraire sur les arts de l'image, portera sur la voiture.

DATE LIMITE D'ENVOI DES PROJETS : 15 octobre 2005
DATE LIMITE DE REMISE DES ARTICLES : 15 décembre 2005

Argument

Si la voiture a pu être, pour reprendre Roland Barthes, « une grande création d'époque, (…) consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle un objet magique », qu'en est-il aujourd'hui ? Ce numéro 19 de La Voix du Regard se propose d'examiner l'objet « voiture », au sein de nos sociétés, en tant que lieu de convergence des plus symptomatiques de nos rapports aux autres et à nous-mêmes, mais aussi en tant que révélateur d'une pensée singulière de l'espace, et plus généralement, d'un certain mode d'appréhension du monde.
A l'échelle individuelle d'abord, son habitacle se donne comme une sorte de micro théâtre de l'existence où s'intensifient et se déclinent les sentiments et comportements humains les plus variés. L'intérieur de la voiture, par son confinement même, se voit devenir l'espace privilégié de représentations multiples mettant en jeu corps et regard. Tableau de bord, volant, siège passager, banquette arrière…, tout est sujet à l'appropriation et au détournement, à l'image de cette Austin Mini intégralement investie par des artistes et devenue « vitrine ambulante » (exposition 619 KBB 75). Des photographies de Jean-Christian Bourcart où les visages, derrière la portière, semblent révéler une intimité inédite (série Trafic), au clip fortement connoté de Madonna (Music) en passant par l'émission télévisée La route, pour laquelle l'auto devient le "confessionnal" de ses invités vedettes, des films de Matthew Barney (Drawing Restraint 7, Cremaster 2 et sa voiture "boyau") jusqu'aux plus célèbres scènes cinématographiques (dans Pulsions de De Palma ou Pulp Fiction de Tarantino par exemple), l'habitacle se révèle être cet espace restreint offert à toutes les projections et introspections, des plus excentriques aux plus poétiques, des plus sensuelles aux plus brutales.

Qu'il s'agisse de la vie enclose de Taxi Driver, des scènes oppressantes de départ en vacances (Harry, un ami qui vous veut du bien), des querelles de couples ou des conversations entre bandits et/ou victimes, la voiture dessine un périmètre clos, un lieu d'enfermement, propice aux tensions, au suspense, à l'humour aussi. Espace fermé mais déambulant, souvent en marge des fonctionnements sociaux habituels, il peut donc être appréhendé comme élément d'un déplacement physique, social, temporel (Un monde parfait) où, pour reprendre Michel Foucault, il fonctionne en tant qu'hétérotopie. Dans la littérature des XIXe et XXe siècles, l'analyse de ses usages peut être élargie à des modes de transport proches, tels que les coches balzaciennes, les compartiments de train d'Agatha Christie ou Valery Larbaud, ou encore les diligences, lieux de sociabilité forcée ou recherchée permettant des rencontres entre classes séparées, et ouvrant la voie à l'intrigue, à l'aventure (Michel Strogoff), à l'intime (Madame Bovary)…
A l'inverse, concernant le cinéma par exemple, on peut resserrer l'attention sur certains de ses composants, comme le coffre, lieu du macchabée dans le cinéma policier (Scorcese), devenu métaphore du secret, du caché (Psychose), ou encore le rétroviseur, élément de mise en abîme du cadrage, zone privilégiée des échanges de regard, drainant toute une charge symbolique (Anna de Nikita Mikhalkov). Enfin, en tant qu'habitacle, le véhicule est ce lieu depuis lequel on regarde le monde ou ses images, à travers la fenêtre ou le pare-brise, ce qui met en évidence une sorte de correspondance entre la voiture et la machine cinématographique. Des cinéastes comme Kitano ou, plus systématiquement, Kiarostami, trouvent dans la figure de l'automobile en mouvement, selon Jacques Rancière, l'équivalence du dispositif d'enregistrement et du moteur fictionnel.
Tout aussi bien, la machine voiture dans son ensemble, du fait de sa technologie et de ses attributs techniques, peut être envisagée comme prolongement du corps, extension mécanique procurant à son occupant sentiment de reconnaissance, pouvoir et enivrement, mais aussi angoisse, sensation de perte, fantasme morbide. Symbole surexploité de la virilité et de la puissance que le succès des films Taxi 1 et 2 confirme, et dont la publicité reconduit bien souvent l'image caricaturale (mais pensons aussi aux séries télévisées de type K2000, aux scènes d'attaque de diligence ou de course-poursuite en tout genre jusqu'à la très high-tech batmobil, ou au prochain roman de M. Houellebecq), elle se révèle une source de fascination plus ambiguë à travers l'expérience du road-movie, de la course folle, de la fuite ou de la déambulation nocturne (Thelma et Louise, Beignets de tomates vertes, Western, Tueurs nés, Lost Highway, Collateral, etc.).
Instrument d'aventure et d'actions, elle transporte alors son conducteur vers un parcours plus intérieur, implacable et irréversible, de l'ordre de la rébellion, de l'échappée belle, du dépassement des limites. Le film Crash de David Cronenberg, ou des romans tels que ceux de Ballard et Fitzgerald, Le Surmâle de Jarry, ou l'ensemble des textes exploitant le thème de la course, soulignent sa prédisposition à incarner simultanément excitation et transgression, fascination et destruction. L'accident, réel ou fantasmé, provoqué ou fortuit, constitue un véritable point de convergence de l'intensité, en particulier dans la production cinématographique, pour laquelle il pourrait être fécond d'examiner les effets de dramatisation liés à la diversité des scènes de carambolages et de collisions. Comme en témoigne l'histoire d'hier et d'aujourd'hui (assassinat de Kennedy, voitures piégées, etc.), le kidnapping, le meurtre ou l'attentat constituent d'ailleurs les revers indissociables de cette machine dont la vitesse promet pourtant « un imaginaire sans fin » (Virilio), et à travers lequel artistes, écrivains ou cinéastes n'ont de cesse d'explorer et de distiller la violence.
Figée, la voiture peut signifier la réussite d'un voyage comme son enlisement (Bagdad café). En littérature, le motif de l'arrêt se donne comme condition du récit dans les romans du XVIIe et XVIIIe siècles, des Embarras de Paris (Boileau) à La Voiture embourbée (Marivaux) ; au cinéma, la bagnole arrêtée, face à la mer ou à la ville, dans des lieux déserts, ouvre à des moments de remise en cause, de questionnement du héros ; l'embouteillage, quant à lui, permet une libération de la parole, qu'elle soit de l'ordre de l'intime ou qu'elle soit l'expression d'une agressivité. Dans le champ lexical, elle s'accompagne d'ailleurs d'un large vocabulaire, technique, familier ou trivial, dont le large éventail et la richesse symbolique pourraient faire l'objet d'une étude spécifique.
Plus globalement, la voiture s'affirme comme lieu d'une appropriation individuelle, d'une identité à singulariser, dont le design industriel construit le langage commun. A travers ses formes, ses styles, ses couleurs et ses matières (voir le travail de l'artiste Patricia Piccinini), elle fonctionne comme signe distinctif répondant cependant à des critères esthétiques très codifiés. De fait, elle porte toujours les traces d'une origine culturelle : les Japonaises ne sont pas les Américaines, ni les Italiennes les Allemandes, et plaques, ornements et autocollants nous renseignent sur elle. La pratique du tuning relève notamment de cette propension à l'appropriation et à la distinction, tout en n'échappant pas nécessairement à une exacerbation des clichés. Limousine, jeep ou 2cv ont leurs mythes propres, et l'animal technologique est volontiers humanisé, pour le meilleur (La Coccinelle) ou pour le pire (Christine). En littérature l'auto ainsi entendue a permis de nouveaux types de récit et de nouvelles formes de perception. Elle joue un rôle clé dans des oeuvres phares de la modernité. Instrument de découverte de proximités insoupçonnées, elle est ainsi pour Proust une métaphore de la métaphore. Le futurisme (Marinetti, Balla, etc.) révère en elle un dispositif de transformation du monde, à travers la vitesse qui distord les paysages et les met eux aussi en mouvement, et sa représentation, pour cette raison peut-être (la roue n'est-elle pas une bobine ?) a en outre accompagné l'essor du dessin animé (Tex Avery). Dans le cinéma de Tati, la bagnole est symbole d'une modernité immaîtrisable à la fois angoissante et comique (Trafic, mais aussi Playtime, Mon Oncle). Dans le récent Tigre en papier d'Olivier Rolin, c'est le voyage en voiture qui devient métaphore de l'écriture, le roman étant presque entièrement constitué d'une conversation entre deux personnages roulant sur le périphérique. Kerouac, Nicolas Bouvier ou Chatwin en font un personnage des récits de voyage, tandis que la B.D., dans un registre très différent, lui fait également une place importante. De plus, en tant que support spécifique, elle génère au cinéma des figures proprement esthétiques (utilisation de lignes structurelles de l'habitacle ou du châssis pour construire le plan, jeux de reflets du pare-brise…).
Objet industriel, produit de masse ou de luxe soumis aux règles du marché (dont les événements type « salon de l'automobile », les revues et les émissions tv spécialisées manifestent l'engouement), la voiture se dévoile enfin comme lieu de tensions économiques et politiques, et ce à différents niveaux. Qu'il s'agisse de la Fat Car d'Erwin Wurm toute en rondeur ou de la Citroën "émincée" de Gabriel Orozco (DS), la voiture est pensée en tant que métaphore et objet de consommation (pop art), à la fois dans ses excès et ses dérives, en tant qu'objet de convoitise mais aussi déchet industriel, compressé (César), accidenté (Lavier), abandonné, mis à la casse. Mode majeur du déplacement urbain, elle soulève par ailleurs de véritables enjeux d'urbanisme et d'écologie comme le suggèrent notamment les politiques actuelles d'éviction de la voiture dans le centre des grandes villes, et auxquelles font écho, par exemple, les montages photographiques de Valérie Jouve saturant l'image de véhicules, ou encore les prototypes (Aérofiat) imaginés par l'artiste Alain Bublex, ancien designer industriel chez Renault. En outre, dans son rapport à l'urbanité, elle est à l'origine de nouveaux espaces, symboles de l'infrastructure moderne : échangeurs géants, autoroutes (Fellini Roma), aires de stationnement explorées par une partie de la fiction sociale contemporaine, feux de signalisation comparés par Aragon à de nouvelles idoles, texte-route chargé de signes et d'information, drive-in, etc. – de nombreux aménagements ne font sens que par et pour elle. Au sein de la cité, selon ses diverses « fonctions », elle renvoie tour à tour à l'accomplissement social (limousine, voiture de mariés…), à l'autorité (la voiture de police d'Alain Declercq, ou encore celle encombrée de gyrophares de Melik Ohanian), mais semble aussi transporter nos peurs les plus refoulées, à travers l'ambulance ou le corbillard (A tombeau ouvert, série tv Six feet under), ou mettre en circulation une part de nos modèles sociaux et de nos structures collectives et politiques les plus médiatisés (les voitures présidentielles, la papamobile…).
La voiture, à la fois objet social et consommable, surface et espace intérieur et extérieur de projections, mode de déplacement réel et/ou mental, sera ainsi considérée en tant que source privilégiée de création et de production d'images diversifiées, témoignant de son immersion dans le monde, et de sa capacité à en cristalliser les enjeux.


Informations pratiques

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