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Écrire des récits de voyage (XVIe-XVIIIe siècles)

Écrire des récits de voyage (XVIe-XVIIIe siècles)

Publié le par Camille Esmein (Source : Catherine Broué)

Les 4, 5 et 6 mai 2006 — Université York, Toronto (Canada)

Écrire des récits de voyage (XVIe-XVIIIe siècles) :

esquisse d’une poétique en gestation

Depuis les grandes découvertes, le genre viatique, comme on l'appelle de plus en plus souvent, a connu, on le sait, une popularité grandissante auprès du public. Geoffroy Atkinson note au seizième siècle le « foisonnement des voyages » qu'il attribue à l'obligation des relationnaires de justifier l'échec de la politique coloniale française (1936). Cette progression s'accentue au fil des décennies au point où, à l'époque dite classique, les voyages imprimés envisagés comme les « Romans des honnêtes gens », selon la célèbre formule de Jean Chapelain (1663), en viennent peu à peu à concurrencer la fiction narrative dans la faveur populaire. Le goût des lecteurs pour les curiosités exotiques, la soif de dépaysement comme le caractère dramatique de certaines expéditions sont sans doute pour beaucoup dans cette reconnaissance littéraire. Toutefois, il ne faudrait pas négliger le plaisir que procure la lecture de ces odyssées en pays lointains. Qu'ils soient prêtres, marins, aventuriers, scientifiques ou diplomates, les auteurs de relations manient souvent mieux la plume que le gouvernail ou tout autre instrument. Certains piètres colonisateurs ou missionnaires de second ordre se révèlent même de bons prosateurs. Du reste, la virtuosité scripturale permet dans plus d'un cas d'atténuer, voire de faire oublier les insuccès d'une entreprise.
Mais il s'agira moins, en cette occasion, d'évaluer les enjeux d'un discours que de dégager les balises poétiques qui orientent cette narration discontinue ou fragmentée. Bien que la littérature géographique de contact suscite un regain d'intérêt de la part de la critique universitaire, les caractéristiques formelles de ce genre littéraire en constante évolution restent encore à approfondir. La réflexion générique que nous proposons à l'occasion de ce colloque s'articulera notamment autour des problématiques suivantes :

1. Le statut du narrateur Quelle perspective adopter ? Celle d'un témoin anonyme, ou celle d'un acteur de premier plan ? On note à ce sujet certaines hésitations de la part des relationnaires, au point où certains d'entre eux changent quelquefois de point de vue au cours de la narration. Tantôt le voyageur se confond à ses compagnons de voyage, se dissimulant sous un nous collectif ou un il impersonnel, tantôt il s'érige en principal protagoniste de l'aventure afin de mettre en relief ses décisions ou ses actes de bravoure. Ces fluctuations ne sont pas indifférentes : elles correspondent soit à une volonté d'autopromotion, soit au contraire au désir de passer sous silence une maladresse. L'implication du sujet varie considérablement d'un auteur à l'autre. Là où certains demeurent effacés, évitant toute appréciation subjective, d'autres versent dans la polémique et émaillent leurs énoncés d'une subjectivité multiforme.

2. L'ordonnancement de la matière Comment écrire une relation de voyage ? Faut-il suivre la chronologie événementielle ou effectuer des recoupements thématiques que l'on retrouve fréquemment dans les inventaires des us et coutumes ? Les voyageurs hésitent sur la méthode à adopter. On peut percevoir, en filigrane, leurs tâtonnements explicités tant dans la glose métadiscursive que dans le paratexte liminaire. En effet, le souci d'exhaustivité scientifique et le désir de brièveté qu'imposent les contraintes matérielles et l'impatience du lecteur semblent parfois difficilement conciliables.

3. Les modèles Les auteurs de relations de voyages ne sont pas, sauf exception, des écrivains de métier. Alléguant souvent leur inexpérience en ce domaine pour se faire pardonner leurs maladresses, les voyageurs se réclament d'auteurs ou d'ouvrages réputés dont ils disent avoir emprunté le canevas. Un examen des paradigmes intertextuels invoqués paraît dès lors s'imposer. Qu'il s'agisse de Pline, d'Hérodote, de Tacite ou d'autres sources autorisées de l'Antiquité, les multiples références savantes qui essaiment ces relations dissimulent parfois une quête de légitimité.

4. Du texte à l'image Comme la plupart des récits de voyages s'accompagnent de cartes et d'illustrations, quelquefois dessinées de la main de l'auteur, il importe d'étudier la relation qui s'établit entre les représentations scripturale et iconographique. Par exemple, la cartographie, souvent envisagée comme un complément essentiel de l'anecdote viatique, nourrit parfois de vives polémiques (qu'on se souvienne des critiques que Marc Lescarbot adresse à l'égard des esquisses de son rival Samuel de Champlain).

5. Les rapports intergénériques Les similitudes entre les relations de voyages et les autres genres tels le roman ou les cosmographies pourraient en elles-mêmes faire l'objet d'un colloque. Il semble en vérité difficile de traiter de la forme du récit de voyage sans tenir compte de la filiation que le discours viatique entretient avec d'autres formes littéraires établies, qu'il s'agisse du discours romanesque ou de la geste épique.

6. Les récits enchâssés Le « discours du voyageur », pour reprendre l'expression de Friedrich Wolfzettel (1996), inclut volontiers des histoires secondaires. On peut songer aux mésaventures de Nicolas Aubry racontées par Marc Lescarbot, aux contes des Saguenéens relatifs au Gougou colportés par Samuel de Champlain ou au séjour d'un capitaine micmac au Pays des Morts relaté par Chrestien Leclercq. Ces insertions narratives, souvent issues de témoignages de tiers, permettent en particulier de relever le récit dénué de faits marquants par l'inscription de merveilleux, sans que la cohérence du discours ni le crédit du narrateur en soient affectés.

7. Les ressources de la rhétorique Bien qu'ils soient des plus diversifiés, certains ressorts de la rhétorique, tels les comparaisons interethniques ou interculturelles, semblent quasi obligés en vue de rendre l'altérité intelligible au lecteur européen. D'autres, comme la prétérition et l'hyperbole, reviennent presque aussi fréquemment. L'art de l'éloquence, davantage qu'un moyen de séduire le lecteur, vise encore une fois, bien souvent, à masquer les échecs d'un projet.

8. Le dénouement C'est dans une perspective de propagande qu'il faut interpréter le dénouement de la plupart des relations de voyages de l'époque des grandes découvertes. Comment clore un récit d'expédition, si ce n'est en mettant en relief les faits et gestes des principaux acteurs ? Ainsi, à défaut d'avoir laissé derrière lui un établissement français prospère en Acadie, Marc Lescarbot conclut le quatrième livre de son expédition en évoquant les fruits que Poutrincourt récolta du jardin à Port-Royal, tandis que Leclercq et Sagard laissent le lecteur sur une scène d'adieux déchirante.

En somme, plus que sur les thèmes et le contenu des relations, ce sont les principes qui guident les auteurs dans leur transcription des événements ou leur inventaire ethnographique qui nous intéressent. Ce colloque a pour but de dégager les règles sous-jacentes à la mise en forme de l'aventure viatique. Bien qu'il résiste, de par sa diversité, à une théorisation rigoureuse, le compte rendu de voyage n'en laisse pas moins filtrer un protocole scriptural dont nous tenterons ici de retracer les grandes lignes.


Prière de soumettre votre proposition de communication en français ou en anglais avant le 1er mai 2005 à :

Marie-Christine Pioffet
Département d'études françaises
Faculté des lettres
Université York
N 707, Édifice Ross
4700, rue Keele
Toronto (Ontario)
CANADA
M3J 1P3
Courriel : mpioffet@yorku.ca

Catherine Broué
Département de Lettres
Université du Québec à Rimouski
300, allée des Ursulines
C. P. 3300
Rimouski (Québec)CANADA
G5L 3A1
Courriel : catherine_broue@uqar.qc.ca
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