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Écriture féminine aux XXe et XXIe siècles, entre stéréotype et concept

Écriture féminine aux XXe et XXIe siècles, entre stéréotype et concept

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Chloé Chaudet)

Journée annuelle Doctorants et jeunes chercheurs de la SELF XX-XXI

Samedi 12 décembre 2015

 

Cette journée vise à esquisser les grands axes d’une histoire littéraire de l’« écriture féminine » aux xxe et xxie siècles. Comme Anne Simon l’a rappelé, « l’écriture dite féminine est un phénomène culturel et social diversifié selon les époques et les espaces, pas une donnée biologique – le mythe d’une écriture “humorale” des femmes a fait long feu, et a eu ses raisons d’être historiques dans les années soixante-dix[1] ». Partant de cette prémisse, nous souhaitons interroger la pertinence de la notion d’« écriture féminine » pour les travaux de jeunes chercheurs portant sur les xxe et xxie siècles. Dans le contexte de ces travaux, l’« écriture féminine » correspond-t-elle à un stéréotype, à un concept[2], ou se situe-t-elle quelque part entre ces deux pôles ? Si la mention de ces derniers constitue une allusion aux différences entre une Simone de Beauvoir « universaliste » et une Hélène Cixous « différentialiste », les termes d’un tel débat étaient en germe avant la vague féministe d’après-guerre[3] et connaissent actuellement des prolongements à explorer[4].

 

     À cet égard, notre appel encourage les études de cas s’étendant aux littératures française et francophone des xxe et xxie siècles. Ils pourraient ainsi se développer à partir de ces quelques pistes de réflexion, non exhaustives :

  • Écriture féminine et oralité : cette association correspond à un stéréotype essentialiste typiquement occidental. Celui-ci peut s’expliquer historiquement : comme l’ont analysé Christina Braun et Inge Stephan, « la femme » occidentale, dès l’apparition de l’alphabet grec, aurait été associée au corporel et au charnel, à la sexualité, à la mortalité, et à une langue orale parce que liée au corps[5]. Il en va autrement dans les cultures maghrébines, de l’Afrique ou des Caraïbes (cf. l’œuvre d’Assia Djebar, de Calixthe Beyala, de Simone Schwarz-Bart, etc.), où l’oralité est d’abord, indépendamment de toute problématique de genre, une forme fondamentale de la culture. Cette première association serait donc à explorer et à interroger.​

 

  • Écriture féminine et écriture de l’intime : une telle association a été également fréquente, notamment chez Simone de Beauvoir qui observe à la fin du Deuxième Sexe qu’« il est connu que la femme est bavarde et écrivassière ; elle s’épanche en conversations, en lettres, en journaux intimes. Il suffit qu’elle ait un peu d’ambition, la voilà rédigeant ses mémoires, transposant sa biographie en roman, exhalant ses sentiments dans des poèmes[6] ». S’il faut replacer l’observation de Beauvoir dans sa dénonciation générale de la situation des femmes, qui épuiseraient toute leur énergie à « lutter pour devenir un être humain[7] » aux dépens d’une création artistique de qualité, la sévérité de ce jugement n’en reste pas moins à nuancer. Car les rapports entre écriture féminine et écriture de l’intime peuvent notamment être explorés par rapport à la question de la portée socio-politique du texte littéraire. On pensera par exemple aux récits contenant des témoignages de (personnages de) femmes excisées, violentées, etc., reliant une intimité outragée à une collectivité qu’il s’agit de heurter et d’exhorter à l’action[8] : dans de tels textes, l’écriture de l’intime possède bien des implications politiques, au sens large du terme.

 

  • Écriture féminine et engagement : découlant des points précédents, cette association est également à explorer. Certes, la notion de « féminisme » a connu et connaît toujours un discrédit semblable à celui de la notion d’« engagement » : ce double discrédit est en grande partie lié à une acception trop schématique des deux notions. Mais au plan littéraire, les droits des femmes restent un thème rassembleur. La réception internationale de Foucault et d’autres théoriciens français associés au « poststructuralisme » – qui devait signifier la « fin » des catégories de réalité objective, de sujet et d’Histoire – n’a pu empêcher que « l’engagement » continue à être évoqué au sein des études littéraires féministes : à ce niveau, le refus d’une critique politique au sens restreint du terme n’a pas systématiquement mené à un refus de l’engagement[9]. Dans le contexte actuel de redéfinition de l’engagement littéraire dans une volonté – également transhistorique – de dépasser l’association du texte à une visée directement polémique et/ou militante, ne serait-il pas judicieux de substituer la notion d’« écriture féministe » à celle d’« écriture féminine », plus large peut-être ? Et à quelles conditions ?

 

     Les communications de trente minutes seront suivies de dix minutes de discussion. Les propositions de communication de 300 mots maximum, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Aude Leblond (audeleblond@gmail.com) et Chloé Chaudet (chloe_chaudet@yahoo.fr), avant le 31 mai 2015. Elles seront alors soumises au comité scientifique, et une réponse vous parviendra fin juin 2015.

     Il est par ailleurs prévu que la journée d’étude soit filmée puis consultable en ligne.

 

     Comité scientifique (outre organisatrices):

 

Anne-Emmanuelle Berger (Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis)

Nathalie Froloff (Université François Rabelais – Tours)

Audrey Lasserre (Université Paris 3 Sorbonne nouvelle)

Jean-Marc Moura (Université Paris Ouest Nanterre La Défense/Institut Universitaire de France)

Alain Schaffner (Université Paris 3 Sorbonne nouvelle)

 

[1] Alessandra Grossi, « Entretien avec Audrey Lasserre et Anne Simon », in Altre Modernità : Rivista di studi letterari e culturali, nº2, 2009, p. 297-306, p. 298.

[2] Hélène Cixous considère en 1975 dans La Jeune Née que l’oralité, le privilège du corps et la capacité de s’ouvrir à l’autre sont constitutives d’une « écriture féminine ». Voir également à ce sujet Merete Stistrup Jensen, « La notion de nature dans les théories de l’“écriture féminine” », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 11/2000 [En ligne], URL : http://clio.revues.org/218.

[3] Voir notamment, pour la période des avant-gardes, le Manifeste de la femme futuriste. Réponse à F. T. Marinetti de Valentine de Saint-Point (1912), qui se caractérise au moins partiellement par une dynamique universaliste. Du côté de l’autre « pôle », nous renvoyons entre autres à la synthèse de Béatrice Slama, « De la “littérature féminine” à “l’écrire-femme” : différence et institution », in Littérature, n°44 (« L’institution littéraire II »), 1981, p. 51-71 [Article également consultable en ligne, URL : /web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1981_num_44_4_1361].

[4] Voir par exemple Audrey Lasserre, « Les Héritières : les écrivaines d’aujourd’hui et les féminismes », in Les Entours de l'œuvre. La littérature contemporaine par elle-même, actes du colloque international sous la dir. de Mathilde Barraband et Jean-François Hamel, Université du Québec à Montréal, @nalyses [En ligne], mis à jour le 11/12/2010, URL : http://www.revue-analyses.org/index.php?id=1734.

[5] Christina von Braun/Inge Stephan (dir.), Gender Studien. Eine Einführung, Stuttgart, Metzler, 2006, p. 10 à 14.

[6] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], vol. 2,  Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1977, p. 466.

[7] Id., p. 480.

[8] Voir à ce sujet Chantal Zabus, Between Rites and Rights, Stanford, Stanford University Press, 2007.

[9] Voir Helmut Peitsch, « Engagement/Tendenz/Parteilichkeit », in Karlheinz Barck (dir.), Ästhetische Grundbegriffe, Stuttgart, Metzler, 2000, p. 178-223, p. 219-220.