Questions de société

"Disparition du DUT: non à la fin de l'ascenseur social", par Aude Strescuti, Collectif de profs en IUT (Rue89, 03/11/08).

Publié le par Marc Escola

"Disparition du DUT: non à la fin de l'ascenseur social"
Par Aude Strescuti | Collectif de profs en IUT | 03/11/2008 | 11H53

Ce texte nous a été [à Rue89] soumis par une internaute de Rue89, enseignante dans le supérieur. Il a été signé d'un pseudo collectif, Aude Strescuti, par plusieurs profs en IUT qui protestent contre "la disparition à court terme des IUT et des DUT" à cause du dispositif LRU. En contactant Rue89, cette internaute faisait valoir que le DUT est "l'un des derniers diplômes jouant un rôle d'ascenseur social, notamment en province et en banlieue".

Nous, acteurs de l'université dans sa composante IUT, appelons depuis longtemps de nos voeux à une réforme des universités. En fonction des choix politiques et sociaux imposés à l'état par son gouvernement, cette réforme aurait pu prendre de nombreuses formes. Celles prises aujourd'hui, en octobre 2008, sont celles d'un système concurrentiel, où la formation devient un bien marchand.

Qu'est-ce que cela signifie ? En règle général, dans un régime concurrentiel à vitesse de croisière, chaque université propose une offre de formations, variée ou centrée sur quelques compétences et peut avoir à se démarquer des autres (dans les grandes centres urbains à forte concurrence) ou à développer des formations d'appel (dans les petits centres).

Quels en sont les clients ? Les étudiants, et plus particulièrement les étrangers, ou les "hors territoire", qui pourront avoir à payer très cher le privilège de changer de région. Dans ce modèle, les diplômes sont des produits, conçus dans un contexte spatial (local, régional, international, etc.) et pour une clientèle à définir mais souvent captive: les départements universitaires sont des agences commerciales, les établissements, des sociétés.

Chaque société dispose de moyens différents, en fonction des investisseurs qu'elle attire, du secteur de marché qu'elle vise (les étudiants plus ou moins fortunés) et de sa performance globale. Scénario improbable? Non. Il s'agit là du dispositif que le ministère de l'Enseignement supérieur est en train de mettre en place au travers de la loi de responsabilisation des universités.

Disparités régionales et élite enseignante


Le ministère travaille d'arrache-pied à cette réforme, sur tous les fronts. Le nouveau système de comptabilité imposé aux établissements est un système de comptabilité privée (baptisé Sifac), qui utilise effectivement un vocabulaire d'entreprise, dans lequel le département est une agence commerciale… Les futurs personnels clés (DRH, managers d'université) sont convoqués pour formation en toute urgence. Les universités sont autorisées à développer des fondations et à faire appel à financement "privé", qui deviendra aussi "individuel" à court terme (droits d'inscription).

Les collectivités territoriales sont ou vont être sollicitées pour prendre des participations, sans doute de plus en plus fortes. Les enseignants-chercheurs se voient proposer des primes d'intéressement, qui sont un prélude à des rémunérations géographiquement disparates. A terme, les universités provinciales ou moyennes ne pourront plus se permettre "d'acheter" les meilleurs professeurs ou chercheurs (comme c'est le cas depuis longtemps aux Etats-Unis).

Parallèlement, la réforme pour être cohérente doit faire basculer tout le supérieur à l'intérieur de l'université: les IUFM y ont déjà été intégrés, sans que les contenus des nouvelles formations conçues par les universités n'aient vu le jour. Les Instituts d'Administration des Entreprises (IAE), qui attirent à eux de nombreux financements privés ne recevront plus du tout d'argent de l'Etat, les BTS, passés sous le contrôle du ministère de l'enseignement supérieur sont invités à se recentrer sur les bacheliers Pro ou à disparaître; les écoles d'ingénieur rattachées à une université réclament une autonomie complète…

Et les IUT voient eux leur autonomie plus que menacée. Cela faisait longtemps que l'Université pointait du doigt les IUT, supposés riches; il n'a pas fallu longtemps, quelques mois, quelques semaines mêmes pour que certaines universités s'emparent des ressources des IUT dans le cadre de leur future autonomie.

Quand Pécresse faisait la pub des IUT...


Pourtant, lors d'un discours le 27 août 2008, Valérie Pécresse avait dressé des IUT un tableau dithyrambique : pour la ministre, les IUT préfigurent l'excellence qu'elle attend des universités, sont un modèle de la réforme qu'elle souhaite. Elle a garanti que les IUT conserveraient un statut autonome et le droit de gérer leurs ressources. Les organisations des IUT, ADIUT (directeurs d'IUT) et UNPIUT (présidents d'IUT, représentants des entreprises) ont donc pris l'initiative d'un dialogue, avec le ministère puis avec les universités, au travers de la Conférence des Universités. Leur demande est simple : sans revenir sur l'esprit de la réforme, actée, il faut y faire des aménagements protégeant le fonctionnement des IUT.

Puisque selon la LRU l'Etat entre en contrat avec l'Université pour une période donnée, il faut que dans ce contrat l'IUT figure à part avec ses formations et ses ressources financières et humaines. L'Université s'engagerait ainsi, aux yeux de l'Etat, à donner à l'IUT les moyens prévus pour qu'il remplisse ses engagements, notamment pédagogiques. Cette contractualisation n'est pour l'instant pas imposée. Pourquoi ? Comment des établissements vont-il pouvoir fonctionner, investir et gérer leurs finances, sans garantie de reconduite de leur budget ? Les IUT ont des programmes nationaux fixes en heures et en contenu, programmes qui ont fait leur succès auprès des étudiants et des entreprises. Pourront-ils demain réaliser ces programmes ?

Non à l'évidence, en tous les cas pas partout. Quelle université en difficulté va s'abstenir de piocher là où elle le peut si elle ne se fixe pas des règles contractuelles ? Quelle université ne prendra pas à son IUT des personnels essentiels à son fonctionnement si aucune instance de surveillance publique ne la contrôle ? La situation deviendra donc profondément inégalitaire et dépendra de l'individualité et de l'intérêt particulier de chaque président et de chaque conseil d'administration. Techniquement, on pourra ne faire ici que 40% du programme national, là 80%, ailleurs, où l'université sera plus riche ou plus avisée, 100%.

Etudiants et employeurs y sont profondément attachés


Sans négociation rapide et fructueuse, c'est à la fin d'un diplôme national qu'on assiste, un diplôme auquel employeurs et étudiants sont profondément attachés, un diplôme que son caractère national, professionnel et intensif a érigé, avec les BTS, en ultime ascenseur social -et géographique. Dans le modèle qui se dessine, les jeunes de banlieue et des petites et moyennes villes de province n'auront certainement plus accès à la même formation, voire même à une formation tout court.

Est-ce là le but de la réforme? Peut-être, auquel cas le pays doit en prendre acte. Si ce ne l'est pas, un discours angélique ne suffira pas pour cadrer l'avenir. Quand la volonté politique y est, l'Etat, on vient de le montrer, est capable d'offrir de très sérieuses garanties. C'est ce que le système IUT attend aujourd'hui de lui, des garanties de bon gestionnaire: un contrat interne et un outil de contrôle. Sinon, l'autonomie complète."