Questions de société
Droit de grève: mises au point

Droit de grève: mises au point

Publié le par Frédérique Fleck

A propos du droit de grève dans l'enseignement supérieur, par Marc César, Université Paris 13


Par ce point sur le droit de grève, je voudrais surtout insister sur le fait que si, bien entendu, chacun est libre de faire part de ses engagements, il n'y a aucune obligation à se déclarer gréviste à l'administration. Non-juriste, j'ai effectué cette mise au point que les juristes pourront bien sûr compléter.
Concernant les agents publics, le droit de grève leur a été juridiquement reconnu lors de l'adoption de la constitution du 27 octobre 1946 qui a posé le droit de grève comme étant un principe constitutionnel. Les rédacteurs du texte constitutionnel l'ont inscrit dans le préambule de la constitution de la IVè République en précisant toutefois qu'il s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
C'est ainsi que le statut de la police, des militaires, des magistrats interdit le droit de grève. Le préambule de la constitution de la Vè République intègre le préambule de la constitution de 1946.
La seule condition posée concernant le droit de grève dans la fonction publique est le dépôt d'un préavis de la part d'une organisation syndicale représentative au niveau national dans la catégorie professionnelle ou l'administration concernée. Il doit être remis à l'autorité hiérarchique au moins 5 jours francs avant le déclenchement de la grève et préciser clairement le lieu, la date et l'heure du début de la grève, sa durée envisagée et ses motifs. Dès lors qu'une organisation syndicale a publié un mot d'ordre de grève, soit national, soit au plan local ou académique, tout agent, adhérent ou non à cette organisation, titulaire ou non, est en droit de suivre ce mot d'ordre.
En revanche, aucune règlementation générale imposant une quelconque déclaration individuelle de l'agent n'existe dans la fonction publique. Le rôle de l'administration – donc du responsable de l'établissement – en cas de grève se limitant à constater, le jour de la grève, la situation, et à comptabiliser les grévistes.
Il existe toutefois des dérogations législatives à cette règle dans des domaines d'activité précisément définis que le pouvoir actuel tend à multiplier dans le cadre de législations relatives au service minimum.
Ainsi, dans l'enseignement primaire, il existe depuis peu une situation dérogatoire, suite à la loi du 20 août 2008 qui a instauré un service minimum d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires. En conséquence cette loi a prévu que les enseignants exerçant dans ces écoles doivent se déclarer grévistes 48H au moins avant la grève. Par ailleurs, depuis le décret d'application n° 2008-1246 du 1er déc 2008, est prévue - également dans le primaire - une négociation préalable au dépôt du préavis de grève (qui allonge sensiblement le dépôt du préavis pour nos collègues du premier degré).
De même, une  réglementation prévoyant une déclaration préalable individuelle de la part des agents souhaitant faire grève existe depuis la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007. Mais il convient de souligner que cette loi ne s'applique en aucun cas aux agents publics. Elle concerne exclusivement les personnels (de droit privé) des services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique. Toute autre interprétation de la part de l'administration serait contraire au principe constitutionnel.
Car ces dérogations sont bien entendu sans incidence sur le droit qui nous est applicable, puisqu'aucune dérogation au cadre général de la fonction publique n'existe dans l'enseignement supérieur, tout comme d'ailleurs dans l'enseignement secondaire. Cela confirme que nous ne sommes tenus à aucune obligation de déclaration préalable, mais doit néanmoins nous alerter quant à la multiplication des dérogations à l'exercice plein et entier du droit de grève par le pouvoir actuel. D'où une nécessaire vigilance !
Pour les agents publics de l'Etat, le rôle des responsables administratifs et les droits de chacun sont précisés par une circulaire du 30 juillet 2003 (JORF n°179 du 5 août 2003, page 13499). Il ressort de cette circulaire que l'administration procède au recensement des grévistes "dans la plus grande transparence" :
- information accessible pour que les personnels puissent vérifier individuellement leur inscription,
- que les personnels recensés à tort comme grévistes pourront apporter la preuve, par tous les moyens à leur disposition, qu'ils ont normalement accompli leur service pendant la durée de la grève (Conseil d'Etat, jurisprudence Kornprobst, 15-12-1967).
La grève  ne peut donc être évoquée  individuellement avec un agent qu'après la grève, à la seule initiative de l'agent et dans le seul cas d'une contestation de sa qualité de gréviste.
Le respect du principe ressortant non seulement de son existence mais aussi des conditions de sa mise en oeuvre, le législateur a veillé à garantir, dans les règles qui y président, à ce que chaque agent puisse être pleinement libre d'exercer ce droit.
Ainsi, les règles applicables à l'exercice du droit de grève, dans leur sagesse, entendent éviter aux agents d'avoir à se confronter à des relations personnalisées dans des conflits dont la nature est collective, et de leur permettre ainsi de pouvoir exercer pleinement un droit démocratique fondamental garanti à ce titre par la constitution et de leur garantir l'exercice de ce droit hors de toute pression explicite ou implicite émanant de leur hiérarchie.


Complément d'information, par Denis Roynard, PRAG et Pdt du SAGES, maître en droit

A ma connaissance (et je viens de procéder à des vérifications sur 
legifrance), il n'y a pas pour les établissements d'enseignement 
supérieur de loi analogue à la  LOI n° 2008-790 du 20 août 2008 
(instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et 
élémentaires pendant le temps scolaire) qui s'applique à nos personnels.


En conséquence :


- il n'y a pas d'obligation de se déclarer gréviste 48h à l'avance
.

- il n'y a pas non plus d'obligation à se déclarer gréviste, dans la 
mesure où des préavis ont été déposés par des organisations syndicales 
représentatives au niveau national
.

- c'est à l'administration de procéder au recensement des grévistes
.

Par ailleurs, les choses ne sont pas tout à fait les mêmes pour les 
personnels enseignants (chercheurs ou non) et les IATOS :


- les IATOS ont en principe une obligation de présence sur le lieu de 
travail, et l'absence du poste de travail peut en principe suffire à 
justifier la qualité de gréviste (hors cas de maladie, de rapt etc., 
évidemment)
.

- les enseignants ont une obligation de présence à leurs enseignements, 
aux réunions de jury et éventuellement à certaines réunions qui font 
partie intégrante de leur activité d'enseignement (n'en font pas partie 
des réunions "articificielles" ou "surabondantes") ; l'absence à ces 
enseignements ou réunions peut (sous les réserves mentionnées) 
constituer le fait justificatif d'une mise en grève
- les enseignants jouissent en revanche d'une indépendance dans 
l'exercice de leurs fonctions, et corrélativement d'une absence 
d'obligation d'être présents au sein de l'établissement ; l'absence de 
l'établissement ne suffit donc pas pour pouvoir caractériser la 
situation de gréviste, sauf si par ailleurs l'enseignant s'est déclaré 
gréviste (sans en avoir l'obligation, je le répète)
.

- les enseignants jouissent en outre de la liberté d'expression dans 
l'exercice de leurs fonctions, si bien que certaines attitudes, bien que 
manifestant un accord avec le mouvement de contestation, ne peuvent pas 
pour autant  être automatiquement interprétées comme un fait de grève
.

- des cours peuvent être déplacés (je ne développe pas), alors qu'il 
n'y a pas d'obligation de rattrapage pour les enseignements qui ont sauté 
pour fait de grève
Malgré ce qui est dit supra, les destinataires du présent message ont 
évidemment la faculté de se mettre en contact avec l'administration, 
mais pas l'obligation.


Il ne faut pas en vouloir à l'administration et aux personnels 
subordonnés d'inciter les personnels  à se déclarer gréviste, car ils 
sont soumis à la soumission hiérarchique, qui oblige à obéir même aux 
instructions entachées d'illégalité.
 Ce n'est que si l'ordre est manifestement illégal (ça doit sauter aux yeux 
de la personne la moins avertie) et que son exécution  risque de 
gravement compromettre un intérêt public que le fonctionnaire subordonné 
peut et doit même ne pas obéir (principe dit des "baïonettes 
intelligentes", qui s'applique même aux militaires donc, c'est dire que 
son domaine d'application est ample mais peu profond).


Complément d'information, par Frédéric Caupin, ENS

A l'occasion du mouvement de grève dans les universités commencé début 
2009, et couvert par un préavis national depuis plusieurs semaines, de 
nombreux établissements demandent à leur personnel de remplir des 
"déclarations de grève".



Une circulaire précise le cadre légal de cette procédure, & 
en particulier le point "1. La phase préparatoire à l'application de la retenue" 
(reproduite ci-dessous)

. C'est à l'administration de constater les grévistes.

La position des
 syndicats 
(mais pas toujours celle de l'administration) est de faire la 
constatation quotidiennement, et jamais de manière rétroactive.



Il faut donc éviter de répondre à des messages demandant d'indiquer les 
jours où on a été (ou on sera) gréviste. Chaque ministère doit "mettre 
en place un système de recensement des agents grévistes". "En l'absence 
d'autres moyens de contrôle", les chefs de service peuvent utiliser une 
liste d'émargement manuelle pour recenser les personnels non 
grévistes. Toutefois "il est souhaitable que ce recensement des agents 
grévistes se déroule dans la plus grande transparence possible 
(caractère accessible de l'information afin que les agents puissent être 
à même de vérifier individuellement leur éventuelle inscription)".



Enfin, il y a le problème du calcul de la durée de la grève. Une 
interprétation stricte de la circulaire conduit à ce que les personnels 
sont considérés comme grévistes sur la durée totale comprise entre le 
premier jour et le dernier jour où on a constaté la grève, même s'ils 
n'ont pas fait grève entre temps. Toutes ces journées sont alors 
décomptées du salaire (week-end compris !). Mais évidemment les 
syndicats contestent ce mode de décompte aberrant. Ils recommandent 
d'intervenir localement partout pour obtenir que le mode de calcul 
utilisé ne tienne pas compte de cette consigne.



Extrait de la Circulaire du 30 juillet 2003 relative à la mise en oeuvre 
des retenues sur la rémunération des agents publics de l'Etat en cas de 
grève

La phase préparatoire à l'application de la retenue

Il appartient à chaque ministère de mettre en place un système de 
recensement des agents grévistes afin que des retenues sur rémunération 
puissent être mises en oeuvre. A cet effet, je vous demande, lorsque des 
préavis de grève vous sont communiqués, de donner instruction à vos 
services d'établir la liste des agents ayant cessé le travail. Pour ce 
faire, vous procéderez par le moyen le plus approprié à votre 
département ministériel. Les chefs de service pourront, par exemple, 
procéder à ce recensement de la manière suivante :


- en l'absence d'autres moyens de contrôle, par l'établissement de 
listes d'émargement manuelles mises en circulation dans les services 
pour recueillir l'émargement des personnels non grévistes ;


- s'il existe des moyens automatiques d'enregistrement, par les relevés 
correspondants.


Les personnels qui estimeront avoir été recensés à tort comme grévistes 
pourront apporter la preuve, par tous moyens à leur disposition, qu'ils 
ont normalement accompli leur service pendant la durée de la grève (CE, 
15 décembre 1967, Kornprobst, Rec. CE, p. 503). 
Le recensement devra porter sur la totalité des agents exerçant leurs 
fonctions au sein du service au cours de la période considérée, quel que 
soit leur statut (par exemple, présence en administration centrale de 
personnels des services déconcentrés).
I l est souhaitable que ce recensement des agents grévistes se déroule 
dans la plus grande transparence possible (caractère accessible de 
l'information afin que les agents puissent être à même de vérifier 
individuellement leur éventuelle inscription) et que les mesures de 
communication relatives aux retenues sur rémunération soient réalisées.