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Die Rezeption des deutschen Mittelalters im heutigen Frankreich / La réception du Moyen Âge allemand dans la France d’aujourd’hui (Limoges)

Die Rezeption des deutschen Mittelalters im heutigen Frankreich / La réception du Moyen Âge allemand dans la France d’aujourd’hui (Limoges)

Publié le par Marc Escola (Source : Florent Gabaude)

Appel à communications / Call for papers

 

Die Rezeption des deutschen Mittelalters im heutigen Frankreich /

La réception du Moyen Âge allemand dans la France d’aujourd’hui.

Colloque international interdisciplinaire, 19-21 octobre 2016,

Equipe d’accueil Espaces Humains et Interactions Culturelles (EHIC)

 

Problématique

Dès le Moyen Âge, les deux aires linguistiques de la Romania et de la Teutonia ont représenté le fondement essentiel à partir duquel s’est élaborée et répandue la première littérature savante de rang et de format européens. La culture germanique antérieure aux humanistes allemands et à Luther est toutefois longtemps restée en France très largement une terra incognita. Seules quelques œuvres originales de la fin du Moyen Âge ont connu une réception durable – immédiate pour la Nef des fous de Sebastian Brant et différée d’un siècle pour le roman en prose Fortunatus ou l’Histoire de Till Ulespiegle dont le nom est devenu antonomase. La grande littérature médiévale allemande en revanche a plus intéressé les philologues que le grand public en ce qu’elle n’apparaissait que comme un miroir de la culture française du XIIe siècle. Quant aux mythes, contes et légendes germaniques du haut Moyen Âge, ou à l’art des maîtres chanteurs du Moyen Âge tardif, les Français n’en eurent qu’une réception médiatisée par le romantisme allemand des frères Grimm et de Wagner ou, dans une moindre mesure, de Hoffmann et de Heine.

On constate à partir XIXe siècle, à la faveur du romantisme, une influence mutuelle des réceptions nationales du Moyen Âge, comme en témoigne par exemple la lecture de Jeanne d’Arc par Schiller et Görres – notamment en réaction contre la parodie voltairienne –  qui a influencé en retour la réception de l’héroïne dans la France de la deuxième moitié du XIXe siècle. Aujourd’hui, on assiste à une véritable interpénétration des réceptions multiformes du Moyen Âge à l’échelle planétaire grâce aux médias audiovisuels et numériques. Comme le rappelle Jacques Le Goff, la perception populaire – et parfois savante – du Moyen Âge a été et est encore bipolaire, tantôt magnifiante, tantôt méprisante[1]. Cette attitude vaut aussi pour le Moyen Âge germanique. 

La mythologie germanique imprègne l'imaginaire français, au point que certains termes en sont passés dans le langage courant. Le vocable allemand Götterdämmerung s'utilise en  français, pour désigner une atmosphère apocalyptique de destruction générale. Delly, auteur de romans de gare, a intitulé l'une de ses œuvres, publiée en 1922 et marquée par une inspiration très anti-allemande : La Fin d'une walkyrie. Cette dernière appellation revêt en français une connotation péjorative qu'elle n'a pas en allemand, et renvoie à une féminité agressive et dominatrice. Ce n'est pas non plus un hasard si Delly a appelé son héroïne Brunhilde. Ainsi le passage d'une nation à l'autre peut entraîner des relectures partielles et partiales de la mythologie, des glissements sémantiques dus à l'image distordue du peuple voisin, qu'engendrent les confrontations armées.

À l'heure actuelle, portée par la vogue du fantastique, en particulier dans les créations pour la jeunesse, mais aussi par des études savantes d'universitaires comme celles de Claude Lecouteux ou de Régis Boyer, la mythologie germanique jouit d'un regain de prédilection. Cette nouvelle tendance se manifeste particulièrement dans les productions populaires françaises. On constate que La Chanson des Nibelungen a été reprise et transposée par Alex Alice sous forme de bandes dessinées (Siegfried en 2007, La Walkyrie en 2009, Le Crépuscule des Dieux en 2011). Le romancier Edouard Brasey également exploite cette veine avec sa série de quatre tomes, intitulée La Malédiction de l'Anneau, publiée à partir de 2008, œuvre à destination du grand public, dans laquelle il se donne pour objet de populariser les vieilles sagas nordiques, maintenant que l'époque est révolue où elles étaient tenues en suspicion à cause de leur « manipulation tendancieuse […] par certains chantres de l'hégémonisme germanique »[2].

En fait, ces sagas ont toujours suscité de l'intérêt, que ce soit de la part des amis ou des ennemis de l'Allemagne, que ce soit pour être glorifiées ou dénigrées. Ce n'est pas un hasard si Jean Giraudoux a appelé son héros Siegfried dans son célèbre roman Siegfried et le Limousin qui, publié en 1922, milite en faveur d'une réconciliation franco-allemande à travers un personnage de français amnésique, vivant sous une identité allemande. Puis, de 1939 à 1944, la connaissance du passé moyenâgeux de l'occupant a été, par la force des choses, mise à l'ordre du jour, et l'on constate que La Chanson des Nibelungen a fait l'objet en 1944 de deux traductions, d'une part, celle de Maurice Colleville et de Pierre Tonnelat, d'autre part, celle de Maurice Betz[3]. Aujourd’hui, c’est à la médiation grand public de Tolkien que l’on doit une certaine sensibilisation du lectorat français à la « matière germanique » des Nibelungen, avec laquelle l’œuvre Le Seigneur des Anneaux présente quelques similitudes.

Cependant, après la défaite allemande de 1945, la mythologie germanique ne sombre pas dans l'oubli. Grâce à son caractère intemporel, qui semble transcender tous les clivages, elle est de nouveau mise au service d'une volonté de rapprochement franco-allemand. C'est le cas du roman Lorelei de Maurice Genevoix, qui, publié en 1978, a connu une adaptation filmée en 1980, et raconte l'histoire d'une amitié plus ou moins homosexuelle entre un jeune Français et un jeune Allemand, au bord du Rhin. C'est pourquoi également certains manuels scolaires français d'apprentissage de l'allemand en premier cycle, entre autres, ceux de Bodevin et Isler ou de Spaeth et Réal, se sont massivement tournés dans les années soixante vers l'évocation du Moyen Âge allemand non seulement à travers des figures célèbres, comme celles des empereurs Charlemagne et Frédéric Barberousse, ou de Guillaume Tell, mais encore à travers des légendes connues (Le joueur de flûte de Hamelin, Les musiciens de Brême, Hansel et Gretel, La légende de Vineta, Lohengrin, Till l’Espiègle, Faust, etc.). Tout en exploitant une matière qu'ils pensaient parfaitement bien adaptée à des mentalités enfantines, ces manuels visaient également à faire connaître à leur public scolaire une Allemagne éternelle, située au-dessus des conflits politiques.

Cependant, l'exaltation de la mythologie germanique n'est pas toujours anodine, comme le souligne Edouard Brasey, et a fourni à certains écrivains français d'extrême-droite un prétexte pour nourrir leur nostalgie, tels Marc Augier[4], Jean Mabire avec des ouvrages comme Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens (1978) ou Les légendes de la mythologie nordique (1995) ou encore Les Jeunes Fauves du Führer, la Division SS Hitlerjugend dans la bataille de Normandie (1976), livre dans lequel il présente les combattants hitlériens comme « les fils des vieux guerriers germaniques surgis des glaces et des forêts ».

Ainsi les évocations françaises du Moyen Âge allemand oscillent-elles souvent entre fascination ambiguë pour une idéologie de la force et refus d'une germanité guerrière et menaçante, ou encore entre désir d'un retour vers un Âge d'or enchanté et méfiance à l'encontre des sortilèges germaniques, bref entre admiration et mise en garde. Objets de réalisations artistiques diverses, de productions populaires comme d'études érudites, elles pénètrent tous les domaines, ceux de la littérature, de la peinture, de la sculpture, de la musique, de la bande dessinée, du film, mais aussi de la recherche, et se nourrissent tantôt de clichés qu'il convient d'identifier, de démonter, voire de dénoncer, tantôt d'une réelle compréhension d'un patrimoine historique et mythique universel qu'elles contribuent à valoriser et à propager.

 

Pistes de réflexion

La thématique de recherche que, par calque de l’anglo-américain medievalism, on désigne désormais en France sous le nom de « médiévalisme », quoique relativement récente[5], a néanmoins déjà donné lieu à une bibliographie abondante recensée par le comparatiste Vincent Ferré[6], qui dirige la collection « Médiévalisme(s) » chez CNRS Éditions. De nombreuses monographies, ouvrages collectifs et articles sont consacrés au «  Moyen Âge contemporain », aux sujets médiévaux dans le cinéma, la littérature populaire, les livres pour enfants, la bande dessinée, etc., mais très peu d’études ont trait à la réception du Moyen Âge allemand en France[7].

 A l’étranger, tout particulièrement dans le monde anglo-saxon et germanique, le « médiévalisme » est un champ de recherche largement reconnu[8], à travers la revue  postmedieval. A journal of medieval cultural studies, Charleston, et des publications sérielles qui ont contribué à en affiner le périmètre et font désormais référence : des ouvrages en anglais, Studies in Medievalism I-XXIV, Suffolk / Cambridge, 1979-2015, et en allemand, issus de symposiums tenus à Salzburg[9], à Passau et à Karlsruhe[10]. Les  médiévalistes se différencient des traditionnels médiévistes en ce qu’ils s’intéressent prioritairement à la façon dont notre époque et ses productions médiatiques de toute nature reconstruisent ou fabriquent un Moyen Âge pour les contemporains.

Par ailleurs, notre démarche d’investigation de l’imaginaire médiéval allemand dans la France contemporaine, parce qu’elle adopte le principe du décentrement du point de vue et du regard croisé, se situe au carrefour de domaines de recherche concernant tant les comparatistes que les germanistes : celui, plus ancien, de l’imagologie et des hétéro-stéréotypes de l’étranger, dont les acquis ne peuvent être ignorés[11] ; ceux, plus récents, des transferts culturels[12], de l’interculturalité et de la transculturalité[13], et de l’intermédialité[14]. Enfin, plus largement, le colloque invitera à une réflexion épistémologique sur le présentisme et les temporalités, telle que la met en œuvre l’historien François Hartog[15].

 

Le colloque comprendra un volet théorique et un volet analytique. Il abordera la présence de la culture germanique médiévale comme objet d’étude, objet de lecture et sujet de fictions.

Les interventions générales pourront porter :

  • sur la théorie du médiévalisme ;
  • sur la réception savante, « reproductive », du Moyen Âge germanique par les philologues ;
  • sur sa réception populaire, « productive » : réécriture, transmodalisation, transmédialisation.

Les études de cas porteront sur la sensibilité collective autour du Moyen Âge germanique et la rémanence de celui-ci dans les productions culturelles contemporaines. Elles devront couvrir différentes périodes de réception ainsi que la diversité des genres et des supports dans une perspective d’intermédialité, incluant par exemple l’étude des manuels scolaires, la bande dessinée, les jeux vidéo, le cinéma, la chanson, les blogs sur l’internet, etc.

 

Exemples de thématiques :

  • l’appropriation de la mythologie germanique, en particulier de la « matière germanique » des Nibelungen, dans la littérature populaire depuis le XIXe siècle ;
  • la mise en fiction de personnages historiques (tels Charlemagne[16], Barberousse, Hildegarde de Bingen, les Chevaliers Teutoniques, Charles Quint, Luther), légendaires et/ou littéraires du Moyen âge germanique (Fortunat, Guillaume Tell, Faust, la Lorelei, etc.) ;
  • la fabrication de stéréotypes cultivés, d’hétéro-images intégrant des éléments culturels, comme le stéréotype de l’autodestruction germanique (massacre des Burgondes) ou le complexe psychanalytique d’Hildebrand (meurtre du fils).

 

Comité d’organisation :

Florent Gabaude, Maître de conférences en littérature et linguistique allemandes, Université de Limoges

Aline Le Berre, Professeur de langue et littérature germaniques, Université de Limoges

Andrea Schindler, Professeur de philologie médiévale allemande, Otto-Friedrich-Universität Bamberg

 

Comité scientifique :

Peter Hvilshøj Andersen, Professeur de littérature et d’histoire ancienne, Université de Strasbourg

Danielle Buschinger, Professeur émérite de langue et civilisation allemande, Université de Picardie-Jules Verne

Gérard Chandès, Professeur de sémiotique, Université de Limoges

Michael Gottlieb Dallapiazza, Professeur de littérature allemande, Università di Bologna

Vincent Ferré, Professeur de littératures comparées, Université Paris Est Créteil (UPEC)

Jürgen Kühnel, Professeur de littérature générale, Universität Siegen

Earl Jeffrey Richards, Professeur de littératures romanes, Bergische Universität Wuppertal

Bertrand Westphal, Professeur de littérature générale et comparée, Université de Limoges

 

Les propositions de communication peuvent être envoyées à florent.gabaude@unilim.fr

et aline-leberre@unilim.fr jusqu'au 30 juin 2016.

 

Les langues de communication seront le français, l’allemand ou l’anglais, les langues de publication l’allemand et l’anglais. Les contributions écrites feront l’objet d’une publication sur avis d’un comité de lecture.

Lieu : Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université de Limoges, 19-21 octobre 2016. Seuls pourront être pris en charge les frais d'hébergement et de restauration.

 

 

[1]Jacques Le Goff, A la recherche du Moyen Âge, Paris, Audibert, 2003, p. 15 sqq.

[2]Edouard Brasey, La Malédiction de l'Anneau, Les Chants de la Walkyrie, tome 1, Paris, Belfond, 2008, Avant-propos, p. 10.

[3]La dernière traduction en date est celle de Danielle Buschinger et Jean-Marc Pastré, Paris, Gallimard, 2001.

[4]Cf. Saint-Loup (Marc Augier), Götterdämmerung. Rencontre avec la bête, témoignage autobiographique sur les années 1944-1945.

[5]Cf. Gérard Chandès, Sémiosphère transmédiévale : un modèle sémiopragmatique d'information et de communication appliqué aux représentations du moyen-âge, Limoges, 2007. http://epublications.unilim.fr/revues/as/pdf/4783 ; Vincent Ferré (dir.), Médiévalisme, modernité du Moyen Âge, Paris, L'Harmattan, 2010.  Cf. également : http://www.modernitesmedievales.org/.

[6]http://medievalisme.hypotheses.org/bibliographie.

[7]On peut citer les contributions de Danielle Buschinger, « Die Darstellung des Mittelalters im französischen Kinderbuch der Gegenwart », in Jürgen Kühnel et al., Mittelalter-Rezeption III, Göppingen, 1988, p. 147-164 ; « Das deutsche Mittelalter im Frankreich der Gegenwart », in Eva Dewes et Sandra Duhem (dir.), Kulturelles Gedächtnis und interkulturelle Rezeption im europäischen Kontext, Berlin, 2008, pp. 227-248.

[8] Cf. les récentes synthèses d’Elizabeth Emery & Richard Utz (dir.), Medievalism : Key Critical Terms., Cambridge, D. S. Brewer, 2014 et de David Matthews, Medievalism. A critical History, Cambridge, D. S. Brewer, 2015.

[9]Mittelalter-Rezeption I-V, sous la direction de J. Kühnel, H.-D. Mück et U. Müller, Göppingen, Kümmerle Verlqg, 1979-1996.

[10]Mathias Herweg / Stefan Keppler-Tasaki (dir.) : Rezeptionskulturen. Fünfhundert Jahre literarischer Mittelalterrezeption zwischen Kanon und Populärkultur, Berlin / Boston, De Gruyter, 2012 ; id., Das Mittelalter des Historismus. Formen und Funktion in Literatur und Kunst, Film und Technik, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2015.

[11]Cf. notamment Wolfgang Leiner, Das Deutschlandbild in der französischen Literatur, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1991.

[12]Cf. notamment Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999.

[13] Cf. Dorothee Kimmich, Schamma Schahadat (dir.), Kulturen in Bewegung: Beiträge zur Theorie und Praxis der Transkulturalität, Bielefeld, transcript (Kultur- und Medientheorie), 2012.

[14]Irina O. Rajewsky, Intermedialität, Tübingen, Francke, 2002.

[15]François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2012.

[16]Cf. Franz Fuchs / Dorothea Klein (dir.), Karlsbilder in Kunst, Literatur und Wissenschaft. Akten eines interdisziplinären Symposions anlässlich des 1200. Todestages Kaiser Karls des Großen, Rezeptionskulturen in Literatur und Mediengeschichte, Bd. 1, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2015.