Édition
Nouvelle parution
E. Jonquet, P. Mosconi (éd.), Épigraphes

E. Jonquet, P. Mosconi (éd.), Épigraphes

Publié le par Marc Escola

Épigraphes
Elsa Jonquet, Patrick Mosconi


Paru le : 19/05/2011
Editeur : Seuil
ISBN : 978-2-02-103852-1
EAN : 9782021038521
Nb. de pages : 134 pages

Prix éditeur : 14,50€


Un grand nombre d'ouvrages comportent des épigraphes, sentinelle souvent signifiante, toujours évocatrice, jamais innocente.

Là est la matière du présent opuscule. Choisie par un auteur, l'épigraphe révèle la première impression qu'il désire donner de son texte ; en cela elle est fondamentale. Les épigraphes sont souvent des bribes de romans, des aphorismes, des miettes de chansons… Cette mise en relief leur confère une valeur singulière et annonce un univers, qu'il soit romanesque, poétique, philosophique, politique ou autre…A peine survolée avant de se plonger dans l'ouvrage, l'épigraphe, trop vite oubliée, mérite un autre regard pour, au-delà sa valeur propre, nous éclairer et nous rappeler l'univers de l'oeuvre qui lui emboîte le pas.

La mise en page adoptée ici permet au lecteur de voyager entre les citations, les titres et leurs auteurs respectifs. Avant tout hommage à la littérature, ce livre est aussi une invitation à la promenade : une dérive à travers des univers balisés par des mots que des écrivains ont voulus comme étendards, des mots qu'ils ont empruntés à d'autres. Clin d'oeil au surréalisme, les épigraphes sont classées suivant les sensibilités de chaque lame du tarot de Marseille ; sans oublier que chaque arcane contient toutes les autres dans des proportions variables et dans un espace-temps mouvant.

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On peut lire sur le site BibliObs.com un article sur cet ouvrage:

"L'épigraphe est une invitation – la chose est connue. Doit-on pour autant l'honorer? «La mère en prescrira la lecture à sa fille», enjoint Sade en ouverture de «la Philosophie dans le boudoir». Il ne faut pas toujours obéir à l'épigraphe, même lorsqu'elle semble avoir une portée pédagogique. Offrez l'ouvrage à votre fille, voilà le genre d'enseignement qu'elle y trouvera:

«Ce sceptre de Vénus, que tu vois sous tes yeux, Eugénie, est le premier agent des plaisirs de l'amour, on le nomme membre par excellence: il n'est pas une seule partie du corps humain dans lequel il ne s'introduise ; (…) recherchant un temple plus mystérieux, c'est souvent ici (elle écarte ses fesses et montre le trou de son cul) que le libertin cherche à jouir: nous reviendrons sur cette jouissance la plus délicieuse de toutes.»

L'ouvrage d'Elsa Jonquet et Patrick Mosconi («Epigraphes», Seuil) se présente comme une compilation, classée par thématiques. Chaque partie répond à une lame du tarot de Marseille (le Bateleur, le Diable, le Fou…) L'idée de faire ainsi converser les oeuvres est excellente, mais le classement paraît arbitraire. Tant mieux. Le lecteur n'en établit ses propres correspondances que plus librement. Par exemple: en 1948, Ernesto Sabato écrivait, dans «le Tunnel»: «…en tous cas, il n'y avait qu'un tunnel, obscur et solitaire: le mien.» Comment ne pas penser aussitôt à Sade, et à la façon dont il aurait pu remédier à la solitude dudit tunnel?

Souvent, l'épigraphe est une citation. Louis Guilloux place ainsi «la Confrontation» (1967) sous le signe de Dostoïevski: «Montrez votre vrai visage, personne ne vous croira.» Mais on est toujours l'auteur de son épigraphe, même lorsqu'elle a été écrite par un autre. James Ellroy, avant de plonger dans «le Grand nulle part» (1989), extrait un mot de Conrad: «Il était écrit que je fusse loyal au cauchemar de mon choix.» Qui parle? Ellroy ou Conrad? L'épigraphe n'est pas un hommage. C'est un vol.

A moins de considérer qu'on n'est jamais mieux introduit que par soi-même. Antoine Blondin démarre «Monsieur Jadis ou l'école du soir», livre autofictif avant l'heure, par: «Ma vie est un roman». C'est une fausse citation. Il attribue la phrase à «Tout-Un-Chacun». Faisant mine de se moquer de tout le monde, il se moque de lui-même. Son épigraphe est un moment de lucidité, un dernier scrupule avant la route et les eaux troubles du narcissisme romanesque.

Céline aussi se donna une épigraphe: «Il me manque encore quelques haines. Je suis certain qu'elles existent.» Il publiait «Mea Culpa», son premier pamphlet, alors qu'il revenait d'URSS. C'était en 1936, il n'y était guère question des juifs. Un an plus tard parut «Bagatelles pour un massacre», dans lequel il était principalement question de juifs. L'épigraphe annonce quelque chose: comme nous l'expliquait récemment Henri Godard, biographe de l'écrivain, 1936 est une année charnière dans le développement de sa névrose antisémite.

Il peut aussi y avoir de la fraternité dans l'épigraphe. Des complicités s'y nouent, à travers le temps et l'espace. Henri Michaux cite Lao-Tseu dans «Un barbare en Asie», délicieux petit récit de voyage publié en 1933: «Gouvernez l'empire comme vous cuiriez un poisson». On ignore tout du contexte dans lequel Lao-Tseu a écrit cette phrase. Placée là, elle est étonnante: on dirait du Michaux.

On trouve un effet de ressemblance similaire dans «la Carte et le territoire», de Michel Houellebecq, dont l'épigraphe est: «Le monde est ennuyé de moy / Et moy pareillement de lui.» La phrase est de Charles d'Orléans, prince du XVème siècle. Les deux hommes ne sont pas si différents, même si la destinée de Houellebecq va moins puiser dans l'épopée médiévale. Charles d'Orléans fut capturé par les Anglais, et attendit vingt-cinq ans que quelqu'un paye sa rançon. Il profita de ces années pour composer son oeuvre poétique.

Houellebecq, lui, n'est captif de personne. Mais à voir l'ennui qui le saisit lorsqu'il fait la promotion de ses livres, on a parfois l'impression qu'il attend qu'on vienne le libérer. Cette épigraphe est un appel à l'aide. Dire qu'il s'est forcé à écrire tout un roman pour nous le faire parvenir." — David Caviglioli