Actualité
Appels à contributions
Du commun au réciproque. Correspondances et interférences des arts et de la littérature au Maroc (Rabat)

Du commun au réciproque. Correspondances et interférences des arts et de la littérature au Maroc (Rabat)

Publié le par Romain Bionda (Source : Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat)

Du commun au réciproque. Correspondances et interférences des arts et de la littérature au Maroc

 

Dates à retenir

- Date de la journée d’études : mercredi 7 décembre 2016.

- Délai de rigueur pour la soumission des propositions de communication (max. 250 mots) : 20 octobre 2016.

- Réponse des organisateurs : 10 novembre 2016.

- Envoi des textes : 31 décembre 2016.

- Publication : juillet 2017.

Contacts 

- E-mail : journeesparagonales@gmail.com

- Tél : 212 (0) 6 65 66 71 82.

 

Récemment remis au jour dans un essai de Pierre Sauvanet, Eléments d’esthétique, le terme « paragone » intègre le vocabulaire des Word and Image Studies pour nommer une attitude critique et perceptive qui choisit de considérer chaque art en regard des autres et tous les arts ensemble dans leur diversité et leur autonomie. Dans le passé, précisément dans les conceptions médiévales de l’art, le mot désigne une comparaison hiérarchisée des différentes formes d’activité artistique et de leurs rapports à l’Eglise. Depuis Leonard de Vinci, auteur d’un manuscrit intitulé Paragone, de nombreux philosophes, notamment au 18ème siècle, se sont préoccupés du parallèle et du classement des arts et de leurs réceptions sensorielle et intellectuelle, de Crousaz à Hegel, en passant par l’Abbé du Bos, l’Abbé Batteux et Lessing. Ces essais de distinction et de mise en rapport donnent le départ à une série de parallélismes qui, sans faire l’objet de publications isolées, évoluent insidieusement dans les textes des écrivains et des artistes eux-mêmes, notamment Diderot, Delacroix, Baudelaire, Tolstoï, Redon, Valéry, Rodin, Matisse, Garouste, etc. C’est vers la moitié du 20ème siècle qu’en France, l’étude des affinités et des divergences des arts s’impose comme une discipline scientifique autonome, avec l’essai d’Etienne Souriau intitulé La Correspondance des arts. Eléments d’esthétique comparée, qui, en redéfinissant les modes d’existence de l’œuvre d’art, propose des méthodes de confrontation d’objets et de démarches issus de plusieurs domaines artistiques. Relancée par les travaux de nombre de philosophes et de chercheurs en littérature et en sciences des arts (François Fosca, Louis Hautecœur,  Louis Marin, Hubert Damisch, Jean-Louis Schefer, Jean-Claude Lebensztejn, Roland Barthes, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Rensselear W. Lee et, plus récemment, Daniel Bergez et Bernard Vouilloux), nourrie des transformations que subit la création artistique et littéraire au contact des pratiques multimédia et annexant des notions comparatistes comme l’intertextualité, l’interartialité et l’interdiscursivité, l’esthétique comparée devient une branche de l’intermédialité, « discipline relativement jeune » dont l’objectif, selon le rapport 2013 de l’AILC[1], est « l’étude des relations entre des objets relevant de médias considérés traditionnellement comme distincts ». Comme le montre Bernard Vouilloux dans une récente étude justement intitulée « L’essor des études sur le texte et l’image », la réflexion scientifique et universitaire sur les rapports du lisible et du visible connait aujourd’hui un « très large développement », dû non seulement à sa vocation interdisciplinaire, mais aussi à cette croissance des centres d’intérêt et des attentes dont elle est gravide en permanence. Le plein épanouissement auquel aboutit la discipline fondée par Souriau en 1947 s’explique également par cette interpénétration éclatée dont font preuve actuellement les diverses formes de création artistique. L’ère contemporaine est de plus en plus marquée par cette tendance des arts à décloisonner leurs modus comme leurs propriétés ontologiques, à chercher dans leurs emprunts réciproques des possibilités sans cesse renouvelées de sens et d’effet. Selon Theodor Adorno, « les frontières entre les genres artistiques fluent les unes dans les autres, ou plus précisément: leurs lignes de démarcation s'effrangent ».

Aux chercheurs intéressés par les préoccupations communes aux lettres et aux arts et par leur fascination mutuelle, la production littéraire et artistique au Maroc offre une matière à la fois féconde et protéiforme. La littérature se trouve à l’origine de plusieurs expériences artistiques comme l’impact du cinéma et des arts visuels s’étend à tous les genres littéraires, donnant l’occasion à des interactions signifiantes qui s’effectuent en termes de collaboration, transposition, adaptation, référence, allusion, hommage, souvenir, etc. Des romanciers mettent en scène un peintre comme protagoniste ou développent des intrigues évoluant dans le domaine de l’art (Mohammed Berrada, Mohamed Zefzaf, Mahi Binebine, Miloudi Chaghmoum, Tahar Ben Jelloun…). Le roman en devient le support de réflexions esthétiques et d’une mise en fiction du quotidien de l’artiste et donne lieu à une narration qui s’exprime dans une « écriture picturale »[2] charriant les commentaires et les ekphrasis. Des poètes œuvrent constamment au contact de la peinture (Mohamed Loakira, Kamel Zebdi, Abdellatif Laâbi, Hassan Nejmi…). Référence tue ou avouée, la peinture s’offre à l’imagination poétique puis s’estompe au profit d’une confidence personnelle autonome. Quant au discours sur la création artistique, critique d’art, essai esthétique ou commentaire fictionnel, on s’accorde à considérer comme les plus pertinents et les plus édifiants des textes de romanciers et de poètes (Abdelkébir Khatibi, Edmond Amran El Maleh, Abdelhak Serhane…). Parallèlement, des artistes puisent des images dans la littérature, saisissant dans des récits et des poèmes une vision adaptable à l’exécution graphique ou picturale (Mohammed Kacimi s’inspire des Mille et une nuits, Mohamed Nabili des poèmes de Khaïr-Eddine, Fouad Bellamine des récits de Genet, Abdelaziz Mouride transpose en bande dessinée Le Pain nu de Choukri…). C’est plutôt dans l’art contemporain, envahi d’une incommensurable diversification des matériaux, que se multiplient les modes d’intégration du lisible au visible. Quand l’œuvre n’est pas d’inspiration littéraire, quand elle ne raconte pas un récit ni exige d’être lue dans la durée, ce sont les mots et les livres qui investissent le contenu de l’installation, de la vidéo, de la photo ou de la toile (Mohamed Rachdi crée des dispositifs artistiques à partir de la poésie de Qays ibn Al Mulawah, Mohssine Harraki monte des installations où des livres anonymes sont plongés dans l’eau , Mustapha Akrim accroche au mur des sculptures créées avec des mots, Lalla Essaydi expose des photos où les corps comme l’espace sont entièrement traversés de texte, Zakaria Ramhani compose des tableaux où la représentation des choses et de la figure humaine est façonnée non par des traits et des surfaces peintes mais par l’écriture…). Ces interférences artistiques marquent également la création cinématographique. En plus d’adaptations de romans (La Prière de l’Absent de Tahar Ben Jelloun par Hamid Bennani, Al Hay Al Khalfi de Mohamed Zefzaf par Farida Bourquia, L’Amante du rif de Noufissa Sbaï par Narjiss Nejjar, Les Etoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine par Nabil Ayouch…), des longs métrages, hommages à la littérature et à la peinture, retracent le parcours d’un écrivain ou d’un artiste (Mririda Naït Atiq dans Femme écrite de Lahcen Zinoun, Abdellatif Laâbi dans La Moitié du ciel d’Abdelkader Lagtaâ, Chaïbia Talal dans Chaïbia, la paysanne des arts de Youssef Britel…). Enfin, comme le rappelle Pierre Sauvanet, l’étude des confluences des arts trouve un objet d’exploration idéal dans l’œuvre du polyartiste (ou « transartiste »), qui, opérant dans plusieurs disciplines artistiques, « concentre en son être le paragone ». C’est le cas, au Maroc, de nombreux plasticiens et écrivains qui passent régulièrement d’un art à un autre et proposent ainsi de chercher les points de contact et de dissemblance des différents moyens d’expression qu’ils sollicitent (Mohammed Kacimi peintre et poète, Youssouf Amine Elalamy et Mahi Binebine écrivains et plasticiens, Ahmed Bouanani et Abdellah Taïa écrivains et cinéastes…).

Le Laboratoire Littérature, Art et Société compte organiser des rencontres biannuelles baptisées « Journées paragonales », consacrées aux relations intermédiales telles qu’elles se manifestent dans les différentes aires géographiques. La première envisage d’interroger des œuvres littéraires et artistiques relevant de la production marocaine. Si le corpus visé se limite à la littérature, aux arts visuels et au cinéma, ce n’est certainement pas parce que ces pratiques sont les plus imprégnées de paragone, mais  plutôt pour permettre à des rencontres ultérieures de mieux concentrer la réflexion sur  les autres arts (théâtre, danse, musique, arts du spectacle, arts populaires…). Cette première journée se veut l’inauguration d’un cycle continu, curieux de l’histoire des arts et attentif à leur évolution, destiné à explorer les interactions des arts au Maroc et dans le monde. Des chercheurs en littérature, en sciences de l’art, en sciences humaines et sociales et en études culturelles, les organisateurs souhaitent recevoir nombreuses des propositions de communication qui correspondent aux articulations non restrictives suivantes :

  • Typologie des rapports entre arts et littérature au Maroc : classements théoriques des convergences historiques, thématiques et esthétiques et des modes de transposition et d’emprunt.
  • Rapports interartistiques : mises en rapport d’œuvres littéraires et d’œuvres artistiques en fonction d’un thème (social, politique, philosophique, anthropologique, psychologique…) ou d’un procédé esthétique (style, manière, ton, rythme, composition…).
  • Rapports transartistiques : réflexions sur ce que devient un art dans un autre, sur les transformations que subit l’œuvre sous une (ou des) influence(s) hétéro-artistique(s).
  • Œuvres de polyartistes : études d’œuvres issues de la pratique polyvalente d’un auteur selon des préoccupations thématiques, esthétiques, psychologiques…

 

Youssef Wahboun

Laboratoire Littérature, Art et Société

 

[1] Association Internationale de Littérature Comparée.

[2]L’expression est empruntée à Daniel Bergez, qui distingue l’ « écriture picturale » de l’ « écriture du pictural ».